Je dois avouer qu'en lisant
Heinich parlant de Bourdieu, je me suis senti moins seul. Car chez Bourdieu, j'aime autant son souci de chercher là où le regard n'avait pas encore porté, sa manière de faire parler les chiffres, que je me désole de son côté paranoïaque (
Heinich dit « agonistique », j'ai dû prendre mon dictionnaire, et j'ai appris un mot utile) et d'un style « ni-ni » qui me rappelle le lutteur qui s'enduit d'huile pour ne pas pouvoir être attrapé. Lire
Heinich m'a donc permis de mettre en forme des idées que la lecture des écrits de Bourdieu m'inspirait souvent de manière fragmentaire.
Par ailleurs, la forme de
Heinich me convient particulièrement : elle s'attaque à des sujets relativement complexes, de manière compréhensible (même s'il faut tout à fait normalement s'y reprendre à plusieurs fois sur certaines pages), sans nous prendre non plus pour des benêts.
Je n'ai pas été choqué, à l'instar de certains critiques du livre, par l'utilisation de son histoire personnelle auprès de Bourdieu. Au contraire il me semble qu'elle la met à sa place exacte, sans laisser paraître de rancoeur. Plutôt un regret que Bourdieu lui-même n'ait jamais laissé la place, lui qui aimait tant la réflexivité, à l'étude de sa propre paranoïa. D'autant qu'elle lit, comme une évidence (à laquelle j'adhère), l'alternative que Bourdieu a refusée : (p.147) "alors qu'il suffirait pour les clore de considérer que ces deux options ne sont que les pôles extrêmes d'un continuum sur lequel se déploie la réalité de l'expérience, mixte de décisions relativement autonomes et de déterminations relativement hétéronomes".
Je ne peux m'empêcher d'être surpris par le nombre de similitudes que je trouve entre Lordon et Bourdieu. A creuser… Merci aussi à
Heinich de m'avoir fait découvrir «
Un destin si funeste » de
François Roustang… le processus de mutation du leader intellectuel en gourou, basé sur le cas de
Freud, éclaire aussi
Lacan et tant d'autres.
Après tout ces éloges sur cet ouvrage, une surprise : celle de voir
Heinich décrire Bourdieu, implicitement, sans avoir l'air d'y toucher, et à de multiples reprises, comme un produit dans le cadre du « star system ». Elle utilise ainsi les mots « succès », « réussite », « concurrent ». Or la moindre des choses aurait été de creuser cette dimension. A-t-elle réellement échappé à son autrice ? J'ai du mal à le croire…