Publié dans la remarquable édition AEcranges & Co, le recueil
Sorrowful Songs (Les chants plaintifs) est une nouvelle occasion pour moi d'apprécier encore un peu plus la très belle écriture de
Deborah Heissler.
Le titre du recueil est directement inspiré de la Symphonie n°3 Opus 36 du compositeur polonais Henryk Gorecki. Cette oeuvre symphonique marquante, grave, aux motifs lents et répétitifs a été composée en 1976, en hommage aux victimes disparues de la Shoah.
C'est le même thème de la séparation et du deuil qui est au coeur des
Sorrowful Songs de
Deborah Heissler. Une femme prénommée Blanche s'est éteinte hier soir, c'est le regard de celui qui l'accompagnait dans ses derniers jours qui écrit. Poids de la disparition, de la solitude qui se répand. C'est aussi l'évocation de tout ce qui reste, de tout ce qui demeure dans le secret de l'instant, dans le matin d'hiver. Au dehors, le paysage recouvert de neige, c'est la nature qui continue de vivre à son rythme.
" Ce bleu. D'un seul trait égal et sans nuance.
Tendant à l'absolu. Énigme de l'herbe dans ta main.
Tu as gorgé mon oeil de basalte, soufflé la neige
sur mes pas. "*
Comme des mouvements musicaux, le recueil se décompose en trois parties, en trois chants : " Jardin – Elle endormie ", " Rien que le ciel ouvert ", " Chambre ou Te perdre ". Trois mouvements traversés par une silencieuse gravité et une délicate retenue. Une autre oeuvre musicale vient s'intégrer à l'écriture. Nommée, c'est une pièce pour piano, « Les pas sur la neige » de
Claude Debussy. Comme le silence entre les notes, les mots résonnent dans les espaces, dans le vide des blancs.
" Tu – qui bat entre deux rythmes, juste amnésie
à la langue de nos désirs. Corps inclinés,
paupières closes.
Spasme lumineux du bleu sur la page contre le
soleil avant le jour. Creusement. Torsion de la
voix et tournant ainsi étreinte ; dans le milieu du
monde, rien que le ciel ouvert. "*
Dans l'écriture de
Deborah Heissler, il y a toujours une douceur étrange, feutrée, une mélodie lente qui effleure l'imaginaire, la sensibilité et les souvenirs du lecteur. Chaque texte en prose fait naître une image, puis une autre, comme dans un rêve dont on ne revient jamais tout à fait, dont on n'a pas saisi la pleine signification. Cette part d'incertitude, presque d'égarement, est comme la condition de l'écriture chez
Deborah Heissler. C'est ce qui me rend son oeuvre particulièrement attachante.
(*) extraits de « Rien que le ciel ouvert »