Moine vénitien émule de Pic de la Mirandole, Francesco Zorzi (1466-1540) fut un humaniste de l'envergure de
Thomas More et d'Érasme. À ce titre, il fut consulté lors de l'affaire du divorce d'Henri VIII d'Angleterre et s'attira les foudres du pape pour s'être prononcé en faveur de l'annulation du premier mariage du roi. Comme nombre de théologiens de son temps, il prôna dans ses ouvrages l'unité des religions et s'appuya sur la philosophie kabbalistique pour élaborer la thèse de la concorde politique universelle. Ses écrits le placent également dans la mouvance néoplatonicienne des années 1480-1520, qui influença sa vision de l'homme et de sa place dans le monde. Bien qu'il soit moins célèbre aujourd'hui que jadis, le nom de Zorzi apparaît néanmoins dans plusieurs ouvrages d'histoire de l'art, qui concernent l'architecture vénitienne du XVIe siècle : il fut en effet le maître à penser de Jacopo Sansovino lors de la reconstruction de l'église San Francesco della Vigna, à partir de 1533. Par la suite Titien, Serlio et même Palladio se réclamèrent des doctrines développées dans son de Harmonia mundi (1526), ses Problemata (1536) ou son Elegante Poema (1536-1540). Parfaitement exposées par l'auteur et replacées dans le contexte foisonnant de l'humanisme et du schisme entre catholiques et réformés, les théories de Francesco Zorzi éclairent le rêve d'harmonie religieuse et politique et les désillusions d'une génération marquée par le sac de Rome de 1527. Il ne s'agit certes pas d'histoire de l'art à proprement parler, mais comment comprendre la création si érudite de la Venise renaissante sans connaître les débats qui l'animèrent ? Ce petit livre clair et synthétique, parfaitement traduit, met à la portée du lecteur une pensée et une personnalité méconnues. Il engage ainsi à mieux regarder les oeuvres et surtout à mieux les comprendre.
Par
Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 555, avril 2019