Dans ce que l'on peut considérer comme « la littérature de l'Holocauste », les journaux intimes occupent une place à part. On pense immédiatement au Journal d'
Anne Frank, mais aussi à celui de sa compatriote
Etty Hillesum,
Une vie bouleversée.
J'ai vécu si peu est le journal rédigé par
Eva Heyman, une adolescente de 13 ans de la ville d'Oradea en Transylvanie (actuelle Roumanie), entre le 13 février et le 30 mai 1944, avant que la jeune fille ne soit déportée puis gazée à Auschwitz le 17 octobre 1944. Un récit écrit en partie dans l'enceinte du ghetto d'Oradea, où la famille avait été parquée avant sa déportation.
Ce témoignage de premier plan a été rendu possible par la mère d'Eva qui a pu s'enfuir du ghetto et ainsi éviter la déportation (elle pensait que toute la famille pourrait également s'échapper, mais ce ne fut malheureusement pas le cas). On apprend qu'elle se suicidera en 1948 après la publication du livre.
La famille d'Eva est une famille bourgeoise, progressiste, de langue hongroise. Elle appartient à la minorité juive magyarisée de la région. le journal, assez court, est accompagné dans ce livre d'une introduction très intéressante présentant non seulement l'auteure, l'histoire de la famille et du livre, mais élargit le propos à la région, aux populations qui l'habitent et bien sûr au destin funeste qui frappa les Juifs : entre 280.000 et 380.000 Juifs roumains ont ainsi péri sous administration roumaine, 570.000 sous celle hongroise avec la césure que marqua l'entrée des troupes allemandes en Hongrie en 1944 et qui provoqua des déportations de masse.
Le début du journal évoque le quotidien, les perceptions d'une jeune fille de son âge : elle y parle de ses camarades, de ses parents dont elle a du mal à comprendre pourquoi ils ont divorcé, de ses premiers émois amoureux, de ses rêves d'avenir (elle veut devenir photoreporter et aller à Pest après la guerre)… Mais la guerre est là, avec son cortège de mesures visant les Juifs ou encore les ennemis du régime (ses grands-parents, chez qui elle vit, alors que sa mère est à Budapest, ont eu leur pharmacie confisquée ; son beau-père, un journaliste et écrivain, a été envoyé pour deux ans en Ukraine pour travail obligatoire). Lors de son anniversaire, Eva évoque sa meilleure amie, Marta, déportée avec ses parents trois ans plus tôt.
La tonalité du journal change à partir de l'invasion allemande. Les Juifs sont expulsés de leurs quartiers. On leur confisque peu à peu toutes leurs affaires (notamment la bicyclette de la jeune fille, qui avait fait l'objet de tant d'économies). Rapidement, les Juifs ne sont plus autorisés à sortir dans la rue que de 9 à 10h puis son transférés dans le ghetto en mai.
Plus le droit de cuisiner, seulement un repas par jour que les gendarmes apportent (« une louche de haricots et deux cents grammes de pain »), interdiction de quitter la maison dans le ghetto : il est impressionnant de voir la dégradation de la situation en si peu de temps. de même, comme cela ne suffisait pas, les Juifs sont torturés par les gendarmes car ces derniers pensent qu'ils ont encore des bien cachés quelque part. Les suicides dans le ghetto se multiplient. Reste uniquement l'espoir de la fin de la guerre car nous sommes en mai 1944 et le recul des nazis est connu de tous.
Il va sans dire que ce livre m'a beaucoup touché, non seulement par la qualité du témoignage qu'il apporte, mais aussi grâce à la personnalité de la jeune fille, qui a une lucidité et une maturité impressionnante pour son âge (tout en gardant parfois la naïveté de l'enfant qu'elle était) mais aussi un grand appétit de vivre, tranchant avec les projets mortifères qui vont lui devenir son destin. Je vous conseille vivement de le lire !
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