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EAN : 9782258206922
240 pages
Presses de la Cité (28/09/2023)
4.24/5   39 notes
Résumé :
Une maison perdue dans la campagne, une meute de chiens au fond d'un jardin, une famille d'accueil fruste qui ne sait pas comment aimer les gosses qui lui sont confiés. Et pourtant... Au contact de la nature et d'une certaine forme de tendresse, les enfants vont apprendre à vivre.
Années 90, une maison perdue dans la campagne auvergnate, entourée de chenils. Ici, la vie s'organise autour des chiens plus que des habitants. Atalante, âgée de neuf ans, doit y êt... >Voir plus
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Des enfants et des chiens

Caroline Hussar est la lauréate 2023 du Prix Jean Anglade. Son roman raconte l'odyssée d'enfants placés en famille d'accueil, élevés comme les chiots qui les entourent. Dans ce petit village, dans la France des années 1990, l'amour est une denrée rare.

La première réussite de ce roman est indéniablement cette atmosphère très prenante qui saisit le lecteur dès les premières pages. Il sent littéralement cette odeur âcre qui imprègne tout, de poils et de crasse, de tabac froid et de désinfectant, de pot-au-feu et de chien mouillé. Une odeur que l'on trouve dans le chenil, dans la maison, dans la voiture, dans les habits. Nous sommes dans les années 1990 au sein d'une famille d'éleveurs dans un village de la plaine de l'Allier.
Dans de grandes cages, Francis soigne les chiens de différentes races et héberge quelquefois aussi ceux du voisinage. Si Geneviève, son épouse, le seconde en s'occupant surtout de l'intendance, elle s'affaire prioritairement à l'autre mission de la famille : accueillir les enfants placés par les services sociaux.
Au moment où s'ouvre le roman, ils sont cinq.
Roman, onze ans, arrivé deux mois plus tôt, Sofian, cinq ans, qui est là depuis presque an « le temps que ses deux grands frères trouvent une formation et que leur mère prouve qu'elle peut gérer la situation», Sandy, un bébé de dix-huit mois pour lequel il n'y avait pas de place en pouponnière et dont la mère est en hôpital psychiatrique et Atalante, qui vient d'arriver. Sans oublier Angélique, leur grande fille de quatorze ans. Tout au long du roman d'autres enfants viendront s'agréger au groupe, au fil des départs et des arrivées, comme les frères Nelson et Grégory. «Ici, il y avait quelque chose de la vie de meute. Chacun sa place, du plus jeune à l'ancien, un rôle acté, immuable, sauf à évoluer en avançant en âge.»
Pour les chiens comme pour les enfants, Geneviève et Francis ont appris à ne pas trop s'attacher, car ils savent qu'ils ne sont que de passage. Même s'il arrive que le provisoire dure. Leur principale mission consiste à éviter les incidents, à instaurer une autorité susceptible de permettre à la communauté de vivre dans une relative harmonie. Et d'intervenir dès qu'un «bébé se met à vagir et un chien à pleurer. À moins que ce soit l'inverse.»
Au fil des jours, on découvre les parcours des uns et des autres, les traumatismes avec lesquels ils luttent, leur aspiration à une «vraie» vie de famille, mais aussi les liens qui se créent entre eux. Caroline Hussar montre très bien combien les enfants sont déstabilisés, privés de leurs parents et de leurs repères, ne sachant combien de temps ils sont là et ne pouvant guère se projeter vers l'avenir. Mais elle montre tout autant le malaise de la famille qui les accueille, surtout ici où Geneviève, enfant légitime, doit cohabiter avec des «faux frères», des «fausses soeurs».
De manière diffuse, par petites touches, on sent la fragilité de cet édifice et la menace qui croît. Sans rien dire des drames qui couvent, soulignons combien le manque d'amour peut faire de ravages. Surtout au sein d'une communauté dont chacun des membres, pour des raisons bien différentes, se garde d'exprimer ses sentiments. Mais au final, il va rester quelque chose de ce lien, de ces petites graines semées au fil des jours et qui trouvent dans cette nature une terre fertile. Car la vie rurale, marquée par les saisons de chasse et de pêche, donne ici le cadre qui manque cruellement aux enfants en errance.
Je partage l'avis de Lorraine Fouchet, la présidente du jury du Prix Anglade, lorsqu'elle conclut sa préface en écrivant qu'elle pense «sincèrement que Jean Anglade aurait aimé» ce roman. On peut du reste y voir une parenté avec Les cousins Belloc, ces deux orphelins recueillis en Auvergne par deux grands-mères. Sans oublier le petit clin d'oeil à la lauréate de ce même Prix en 2022, Sarah Perret et La Petite qui rassemblait aussi deux orphelins autour d'une grande table à la campagne.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Le père et la mère d'Atalante sont trop occupés à oublier leur vie et à remplir leur vie sociale pour prendre soin de leur enfant. Malgré leur désistement, ils sont des parents inquiets. La petite-fille n'a que dix ans : elle est trop jeune pour rester seule après l'école. Hélas, son ancienne nounou a annoncé son déménagement au dernier moment. Geneviève et Francis ont accepté de veiller sur Atalante. C'est ainsi qu'elle se retrouve dans une maison délabrée, pleine de bruits et d'odeurs, où cohabitent enfants et chiens. C'est un univers très éloigné du milieu petit-bourgeois dans lequel elle est élevée.

En effet, Geneviève et Francis travaillent pour les services sociaux, en tant que famille d'accueil. Chez eux, séjournent des enfants de tous les âges, avec des passés très différents, souvent traumatiques. J'ai éprouvé énormément de tendresse pour ces petits ; ils subissent les manquements des adultes. Au sein de cette bande hétéroclite, Atalante parvient à trouver sa place et reçoit l'affection qu'elle ne semble pas avoir chez elle. Elle est très proche de Roman. Ce garçon doux, qui exprime sa détresse dans les méfaits qu'il commet, m'a, particulièrement, touchée. Il est au coeur d'un terrible drame : responsable et victime à la fois.

J'ai, alors, réalisé que j'aimais intensément les parents nourriciers. Ils paraissent rustres, mais leur attitude prouve leur générosité. Ce ne sont pas des actes flamboyants, mais une présence discrète, bienveillante et respectueuse. Au début, j'ai pensé que je ne m'attacherais pas à eux, car j'ai des opinions très tranchées sur la passion de Francis (la chasse), mais elle n'est pas mise en avant, aussi cela n'a pas été rédhibitoire pour moi. Les faits sont énoncés et chaque lecteur les interprète avec sa sensibilité et ses opinions à ce sujet. Francis m'a bouleversée par son altruisme ; Geneviève par son dévouement. le récit est empli d'émotion, dans laquelle la pudeur des sentiments cache une très grande humanité.

La Maison aux chiens est le lauréat 2023 du Prix Jean Anglade. Cette distinction récompense un premier roman, prônant des valeurs qui me sont chères, telles que la bienveillance, l'humanisme et l'universalité. J'ai la chance de faire partie du jury, qui était, cette année, présidé par Lorraine Fouchet. Dans sa préface, notre présidente partage la phrase qui l'a chamboulée. Voici un bout de celle qui s'est gravée dans mon coeur : « on se souvient toujours moins de celle qui remplissait l'écuelle que de celui avec qui on la partageait. » (p. 219). Lors de ma première lecture, l'histoire a laissé une forte empreinte dans ma mémoire et dans mon coeur. Avant d'écrire ma chronique, je l'ai relue, dans son format édité et mon coup de coeur s'est confirmé. J'espère que vous aurez envie de le lire : je l'aime tant.

Lien : https://valmyvoyoulit.com/20..
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Dans les années 90, au coeur de la campagne auvergnate, nous rencontrons un couple Geneviève et Francis, parent d'Angélique, une adolescente de 14 ans. Ils sont "famille d'accueil" et vivent modestement dans une demeure quelque peu isolée du village.
🐶
Malgré le caractère de Monsieur, rustre à souhait, introverti et Madame, parfois dépassée par son quotidien mais très attachante, ils recueillent donc des enfants au parcours douloureux, à la fois cabossés (dans tous les sens du terme), en mal d'amour avec pour point commun, un passé traumatique souvent lié à une certaine forme de violence.
🧸
Dans cette masure aux allures très éloignée d'un palace mais plutôt d'une mansarde où tout ne brille pas de propreté et d'un ordre classique, tous ces enfants vont peu à peu à apprendre à cohabiter, s'adapter à ce foyer devenu leur refuge où les deux adultes donneront à chacun à leur façon du temps, de l'attention, de l'écoute… sans oublier de l'affection parfois camouflée ou déguisée mais qui, au fil des années aura gain de cause pour tous les membres de cette tribu éclectique. Enfants, devenus grands, ils auront un destin rimant avec valeurs et stabilité car les liens tissés durant leur enfance commune au-delà de l'adversité seront indéfectibles malgré le temps qui passe…
💞
J'avais repéré cet ouvrage une semaine environ avant le concours de la "Masse Critique" et j'ai été agréablement surprise d'être une des heureuses élues du tirage au sort en ayant le privilège de recevoir ce roman.
📖
N'ayant pas de compétences particulières en matière de linguistique, je dirais toutefois que la rhétorique a été utilisé à bon escient sans excès ni fioriture avec la dose idéale pour en faire une histoire cohérente, juste et sincère.
Il est évident que notre côté émotionnel quel qu'il soit est un facteur déterminant à une telle analyse même si certains relèvent des détails qui d'après mon ressenti après lecture, ne sont pas LE sujet central de cette intrigue.
Quelle légitimité avons-nous pour juger une oeuvre en quelques clics ou mots en quelques minutes ? Pour avoir travaillé dans le même domaine que Madame Hussar, je sais à quel point certains sujets sont délicats et tout ce qui est lié à l'enfance est un terrain miné !
Sans faire d'amalgame ou mélanger un vécu personnel à cet ouvrage, je finirai en vous disant qu'hélas, nous vivons dans un système qui malgré certaines mesures, peine à protéger les enfants et qu'il reste encore tant de chemin à faire pour faire évoluer la mise en place d'améliorations concrètes…
🤔
Je rejoins amplement l'avis joliment rédigé sis dans la préface de Lorraine Fouchet. On ne sort pas indemne d'une histoire telle que celle-ci. Cela déstabilise le coeur selon la sensibilité de chacun mais ce qu'il en ressort pour ma part, c'est un bouleversement aux myriades d'émotion car l'écrivaine nous dépeint dès les premières pages, un tableau aux contours complexes mais qui après des prémices chaotiques et une histoire mouvementée à bien des égards, nous laissera un souvenir impérissable d'une humilité douce et singulière. Deux jours après avoir terminé cette lecture, j'ai encore les larmes aux yeux en repensant à certains passages que je garderai en moi profondément…
🍁
Je tiens à féliciter Caroline Hussar pour ce premier roman afin qu'elle profite pleinement de chaque moment après son long travail d'écriture qui n'est pas une sinécure ! Un grand merci à Babelio ainsi qu'à la maison d'édition Presses de la Cité pour m'avoir offert ces jolis moments de lecture…
🙏
PS : une pensée particulière destinée à tous les enfants qui vivent au quotidien dans un climat qui n'éveille à autrui aucune dangerosité ou maltraitance apparentes mais qui si parfois, on plisse légèrement les yeux comme pour lire entre les lignes, il suffit d'un peu d'attention…

Mille mercis également à toutes celles et ceux qui auront pris le temps de me lire... Je vous souhaite une agréable journée et de jolis moments de lecture...
🦋
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"La maison aux chiens" de Caroline Hussar est un roman touchant qui nous plonge au coeur d'une famille d'accueil pas comme les autres. Geneviève et Francis, un couple un peu rustre mais aimant, accueillent des enfants à l'histoire cabossée dans leur maison isolée au coeur des plaines de l'Allier.

Parmi ces enfants, on rencontre Roman, Nelson et Grégory, des frères difficiles dont les histoires personnelles sont marquées par des traumatismes. Et puis il y a Atalante, une petite fille sage, qui un peu de mal a trouvé sa place auprès de cette famille atypique.

Au fil des pages, on assiste à l'évolution de ces enfants, à leur lutte pour trouver leur place au sein de cette maisonnée organisée autour des chiens. Entre les liens qui se tissent, les obstacles à surmonter et les regards extérieurs qui pèsent sur leur quotidien, l'amour essentiellement familial se fraye un chemin.

Ce premier roman de Caroline Hussar aborde avec délicatesse et sensibilité des thèmes forts tels que l'enfance difficile et la vie en famille d'accueil. Sans fioritures ni grandiloquence, l'autrice nous livre une histoire simple mais profonde, empreinte d'émotions et de sincérité.

"La maison aux chiens" est un récit poignant qui nous rappelle que la famille ne se limite pas au sang, mais se construit aussi à travers les liens du coeur. Un roman qui nous invite à réfléchir sur la force des liens familiaux et la capacité de chacun à se reconstruire, même après les pires épreuves.
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Voilà une maison dans laquelle, sur le moment, dans un éclair de lucidité, on ne voudrait pas entrer. Parce que les chiens... parce que Geneviève, Francis, les enfants... Parce que l'ambiance...
Puis, au fil des jours, donc au fil de la lecture, on se dit "après tout...".
Dans l'univers spécial de cette famille d'accueil, les enfants, de loin "esseulés et livrés à des excentriques", de près, épaulés dans la vie, grandissent. S'épanouissent-ils ? Sont-ils heureux ? Que vivent-ils ?
Ils vivent, simplement. Avec leurs histoires, parfois noires, parfois plus tendre, avec des hauts, des bas, des dénivelés, des trous, des falaises souvent, et toujours, avec quelqu'un derrière qui a une corde, une béquille, une main à tendre.
C'est un livre doux et mélancolique qui ne laisse pas indifférent, qui montre aussi la beauté de la différence, qui déjoue les jugements, et plein de larmes de joie ou de tristesse... les pages défilent seules, ces moments de vie sont intenses et beaux.
J'ai vraiment apprécié cette lecture, même si la fin...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Les premières pages du livre
J’ajoute quelques gouttes de Viandox.
La rue était plate, à l’image de la plaine qui se déployait alentour. Un peu en retrait du bourg se tenaient les dernières habitations avant le Bois Randenais, des hectares de rien jusqu’à la ville la plus proche. Une berline sombre vint se garer devant le portail de l’entrée principale, déclenchant des aboiements déchaînés à l’arrière de la maison. C’était une bâtisse des années trente, vétuste, assez étroite, tout en hauteur. Le crépi beigeasse de sa façade s’effritait. Le toit d’ardoise qui la surplombait était délavé et comme cabossé. Aux angles des fenêtres, les volets, sans doute rouges à l’origine, avaient désormais une teinte passée, tirant sur le brun. La petite fille pâle sortit de la voiture et remonta l’allée de dalles cassées en fronçant le nez. Il flottait dans l’air une odeur âcre, mélange de poils de chiens et de désinfectant. Son père frappa à la porte. À l’intérieur, Francis grogna, à la fois pour prévenir qu’il fallait aller ouvrir et indiquer qu’il ne s’en chargerait pas. Aucun des enfants ne fit mine de bouger. Il relevait d’une convention tacite que Geneviève gérait les relations avec l’extérieur. Bien droit sur le seuil, le couple de petits-bourgeois se figea légèrement en la voyant. Ses cheveux formaient un halo sec et volumineux d’une couleur indéfinissable, entre le rouge et le violet. Son nez, busqué, était si fin que, de face, il se contentait de tracer un long sillon sur son visage. On aurait dit que cette femme avait été brûlée, tant sa peau était tirée sur l’ossature de sa figure. Le simple fait de la regarder faisait mal. Après avoir salué les parents, elle se pencha vers la fillette pour lui faire répéter son prénom.
– Atalante ? Quelle drôle d’idée ! s’exclama-t-elle. Moi, c’est Geneviève.
Elle parlait fort, comme affectée d’un début de surdité. Autour de ses épaules, un châle noir au crochet s’ouvrait sur une cascade de colliers de perles multicolores et de pendentifs dorés. Dessous, elle portait un pantalon de treillis kaki et de lourdes chaussures de marche, que soulevaient à grand-peine ses jambes squelettiques.
Elle les invita à entrer d’un mouvement de ses doigts tordus, couverts de bagues de pacotille. Les enfants avaient déjà fui les lieux pour s’égailler dans les chambres desservies par le long couloir sombre, à l’arrière de la maison, la grande emportant le bébé qui vagissait d’indignation, les plus jeunes formant un troupeau indistinct dont il ressortait tout de même qu’ils étaient dans l’ensemble bruyants et mal fagotés.

Dès le seuil, la gamine eut le souffle coupé. L’odeur la prit à la gorge. Un mélange de crasse, de tabac froid et de relents de pot-au-feu. Et par-dessus ces effluves, ceux, plus forts et plus tenaces, de chien mouillé. Elle lutta contre la nausée qui l’assaillait. Ses hoquets attirèrent l’attention de son père, qui, d’un geste sec, lui enjoignit en silence de le suivre. Du coin de l’œil, elle nota que sa mère plongeait le nez dans son foulard pour y chercher le réconfort du parfum dont elle s’aspergeait copieusement chaque matin.
Geneviève leur fit faire le tour du propriétaire. Francis trônait devant la table de salle à manger qui occupait la majeure partie de la pièce, protégée par une toile cirée où se répétait de loin en loin la même scène de chasse au canard, plus ou moins effacée selon les endroits où s’étaient attablés les convives. Il cassait des noix d’une main épaisse, et s’interrompit à peine pour les saluer. Deux chiennes somnolaient à ses pieds. Une caniche gris sale, aux poils mal taillés agglomérés de manière écœurante dans les plis humides de ses babines, était à moitié couchée sur une bobtail qui haletait bruyamment. La famille les évita soigneusement, et se glissa entre la table et un grand vaisselier sombre, encombré de bibelots de porcelaine et de photos de nombreux enfants de tous âges, dont pas un ne ressemblait aux autres. Ils traversèrent le salon ou ce qui s’y apparentait. Il s’agissait en réalité d’un espace étroit attenant à la table de la salle à manger, où l’on avait entassé un grand canapé en velours marron et deux fauteuils assortis autour d’un volumineux poste de télévision. Ils durent contourner la table basse, au plateau en carreaux de faïence à motif floral, pour atteindre la porte-fenêtre qui s’ouvrait sur le jardin.

Une fois sur la terrasse, Atalante aspira goulûment l’air extérieur, pourtant chargé d’une forte odeur de désinfectant, plus prégnante de ce côté-ci de la maison. Enfin, elle distingua la source des aboiements qui saturaient l’air depuis leur arrivée. D’immenses cages en fer occupaient l’espace situé à l’arrière de la propriété. De part et d’autre du chemin mal entretenu sur lequel ils avançaient, des chiens se précipitèrent en vociférant dans un claquement métallique sur le grillage qui les retenait de justesse. Mais la voix de Geneviève, qui s’était mise à leur distribuer leur nourriture, était plus puissante.
– Assez ! Ah, mais vous allez me laisser passer ?
Elle repoussa sans ménagement deux braques et leur balança une gamelle remplie d’une substance douteuse.
– Qu’est-ce que vous leur donnez ? s’enquit la mère depuis son poste d’observation, sur la partie goudronnée de l’allée.
Elle pointait du doigt les énormes seaux que Geneviève transportait avec une force surprenante chez une femme aussi frêle.
– Ah ça, c’est une recette personnelle. Je fais mijoter des abats que me donne le boucher dans un fond de soupe de pot-au-feu, et en fin de cuisson j’y mélange du pain rassis et des croquettes. En période de chasse, j’ajoute quelques gouttes de Viandox, pour stimuler leur appétit et les forcer à s’hydrater lorsqu’ils ont couru toute la journée. Le tout, c’est de bien penser à retirer les os qui peuvent rester accrochés à la viande. Une fois cuits, ils deviennent cassants, et c’est dangereux pour les chiens. Ils peuvent se coincer entre leurs crocs, les blesser et les empêcher de se nourrir. Si un os transperce la paroi de l’estomac, c’est la mort assurée. Ce sont des « pure race », tu comprends ? informa-t-elle la petite fille. Ils sont fragiles, il faut faire très attention à eux, les bichonner. Ah, mais enfin, doucement ! Tu vas t’enlever, oui?

Geneviève repoussa d’un pied ferme la bête qui l’avait presque renversée en cherchant à atteindre sa gamelle.
– Ce sont des animaux magnifiques, dit le père, en flattant le flanc d’un beagle qui reniflait le sol à ses pieds tel un cochon truffier.
– Oui, n’est-ce pas ? Viens, approche ! lança Geneviève à Atalante. Ils sont pas méchants, hein ?
Mais son intonation interrogative n’était pas pour rassurer la fillette.
– J’ai peur des chiens.
Son murmure était inaudible.
– Qu’est-ce qu’elle dit ? brailla Geneviève à l’adresse du père.
– J’ai peur des chiens.
La petite était au bord des larmes. Sa voix se cognait contre sa gorge. L’un des braques s’avança vers elle. Geneviève insista :
– Caresse-le, vas-y ! Mais enfin n’aie pas peur, c’est pas la petite bête qui va manger la grosse !

C’étaient des chiens de chasse, des bêtes athlétiques, musculeuses. Du point de vue d’Atalante, ils lui auraient arraché la main d’un léger coup de crocs. Pourtant, sur un nouveau regard de son père, elle finit par glisser ses doigts dans le pelage malodorant.
– Ah, voilà ! Tu vois comme ils sont gentils, mes chiens ! triompha Geneviève.

De retour à l’intérieur, ils retrouvèrent Francis à la même place que lorsqu’ils étaient sortis. À ses côtés se tenait un garçon qui ne devait pas être beaucoup plus vieux qu’Atalante. La peau mate et les cheveux noirs, ce dernier n’était pas grand, mais déjà massif pour son âge. Une cicatrice, à la base de son arcade sourcilière, venait affaisser sa paupière gauche, créant un déséquilibre dans son regard. Pour la masquer, il inclinait légèrement la tête dans une torsion incongrue, le cou crispé, la mâchoire projetée en avant. Ses mains étaient larges, mais ses doigts étonnamment fins. Francis lui parlait à voix basse. L’enfant pliait et dépliait ses mains dans un mouvement saccadé, les yeux au sol, visiblement pressé de se soustraire à l’échange. Il profita de leur arrivée pour quitter la pièce.
Une fois qu’il fut parti, le père interrogea Geneviève :
– C’est le garçon qui vous a été confié ?
– Oui, enfin l’un d’entre eux. C’est Roman. Tu le verras à l’école, expliqua-t-elle à Atalante, et ça te fera de la compagnie, le soir. Vous allez bien vous amuser tous les deux.
– Merci d’avoir accepté au pied levé, enchaîna le père. La personne qui s’occupait d’Atalante jusqu’alors nous a informés de son déménagement au dernier moment. Nous n’avons pas eu le temps de nous retourner. C’est juste histoire de lui faire faire ses devoirs et qu’elle ne soit pas seule avant qu’on rentre du travail. Elle a dix ans, c’est encore trop tôt pour la laisser seule à la maison après l’école et le mercredi. Elle ne devrait pas vous donner de fil à retordre, elle est calme et elle sait se débrouiller sans trop d’aide. Mais il nous faut quelqu’un pour la surveiller.
– Oh, vous savez, un enfant de plus ou de moins, c’est pas ça qui va faire la différence ici ! Et puis elle devrait être dans la classe de Roman, alors en ramener un ou deux, le soir, ça changera pas grand-chose.
– Vous en gardez combien ?
– Pour l’instant, il y a Roman, que vous venez de rencontrer. Il va sur ses onze ans. Ça va faire deux mois qu’il vit chez nous. Nous avons aussi Sofian, qui a cinq ans, et qui est arrivé il y a bientôt un an. Lui, il va et vient ; des essais sont en cours pour qu’il retourne chez sa mère. Il a deux grands frères adolescents qui font pas mal de bêtises. Ils sont assez violents et ça le perturbe. Comme ils sont revenus de foyer il y a peu, les services sociaux nous ont confié le petit le temps que les deux grands trouvent une formation et que leur mère prouve qu’elle peut gérer la situation. En attendant, il reste ici, mais il devrait bientôt rentrer chez lui. C’est pour
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Préface de Lorraine Fouchet
Dans préface, il y a «face à». Présidente pour l’année 2023 du jury du beau prix Jean Anglade, je me suis trouvée « face à » cette histoire romanesque, tendre, touchante, concrète dans sa réalité sociale, puissante, contée d’une plume fougueuse et fluide, poétique par l’imagination des narrateurs enfants, pleine de rage et d’amour.
Une des héroïnes s’appelle Atalante, un prénom rare. Ce roman aussi est rare, intelligent et énergique. Sonore et musical, par l’aboiement des chiens de la famille d’accueil que vous allez découvrir. Odorant, vous verrez pourquoi. Prenant, vibrant, incandescent parfois. Bouleversant par ses leçons de vie boiteuses, fouillis, incohérentes, magnifiques.
Parfois, lorsqu’on repose un livre, une phrase particulière se fiche dans notre cœur et y vibre doucement. Je partage avec vous celle-ci, qui m’a chamboulée : Ils faisaient durer le plaisir, cherchaient dans leurs mémoires les histoires qui déjà s’effaçaient, et dont ils ne conservaient que la douceur.
Il y a cela dans la grâce de certains livres, ils s’impriment en vous, on est téléporté dans leur univers. Mon chien a droit au canapé, je préfère les animaux vivants et libres plutôt qu’étalés sur un tableau de chasse, et je suis fille unique. Pourtant, le temps de cette lecture, j’ai fait partie de la meute d’enfants et de chiens dans laquelle vous êtes invités, j’ai couru avec eux, et je m’y suis sentie chez moi.
Dans cette meute de papier, chacun a sa place, même le chiot le plus fragile. Dans ce texte, chaque mot a aussi sa place.
Vous allez froncer les sourcils, retenir votre respiration, écarquiller les yeux.
Vous serez tour à tour inquiets, émus, amusés, troublés, vous réagirez à l’instinct.
Vous aurez parfois le sourire aux lèvres et parfois le cœur chiffonné et les yeux embués.
Lorsque vous le refermerez, vous en conserverez longtemps la douceur.
Je crois sincèrement que Jean Anglade l’aurait aimé.
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Ici, il y avait quelque chose de la vie de meute. Chacun sa place, du plus jeune à l’ancien, un rôle acté, immuable, sauf à évoluer en avançant en âge. Or, dans l’objectif de survie de la meute, Grégory n’avait pas d’utilité, a priori, pour le groupe. p. 74
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La nature s'arrange toujours pour faire pousser le remède tout près de la source du mal.
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