Le réel est le flux de mon vécu qui accède à ma conscience par le biais de mes intuitions perceptives (pour les objets "réels") et éidétique (pour les essences). La réalité est le remplissage de ce flux de vécu qui complète, affirme, modifie ou annule les précédentes constitutions de réalité et ce, sans fin. Je ne pourrai fermer le sens de ce qui est que lorsque je serai parvenu à percevoir d'une essence la totalité des possibilités d'apparence qu'elle recèle. Ceci étant impossible puisque ces apparences s'inscrivent dans une infinité d'esquisses possibles, il s'ensuit que la réalité absolue est une Idée au sens kantien, un absolu vers lequel je tends mais n'atteins jamais. Au contraire, au jour le jour, je constitue par la multitude d'esquisses de choses réelles que je perçois et d'intuition "en pensée" la réalité du monde, c'est-à-dire la mienne, la seule qui, pour moi, soit vraie. La vérité de ce monde, c'est la validité des énoncés que je peux tenir sur lui et un énoncé n'est valide que s'il coïncide avec l'essence de la chose décrite. Pour atteindre celle-ci, je dois procéder à la réduction phénoménologique ou époché, c'est-à-dire la mise entre parenthèse de tout ce que ma conscience contient qui ne réfère pas à l'intuition (connaissances scientifiques, souvenirs, etc.). En observant sous ce mode intuitif le monde autour de moi, je peux constituer en pensée son essence. Pour ce faire, tout être constituant possède en lui-même a priori les notions d'espace, de matière, de temps, mais aussi la thèse du monde. Celle-ci pose que ce que je perçois a nécessairement un sens, une cohérence. Il s'ensuit que la réalité ne peut pas être fausse, puisque je donne nécessairement et intuitivement un sens aux choses, à mon vécu.
Enfin, puisque la réalité se constitue au niveau de la conscience de mon vécu, il s'ensuit que les variations imaginative, ou fictions, en font partie. La fiction est même un moyen privilégié pour démultiplier les possibilités d'apparence des essences, c'est-à-dire de constituer la "réalité". Lisons donc des livres (à condition qu'ils suscitent notre intuition ; pas des textes qui reproduisent des images anciennes ou qui présentifient des souvenirs, ces livres-là referment le sens plutôt qu'ils ne l'ouvrent).
Petit problème cependant, puisque la réalité est constituée subjectivement, qu'est-ce qui fait alors que nous vivons dans un monde "objectif" ?
Husserl n'en dit rien (ou presque)...
En résumé, l'invitation à se laisser aller à se contenter de ce que nous donne l'intuition est grande et d'oublier que la phénoménologie ne nie pas l'importance des sciences et du savoir empirique, elle se contente, pour cerner le fonctionnement de la conscience, de les mettre "entre parenthèses". Il ne faut pas oublier, que la phénoménologie se présente comme une science, et donc, après une "époché" d'enlever les parenthèses... sauf à vivre au second degré dans un monde que l'on se contente de percevoir intuitivement et dans lequel nous n'aurions rien "à faire"...