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EAN : 9782762130645
378 pages
Fides (15/09/2011)
4.5/5   2 notes
Résumé :

A la manière de Thoreau près de son étang de Walden, Jean-Pierre Issenhuth cultive son jardin et interroge la matière de l'univers avec la même patience amoureuse, de sorte que son jardin peu à peu devient l'univers et l'univers son jardin. Il y a peu d'exemples, dans la littérature contemporaine, d'un tel décloisonnement des savoirs : le travail manuel, les relations humaines, l'écriture, la réflexion phi... >Voir plus
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Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
Je ne suis pas un intellectuel. Si on les laisse contrôler la vie, les
« choses de l'esprit » sont une prison comme une autre, et je leur ai refusé
le droit d'enfermer la mienne. J'ai des loisirs intellectuels, tout au plus.
Culte des Idées, culte de l'Art, du « grand visage de l'art qui éteint les
visages des vivants » (Witold Gombrowicz, Journal) — j'ai fui ces prisons
en gardant toujours les pieds et souvent la tête parmi les gens du commun.
Je suis donc mal placé pour imaginer une solution à la culpabilité des
intellectuels, si elle existe. Je ne la vois pas de l'intérieur. La seule issue
qui me vienne à l'esprit serait l'abandon pur et simple de l'illusion de la
« vie absolue ». « Les plus grandes autorités du Talmud furent des ouvriers
et des artisans en tous genres, et, habitués aux travaux pratiques, il leur fut
facile de combler le vide né de l'aspiration de l'hispano-chrétien à une vie
« absolue », éloignée de tout ce qui n'était pas sa conscience et l'expansion
de sa personnalité, fuyant tout ce qu'exige l'humble pratique des choses. »
( Americo Castro, cité dans Primo Levi, le double lien)
"La religiosité juive a ceci de spécifique qu 'elle attribue une valeur
absolue à l'action humaine, qui ne saurait se comparer à la mesquine
connaissance des causes et des effets terrestres. Dans quelque action que
ce soit de quelque homme que ce soit est contenu, jaillit copieusement
l'infini. Il n'appartient pas à celui qui agit, de comprendre de
quelles puissances il est le messager, de quelles puissances il est le
promoteur, mais que cet homme sache que la plénitude du sort du
monde, dans son enchaînement sans nom, passe à travers ses mains."
(Martin Buber, cité dans Primo Levi, le double lien)
Les intellectuels devraient-ils donc se changer en hommes du Talmud ? Je
ne connais pas d'exemples d'une telle métamorphose.
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Pourquoi les intellectuels s'entêtent-ils à proposer aux gens du
commun une assistance que personne ne leur demande ? S'ils ne sont
pas mus par un désir de spectacle ou de pouvoir, espèrent-ils, par une
perpétuelle et généreuse offre sans demande, se dédouaner des privilèges
que le statut d'intellectuel leur octroie ? L'existence quotidienne des
gens du commun est sans commune mesure avec la vie des intellectuels.
Fonctionnaires de la pensée et de l'écriture, pour la plupart, ils disposent
d'une liberté de manœuvre et d'une aisance dont nul ouvrier, nul employé
ne peut rêver. Se peut-il que les intellectuels les meilleurs, conscients de
cette différence, l'éprouvent comme une injustice, et qu'il en résulte pour
eux une culpabilité que l'honnêteté les empêche d'occulter ? Si c'est le
cas, comment l'offre d'assistance, qu'ils espèrent de nature à les libérer
d'un malaise, pourrait-elle se réaliser ? Par la fourniture d'idées aux gens
du commun ? Mais les gens du commun ont leurs idées, issues de leur
forme de vie, qui n'est ni stérile ni vaine. Ils pensent eux aussi, ils pensent
pour vivre. Ils ont les idées adaptées à leur situation, à leurs soucis, à leurs
désirs, à leurs desseins. Tout leur savoir-faire non machinal est chargé
de pensée. Que feraient-ils des idées de gens qui vivent et sont payés
pour penser, analyser, critiquer, interpréter, commenter ? Les gens du
commun vivent d'aspirations à la sécurité de base, la sécurité matérielle,
et la sécurité matérielle ne préoccupe guère les intellectuels ; en général
ils disposent d'elle pour la vie. Il y a là un hiatus, qui se manifeste avec
évidence aux élections : le verdict populaire correspond rarement aux
souhaits des intellectuels.
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Léautaud voyait dans le peuple « de braves bonshommes qui,
somme toute, se fichent pas mal de la culture et autres balivernes, et
se plaisent bien mieux, sans qu'on puisse leur en faire grief, chez les
mastroquets ou au cinéma que dans les livres ». Stéphane Audeguy note
chez une intellectuelle : « Comme toutes les personnes dont c'est le métier
d'être intelligent, Nicole Strauss est d'une naïveté confondante quand il
s'agit de décrypter son environnement immédiat » (La théorie des nuages).
Dans le Journal d'un intellectuel en chômage, Denis de Rougemont montre
que l'intellectuel qui veut se rapprocher des « braves bonshommes » doit
d'abord surmonter l'incapacité de Nicole Strauss. Après une première
rencontre significative avec des gens du commun, il écrit : « Il me semble
qu'elle m'a fait voir "le peuple" pour la première fois de ma vie'. » C'était
dans les années 1930. Qu'est devenu « le peuple » aujourd'hui ? Selon
Sloterdijk, « dans le capitalisme avancé », c'est « la masse de ceux qui
restent exclus de la surgratification. Le peuple, c'est ce qui peut être certain,
même à l'avenir, de ne rien recevoir en échange de sa simple apparition. »
Sloterdijk observe par ailleurs : « Les surgratifications stabilisées
produisent chez ceux qui les reçoivent des prétentions statutaires
caractérisées par une tendance élitaire. Les personnes surgratifiées de
manière chronique développent souvent le talent de considérer leurs
primes comme un tribut adapté à leurs prestations — ou, en cas d'absence
de prestation, à leur seul être eminent. » (Colère et temps) S'il en est ainsi,
où trouver un pont entre intellectuels et gens du commun ?
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Hopkins a abusé de ses forces en plongeant dans la misère populaire
de Liverpool et de Glasgow
; il n'était pas préparé à ce choc. Stendhal
se disait du côté du peuple, mais incapable de vivre avec lui. Denis de
Rougemont ne semble pas avoir supporté très longtemps la compagnie
des gens du commun. Après deux ans de tentatives admirables, il donne
des signes d'amertume et abandonne : « Les hommes sont ennuyeux les
uns pour les autres, dès qu'ils ont cessé de s'étonner les uns les autres,
et qu'ils n'ont pas le même genre de métier. Ce n'est pas la "classe" qui
nous sépare ici, mais la profession, les préoccupations professionnelles,
et le défaut de buts communs surtout, je pense... Il vaut mieux partir,
quand on en est là » (Journal d'un intellectuel en chômage). W avait pourtant
les meilleures intentions, et avait agi à partir d'une perception juste des
données : « Quant au peuple il y a belle lurette qu'il sait ce qu'on doit
penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux,
des espèces d'aristos qui ne vont qu'avec les riches. » avait même fait
mouvement vers le Talmud : « Il me semble souvent que plus je travaille
de mes mains, plus il me vient d'idées fermes et utilisables. Est-ce que
les vraies idées viendraient du seul contact des choses, par les mains ? »
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Debord cite cet extrait d'un poète de l'époque T'ang : « Je descendis
de cheval ; je lui offris le vin de l'adieu, et je lui demandai quel était le
but de son voyage. — Il me répondit : je n'ai pas réussi dans les affaires
du monde ; — je m'en retourne aux monts Nan-Chan pour y chercher
le repos. » C'est là, des siècles plus tard, au pied de ces mêmes monts
Nan-Chan, que Teilhard de Chardin, le 1er
janvier 1932, à neuf heures,
à la demande des participants à la Croisière jaune, prononça les mots
suivants :
Mes chers amis, nous nous trouvons réunis ce matin, dans cette
petite église, au cœur de la Chine, pour commencer en face de Dieu
l'année nouvelle. Dieu, pour chacun de nous ici, n'a sans doute pas
la même précision, la même figure. Mais, parce que nous sommes
tous des hommes, nous ne pouvons échapper, aucun d'entre nous, au
sentiment et à l'idée réfléchie que, au-dessus et en avant de nous, une
énergie supérieure existe, à laquelle nous devons bien reconnaître
— puisqu'elle nous est supérieure — l'équivalent agrandi de
notre intelligence et de notre volonté. [...] Nous souvenant de Son
omnipuissance, nous La prierons d'animer favorablement pour
nous, nos amis et nos familles, le réseau compliqué et en apparence
si incontrôlable des événements qui nous attendent au cours des mois
qui viennent — que le succès couronne nos entreprises, que la vraie
joie soit dans nos cœurs ; et dans la mesure où la peine ne saurait
nous être évitée, que cette peine se transfigure dans la joie supérieure
de tenir notre petite place dans l'Univers, et d'avoir fait ce que nous
devions ! (cité par Jacques Arnould, Pierre Teilhard de Chardin)
Le voyageur T'ang s'en allait vers les monts Nan-Chan pour y cesser
d'agir. Teilhard y vient pour entreprendre. Il situe le mystère de Dieu dans
l'énergie, source de toute animation. La comparaison de ces dynamiques
me montre à quel point je suis occidental, vis en occidental, et en mourrai
peut-être, sans que cette perspective m'inspire le regret de n'avoir ni su
ni souhaité arrêter d'agir, c'est-à-dire cesser d'être animé. Le voyageur et
Teilhard se sont éloignés, mais l'esprit de Teilhard a gagné la Chine, et les
monts Nan-Chan n'annulent plus deux dynamiques contraires.
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