Dans «
La minute prescrite pour l'assaut » de
Jérôme Leroy (un roman dont je vous recommande l'indispensable lecture en ces temps de phase terminale), cherchant à durer dans une atmosphère similaire de désagrégation sociale, les hommes conservaient leur humanité, leur nom, leur amour de la littérature et des grands vins.
On ne trouvera rien de tout cela dans «
Zone de combat », aucun baume au coeur dans cette écriture sous haute tension, ce texte puissant à la fois hypnotique, poétique et psychotique, à lire à voix haute (Ne pas cumuler cette lecture avec la prise de substances psychotropes, sous peine d'une déflagration dans la boite crânienne aux effets potentiellement irréversibles).
« Semaine 3
Dans les grandes lignes, en beaucoup moins d'une seconde
il fallait s'y attendre
tout a été complètement ravagé.
A quelques détails près, nous terminions tranquillement nos achats quand c'est affreux, s'il vous plait ne formez pas d'images comprenez bien, la zone a été complètement ravagée sur plusieurs centaines de mètres, encore aujourd'hui les éléments du décor ne formez pas d'images n'essayez pas, s'il vous plaît s'assemblent sous nos yeux, le relief du verre brisé sous nos pieds, les lambeaux de tissu tordus et gorgés d'huile, des résidus boueux de plastique, du sang bien sûr, il y avait du sang.
S'il vous plaît, sachez être patients.
Vous reprenez lentement des habitudes.
Vous respirez.
C'EST MIRACULEUX. »
«
Zone de combat » énumère, semaine après semaine, les consignes à des individus constituant un ou des groupes, énoncées comme une thérapie ou un coaching, consignes à suivre pour survivre aux traumatismes, pour ne pas rester englué dans la peur généralisée, peur des attentats terroristes, des suicides d'enfants ou de la violence aveugle, consignes anesthésiantes pour des individus mis sous contrôle. La soumission aux consignes peut aller jusqu'au bout, pour ces Icare aux ailes déjà brulées qui continuent de chercher une rédemption.
Hugues Jallon est le maître d'une plume qui sème le trouble par des phrases inachevées, des répétitions qui déshumanisent (Laissez la télé allumée en permanence mais surtout ne formez pas d'images.), la formation sous nos yeux d'un bien-être artificiel qui côtoie la terreur.
Pas une seconde relâchement pour ce texte qui laisse le lecteur en état de choc.