Le roman dont est issu le chef-d'oeuvre de Terrence Malick. Traditionnellement, on dit que le livre d'origine est plus riche que l'oeuvre filmée. Dans ce cas précis, je pense exactement le contraire. Pour moi, il ne fait aucun doute que le cinéaste a su tirer une épopée poétique et sombre d'un roman infiniment plus trivial, satirique, terre à terre, et pour tout dire anecdotique. Je ne dis pas que c'est un mauvais livre, pour les passionnés du dernier conflit mondial, c'est une mine, et pour tout lecteur il montre les mille facettes glauques de cette guerre démente. Comme tant d'autres livres de guerre. Mais sans véritable souffle, et toujours en scrutant ce qu'il y a de plus mesquin chez l'humain. Par exemple, là où Malick montre chez le capitaine Staros à la fois faiblesse psychologique et altruisme sincère, Jones le dépeint comme un lâche qui refuse d'engager davantage ses hommes parce qu'il pense un peu à leur vie... et surtout à la sienne, bouffé par la trouille comme c'est pas permis. Au niveau des sensations, c'est pareil: autant j'étais avec les soldats rampant dans les hautes herbes ondulant sous le vent , ressentant leur terreur, leur soif, leur quête désespérée d'un absolu auquel s'accrocher, le tout grâce à la caméra aérienne et lyrique de Malick (et la musique inspirée de Zimmer), autant chez Jones je suis resté extérieur, jamais impliqué, parce que la narration est délibérément froide et distante.
Alors je sais... Comparer un roman au film qui s'en est inspiré est une mauvaise idée, ce sont deux arts différents, avec en prime deux artistes engagés dans deux tonalités opposées... Oui, oui. N'empêche: le roman réaliste et caustique de Jones m'apparaît comme une carrière de pierres, certes nombreuses et rugueuses, mais qu'il restait à extraire de la caillasse pour en examiner le coeur. Et ça, c'est Malick qui a su le faire.
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Le film de Malick a suscité l'envie de lire cette épopée tragique , violente , d'hommes qui sont allez au péril de leur vie défendre la liberté sur des iles inhospitaliéres qui ce sont révélées des piéges mortels pour nombre d'entre eux. L'auteur a vécu cela , il apporte donc une vision réaliste à ce sujet , ce qui évite le manichéisme , trop souvent présent dans les films de propagande de l'époque. Cette expérience du terrain , du comportement des hommes dans le cadre fou d'un conflit ou il faut tuer pour ne pas étre tuer , confére une légitimité à cette oeuvre d'une puissance rare. Puissance car humanité , des deux cotés l'on mesure la folie des généraux qui pour leur propre gloire on sacrifiés tant d'hommes innocents. le mérite des livres sur les guerres c'est de démontrer l'absurdité meurtriére de ces conflits inhumains dont l'humanité est hélas tellement friande....
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Récit de l'engagement de la compagnie C comme Charlie dans la bataille de Guadalcanal, J'ai d'abord découvert l'adaptation cinématographique par Terence Malik, c'est elle qui m'a donné envie de lire le livre et je n'ai pas été déçu, l'oeuvre de Malik est bien filmée mais le bouquin est beaucoup plus riche
Terrifiant et combien humain.
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Il était étendu sur le dos et, engourdi et rêveur, il contemplait les beaux nuages éblouissants de blancheur qui voguaient très haut dans le ciel bleu, comme de grands voiliers paisibles au grand soleil des tropiques. Il avait un peu mal, quand il respirait. En sombrant dans l'inconscient, il comprit très vaguement qu'il allait peut-être mourir.
En avant! En avant! rugit Gaff.
Instantanément, ils furent sur pied et en pleine course. Ils n'avaient plus à se poser de question, ni à s'inquiéter de courage ou de lâcheté. La mécanique humaine prenait la relève, pompait l'adrénaline dans les veines, faisait battre les cœur et monter la tension, et ils approchaient autant de l'état d'automates sans bravoure et sans peur qu'il est possible, pour des êtres de chair et de sang. Insensibles, ils firent ce qu'il y avait à faire.
Pourquoi lui, John Jacques, matricule tant, avait été choisi pour subir ce sort-là ? Quelque part, un inconnu avait glissé un étui de métal dans un tube, sans trop savoir où il retomberait, sans même savoir où il voulait qu'il atterrisse. L'obus était monté, puis retombé. Et où était-il retombé ? Sur John Jacques, matricule tant. Quand il avait éclaté, des milliers de bouts de ferraille tranchants étaient partis en sifflant et en chuintant dans toutes les directions. Et qui donc avait été le seul à en recevoir ? John Jacques, matricule tant. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Aucun ennemi n'avait braqué quoi que ce soit contre John Jacques, matricule tant. Aucun ennemi ne connaissait seulement l'existence de John Jacques, matricule tant. Pas plus que lui-même ne connaissait le nom, le caractère et la personnalité du Japonais qui avait glissé l'obus dans le tube. Alors pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi John Jacques, matricule tant ? Pourquoi pas quelqu'un d'autre ? Pourquoi pas un de ses potes ? Et maintenant, c'était fait. Bientôt, il serait mort.
Ils se figuraient qu'ils prenaient des décisions, qu'ils menaient leur vie à leur guise, et s'arrogeaient fièrement du titre d'hommes libres. La vérité, c'était qu'ils étaient là, et qu'ils allaient y rester, jusqu'à ce que l'État ou une quelconque autorité leur dise d'aller ailleurs, et ils iraient.
Ainsi, la petite attaque d'essai de Bugger Stein était terminée. (...) Au cinéma, dans un roman, on dramatiserait en étirant le suspense, jusqu'à cette attaque. Et quand elle arriverait, cette attaque, au cinéma ou dans un roman, elle serait satisfaisante, décisive, elle servirait à quelque chose de précis. Elle aurait un semblant de signification, un semblant de sentiment. Et tout de suite après, rideau noir, musique, chocolats glacés, pochettes surprise. Les spectateurs rentreraient chez eux, et repenseraient à ce semblant de sentiment. Même si le héros se faisait tuer, ça voudrait quand même dire quelque chose. L'art, se dit Bell, l'art créateur - c'est une belle merde.
"La ligne rouge" (vo "The thin red line") - 1998