« La
jeunesse a toujours eu le goût des gestes inutiles et des passions désespérées ».
Par où commencer ? j'ai un tropisme pour les auteurs oubliés ou inconnus. Dans le cas d'
Eric Jourdan c'est délibéré. le fils adoptif de l'académicien
Julien Green exécrait la notoriété médiatique et les cercles culturels. Paradoxalement, c'est sa disparition en 2015 qui a, selon le journaliste
Frédéric Martel, permis la sortie du journal intégral de son père adoptif (voir aussi le bouquin « Rencontres avec
Eric Jourdan » pour les plus curieux…).
Quant à cet ouvrage, écrit en 1955 et immédiatement censuré par la Commission du livre, il n'a fatalement pas contribué à la notoriété d'alors de son jeune auteur de dix-sept ans.
“ je posais la main sur son dos, à l'endroit où une mince bouche de soleil mordait la chair, car le soleil s'infiltrait par toutes les fentes des contrevents pour connaître la suite de notre histoire.” le style est minutieux, quoiqu'un peu ampoulé, empreint de poésie et de préciosité et mêle réserve et impudeur. le procédé littéraire, consistant à donner la parole à différents narrateurs est d'emblée intéressant. de cette contrainte, l'auteur peut faire naître un relief plus dense, plus précis et plus complexe et mettre le lecteur à contribution.
« c'est le propre de l'amour de faire éternellement des derniers gestes. ». L'histoire est presque prototypique, l'initiation aux plaisirs, la découverte des sens, la passion adolescente, la cousinade estivale qui prend une forme toute intime, l'histoire « fatal and fated » comme l'écrivait le poète
Lord Byron.
“Les impressions fugitives dont la vie tire son feu d'artifice s'évanouissent aussitôt nées (...) fussent les jambes d'un cycliste trop vite aperçues pour qu'un regret ne vint se mêler à l'impuissance de les revoir (...) n'importe quelle scène où la beauté se livre, le propre de leur charme est leur prompte disparition. A seize ans, on en rêve ; à vingt ans, on en meurt de désir. »
« La sensualité des hommes très jeunes est très bornée. le plaisir les retient à peine. Ils sont trop préoccupés de trop de choses nouvelles, et ils continuent à jouer » écrivait
Louis Aragon. L'éveil des sens, l'appel de la chair, l'épuisement vain du sujet amoureux dans la fusion avec l‘objet de son désir amène des jalousies, des tentations multiples et d'amères lucidités : “et l'ultime possession, l'idée d'entrer dans un corps ne signifiait rien que l'impuissance à être
l'autre », nous naissons et mourrons seuls, l'amour, l'altérité et autrui nous apprennent rudement notre solitude. Mais l'expérience de l'amour est un formidable accélérateur d'éducation : « en huit jours, il fit de nous des hommes. »
“je me voulais libre, libre d'aimer un corps comme le mien.” Il est assez établi que ce qui motiva la censure à l'époque ne fut pas étranger au fait que les deux jeunes cousins s'appelassent Pierre et Gérard.
Pourtant la passion dévorante et dévoreuse que relate ce livre dans tout le velours de sa violence, dans toute la volupté de son innocence, se veut plus universelle que militante, bien que l'impossibilité de vivre au grand jour soit davantage liée au rejet social d'un amour de garçons qu'à la haine entre les Capulet et les Montaigu, « nous butions à chaque instant contre le réel avec l'aveuglement d'oiseaux sur une vitre.”
« Dans les désirs d'un garçon il y a l'envie de posséder aussi la beauté de
l'autre. » L'auteur sacrifie, et c'est le malaise du livre, à une forme de mythologie de l'homo-érotisme, où le culte de la virilité des éphèbes, de la dialectique de l'amour et de la domination, de la violence qu'elle soit froide ou irascible, de la destruction d'une beauté irrésistible et indomptable sont omniprésents, de Mishima à Guibert, en passant par
Pasolini.
Qu'en pensez-vous ?