La monographie de
Samia Kassab-Charfi (Editions GALLIMARD/
Institut Français) sur l' Ecrit de
Patrick Chamoiseau est un ouvrage important tant par la qualité de l' analyse des textes de cet auteur que par l'invitation à leur lecture qu'elle suscite.
Lorsque vous aurez lu ce livre, vous aurez sans aucun doute l'impression d'avoir été mis au Monde de la Parole.
Mais quelle est donc cette parole?.
Chamoiseau est un conteur, créant l'alchimie entre la blesse ( matrice sanguinolente du ventre de la cale) et l'émerveille, « cette lumière jaillit du frottement entre le merveilleux et le réel ».
Il recompose le chaînon manquant de la mémoire. Il tente par « l'oraliture » de trouver cette pièce manquante, ce hiatus de la mémoire.
Il dit le traumatisme, le « syndrome » des plantations.
Le langage poétique de Choiseau greffe la mémoire par « les boutures créoles ».
L'émerveille entraînera l'éveil. « Et par ce verbe, il éveille la vie ».
Il met en Culture les consciences, celle du passé : « nous étions », celle du présent : « nous sommes », celle du futur : « nous deviendrons dans la totalité de la grande mosaïque humaine ».
Sa parole est vigilance constante, respectueuse de nos opacités, et se donne pour se faire entendre « Nous sommes paroles sous l'écriture ».
Et cette ouverture de paroles ne peut se concevoir que par l'interaction incessante et constante des langues. Les langues se doivent parole entre elles.
Chez Chamoiseau, la langue des marrons et la langue des békés ne viennent pas se fracasser l'une contre l'autre, ne se repoussent pas.
Elles ont tant à se dire entre elles! Et tout d'abord , l'indicible ce « en de-çà de l'écrit ». Ainsi naîtra de cette bi langue, neuvième conscience des mots : l'ainsité, le tout de la Parole, son universalité.
A l'image du personnage de Foufou, petit colibri, Chamoiseau « insémine la parole créole dans l'écrit neuf. » .
La résonance de ses sons est omniprésente comme si, sur les peaux, se répercutait la mémoire.
Le créole emplit l'espace laissait vacant, le dimanche des souvenirs immémoriaux ,l'espace entre le silence du marron et le cri en cale.
C'est cette page que la plume de Chamoiseau remplit.
Comme si le langage était un filin reliant les hommes au Monde. « Quand on perd la mémoire, on perd le Monde » dit Man l'Oubliée.
Pour éviter la perdition, le naufrage, il est l'un des passeurs de la mémoire des Caraïbes.
Il faut se dire, se nommer, se reconnaître, pour prendre place parmi son espace. , dans sa propre terre qui est toujours notre première chair..
Quelle est la nature de cette ré appropriation?.
Il convient de la redéfinir : héritage. hasard, dom-tomisation, conquête ?...
Et cet espace, il conviendra également se le dire afin de s'y installer définitivement. Villes, banlieues, espaces vierges et sauvages. Tout doit être connu.
De la caille ( maison) de paille à la caille en béton. La poétique de l'espace de Chamoiseau est foisonnante, lumineuse, violente, retentissante, nourricière.« Ut pictura poesis ».
Guerrier de l'imaginaire,, il lève par sa plume l'envoûtement de la malédiction.
Il poursuit son devoir de désaliéanation. Il déclare qu'il y a un Possible.
Le devoir de parole est le levier le plus solide pour que l'espoir se dresse.
Fils de
Césaire, de
Rabelais, de Glissant, de Segalen, de Fanon, et de tant d'autres pères,
Patrick Chamoiseau est un émerveilleur de conscience.
Le livre de
Samia Kassab- Charfi nous invite à suivre le marquage de sa parole.
L'insertion dans cet ouvrage des enregistrements audios (INA) des entretiens de l'auteur avec A. Veinstein, A Spire ( France Culture) et Y Calvi ( France inter) ne peuvent que renforcer notre envie d'entendre battre le coeur des Caraïbes.
La parole de Chamoiseau est si dense et si riche qu'il conviendra, sans aucun doute, y revenir.
Astrid SHRIQUI GARAIN