La trilogie Berlinoise se compose de
L'été de cristal,
La pâle figure et
Un requiem Allemand. Je vais tout de suite mentionner une petite chose qui me parait gênante dans la traduction des titres : le premier volume aurait dû s'intituler Les violettes de Mars (en raison de ce mouvement citoyen, je devrais dire cette ruée pour s'inscrire au Parti et obtenir des cartes avec une date d'ancienneté la plus lointaine possible...), et le second
L'été de cristal, en référence à ces fameuses nuits où le bon peuple allemand cassait les vitrines des commerçants juifs... Je ne sais par quelle bizarrerie le traducteur n'a pas suivi cet ordre, mais c'est dommage...
Dans
l'été de cristal, le lecteur fait connaissance avec le détective privé Bernie Gunther. Il possède toutes les caractéristiques que sa profession exige, au moins sur le plan littéraire : désabusé, cynique, courageux et chanceux, coureur de jupons, aimant travailler en solitaire, amateur d'alcool et doté d'un sens de l'humour particulier, n'hésitant pas à sortir une blague ou un bon mot (quoique, certaines des expressions employées par ce brave Gunther m'ont parfois laissée perplexes, je n'en ai pas toujours saisi le sens…) dans les situations les plus dangereuses.
Jusqu'ici rien que de très banal pour un polar. Mais voilà, Kerr a eu la bonne idée de situer le roman en 1936 à Berlin. Un fonds historique des plus intéressants.
Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il ne faisait pas bon vivre à Berlin en 36, et remarquez, après non plus.
A cette date, on assiste à la montée en puissance du parti national-socialiste, les lois de Nuremberg ayant été adoptées en 35. Et Berlin se prépare à accueillir les J.O....
Autant dire que le climat est quelque peu trouble dans cette ville. D'ailleurs, Bernie s'est fait une spécialité : la recherche de personnes disparues, activité que l'on devine aisément prospère...
Bernie doit donc enquêter sur la mort de la fille d'un riche industriel, Hermann Six. Et accessoirement retrouver des bijoux et des dossiers compromettants.
Par chance, Gunther est un bon détective qui a deux atouts : c'est un vétéran de la guerre contre les Turcs et un ancien policier (de la Kripo). Les rebondissements seront nombreux et les chausses-trappes fréquents. le privé aura même droit à un petit séjour à Dachau, lieu de sinistre mémoire…
Deux ans plus tard, dans
La pâle figure, Gunther a réintégré provisoirement la Kripo pour tenter d'arrêter un serial killer qui s'en prend à de jeunes et blondes Allemandes. Il fait équipe avec deux ou trois policiers dont le violent Becker que nous retrouverons en mauvaise posture dans le troisième volet. Gunther est bien évidemment manipulé, devant se garder des faux-amis et des traîtres. Un vrai panier de crabes…
Le requiem allemand. 1947 : Bernie Gunther vit chichement et marié (!) à Berlin où tout n'est que ruines. Il a traversé la guerre sans trop de dommages et le voilà qui reprend du service pour un gradé Russe, lequel désire sauver une vieille connaissance du détective, Becker, emprisonné à Vienne pour le meurtre d'un Américain. Vienne comme Berlin ploient sous le joug des Alliés : Anglais, Américains, Russes et Français contrôlent, surveillent, manigancent, complotent, bref, c'est l'anarchie la plus totale. le requiem allemand m'a paru être un clin d'oeil au Troisième homme de
Graham Greene.
Je n'en dirai pas plus sur les multiples intrigues, car il n'y a rien de pire, en chroniquant un polar, de dévoiler trop de faits ou de mentionner des personnages clés. Pour ma part, ce ne sont pas les enquêtes qui font le sel de ces romans mais bien le contexte historique.
Philip Kerr a une connaissance étonnante du Berlin d'avant-guerre, suivant son personnage principal dans les rues de la ville, dans les principaux lieux où les nazis opéraient, dans les bars sordides… La faune rencontrée n'est pas très différente de celle qui peuple les pages des romans d'
Ellroy : prostituées, riches industriels, actrices, indics, policiers véreux… mais à ceux-là s'ajoutent des personnages moins courants : espions, membres du parti nazi et certaines figures tristement inoubliables comme Himmler, Goebbels ou Müller. Dans l'ensemble la plupart des personnages possèdent tous un fonds de cruauté remarquable…
Je n'ai pas particulièrement goûté les incontournables scènes de sexe ou les dialogues fort crus entre les différents protagonistes mais enfin, ce ne sont pas ces petits détails qui m'ont empêchée d'aimer ces livres. Plus dérangeantes en revanche furent les scènes de torture. En dépit de cela, j'ai été scotchée par les descriptions du quotidien des Berlinois à cette époque. Ce qui est glaçant, c'est que Kerr a bien su rendre les comportement aussi bien du peuple que des nantis : ce mélange d'indifférence, de faiblesse, d'orgueil qui a conduit à la montée en puissance du nazisme. Evidemment certains allemands n'appréciaient pas la tournure des événements, la façon dont les juifs étaient traités mais il n'y eut point de mouvement populaire pour s'opposer à cette escalade. du reste, le troisième roman qui se passe en 1947 est peut-être encore plus effrayant. Non seulement certains hauts dignitaires nazis continuent à passer à travers les mailles du filet avec la complicité des Alliés, fait déjà écoeurant en soi, mais les Berlinois, comme les Viennois d'ailleurs, ne semblent pas avoir la pleine mesure des atrocités commises par leurs nations respectives (à ce propos, l'Autriche en prend pour son grade…). Les Russes se comportèrent de manière tout aussi moche, et finalement, le sort des Berlinois fut moins enviable encore après 1945 que durant le nazisme.
Je suis donc ravie (même si cette trilogie remets en mémoire des événements qui laissent un goût amer) d'avoir découvert la série de Kerr et je crois que je me laisserai tenter par un quatrième volume, d'autant qu'il se passe en Amérique du sud, lieu de prédilection des nazis qui échappèrent à la justice européenne.
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