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EAN : 9782370550637
470 pages
Le Tripode (28/05/2015)
  Existe en édition audio
4.34/5   1246 notes
Résumé :
Empreint de réalisme magique et d'un souffle inspiré des sagas islandaises, L'homme qui savait la langue des serpents révèle l'humour et l'imagination délirante d'Andrus Kivirähk.

Le roman qui connaît un immense succès depuis sa parution en 2007 en Estonie, retrace dans une époque médiévale réinventée la vie d'un homme qui, habitant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l'emporter.

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Critiques, Analyses et Avis (251) Voir plus Ajouter une critique
4,34

sur 1246 notes
Cet auteur est juste incroyable !
C'est le deuxième ( et pas le dernier) roman que je lis de lui. Ses histoires sont incroyables et emmènent le lecteur dans un autre monde , un autre univers et pourtant il est d'une justesse sans nom.

A travers ses contes, ses légendes repris et transformés, on suit la rencontre entre le monde de la forêt et celui de la ville. La confrontation entre le magique , la religion... En fait, je crois que ces romans son emprunts d'une certaine philosophie, mais l'auteur tourne les choses de façon si magique ,si fantastique, que c'est lié a la mythologie qu'on aborde des sujets importants sans s'en rendre vraiment compte.
Je suis même sûre aujourd'hui qu'il faut plusieurs lectures de ce roman pour pouvoir en saisir tous les tenants et tous les aboutissants.

Et c'est sans oublié tout le côté humoristique qui donne une immense légereté à cette oeuvre

L'écriture de l'auteur est magique , prenante , envoutante et tellement juste. Je ne peux que recommander vivement la découverte d'un tel auteur
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Connaître et siffler les mots des serpents qui assujettissent les loups, les ours ou les élans, qui font des reptiles ses amis, en voilà un don linguistique ancestral qui facilite la vie sylvestre et mérite la transmission culturelle. Pourtant la forêt se déserte d'humains au profit des villages, où la modernité fanfaronne avec des faucilles, du pain ou des rouets, où Jésus-Christ est le must de la tendance branchée : «  Papa est d'une autre génération, les trucs des jeunes, ça le dépasse. C'est comme ça, il a fait son temps. Qu'est-ce qu'on pense de Jésus par chez nous ? Moi, je l'adore. J'ai son image au-dessus de mon lit. »
L'on est quelque part en Estonie, quelque part dans un monde médiéval en trompe-l'oeil de fable romanesque. Il y a Leemet le narrateur comme le dernier des Mohicans, l'on croise sur son chemin des anthropopithèques des cavernes un brin nostalgiques, un sage des esprits et des ondins pour le moins sanguinaire, un traditionaliste obscur aux contours à peine cachés de nationalisme. L'on rigole d'amours tendres et délicieux entre ours libidineux et filles nubiles, l'on médite sur les sirènes de la modernité et le poids des coutumes, l'on découvre le temps sacré de la Salamandre qui savait bouter hors de la forêt les hommes de fer. Et l'on frémit aux chocs des civilisations et son déchaînement de violence. Et puis « il n'y a plus personne dans la forêt ».

J'ai dévoré ce roman culte (450 pages) venant d'Estonie. Une sorte de mise en abyme de mondes qui disparaissent, avec une ironie mordante à nous montrer l'ancien comme nouveau, aux accents mirobolants teintés d'anachronisme, d'absurde, de drôlerie et de méditation sous-jacente sur la culture, la différence, le poids des traditions et l'attrait du moderne.
J'ai ri (beaucoup, surtout dans la première moitié), j'ai pas dormi, j'ai empathi (même avec un serpent), j'ai frémi. Et puis je l'ai fini (avec regrets).



« 

« Je l'ai rencontré dans la forêt. On ne se connait pas vraiment, on s'est vus qu'une fois ou deux. Je t'en prie maman, ne commence pas ! Je sais que tu ne supportes pas les ours, mais lui il est tout gentil, et puis il n'y a rien de sérieux entre nous, on se dit juste bonjour quand on se rencontre. »
« Salme, à ton âge on ne fréquente pas les ours ! » dit maman en tombant assise, l'air épouvanté, comme si un éclair venait de foudroyer le toit de notre cabane et de mettre le feu à son ménage.
« Il n'y a rien entre nous ! », répliqua Salme. « Tu entends ? On se dit juste bonjour. »
….
« Salme, les ours ça ne pense qu'à une chose ! »
« Ah oui, et à quoi ? »
« Tu le sais très bien ! Je t'interdis, tu m'entends, je t'interdis de revoir cet ours ! Ils sont beaux gosses et costauds, mais ils n'amènent que du malheur. »

 »
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Il y a fort fort longtemps, les estoniens vivaient au coeur de la forêt en totale harmonie avec la nature. Et puis, de la mer, sont venus les chevaliers allemands et avec eux, la modernité et le christianisme. Eblouis par ces hommes de fer, convaincus par les moines, les estoniens ont peu à peu quitté les bois pour vivre dans des villages, cultiver la terre et adorer Jésus-christ.
Mais Leemet n'est pas de cette eau là! Certes, il est né au village mais suite à un incident malheureux mettant en scène un ours, un adultère et une décapitation, sa mère est retournée dans la forêt avec ses deux enfants. Leemet a donc grandi dans le respect des traditions ancestrales et surtout, il a appris la langue des serpents. L'apprentissage fut douloureux, il n'est pas donné à tout le monde de communiquer avec les vipères royales et de se faire obéir de tous les animaux. Mais Leemet a tenu bon, s'est musclé la langue et, brillant élève, a fini par maîtriser entièrement ce langage, sans se douter qu'il serait un jour le dernier homme à le parler...En attendant cette ère funeste, Leemet vit heureux dans cette forêt qu'il connait par coeur. Avec ses amis, Pärtel et Hiie, sans oublier Ints, le jeune vipèreau, ils parcourent les bois en tout sens, rendent visite au dernier couple d' anthropopithèques éleveurs de poux, se régalent de délicieux rôtis d'élans ou de chevreuils et parfois jettent un oeil au village, intrigués par ces hommes qui ont oublié la langue des serpents, courbent l'échine dans les champs et se nourrissent de pain et de soupe d'orge. Bien sûr, leurs filles ne manquent pas de charme mais s'installer au village ce serait abandonner la liberté d'aller à sa guise, renoncer au plaisir interdit d'observer les femmes se flagellant, nues, à la cime des arbres certaines nuits de pleine lune, oublier la légendaire salamandre qui dort, bien cachée, quelque part au fond des bois. Leemet n'est pas prêt à cela et même quand la forêt se dépeuple inexorablement, même quand son meilleur ami suit le mouvement, même quand sa soeur se met en ménage avec un ours faute d'homme à marier, même quand il se sent seul, même quand Ülgas, le sage étend sa néfaste influence aux derniers résistants, Leemet tient bon, convaincu que ceux qui sont attirés par les sirènes de la modernité ont perdu toute raison. Seul rescapé de l'exode, il vivra seul, dernier homme du peuple de la forêt, dernier gardien des traditions.


Que dire de cette fantastique épopée pour que le public français en fasse le succès littéraire qu'il connait déjà en Estonie? Peut-être que chacun y trouvera son compte...Les écolos découvriront une ode à la nature où l'on l'homme vit en symbiose avec le règne animal, ne prélevant que ce qui lui est nécessaire pour vivre. Les amateurs de fantastique pourront lire une histoire épique où un cul-de-jatte peut s'envoler dans les airs tel un oiseau, une salamandre peut repousser l'envahisseur si des milliers d'hommes lui en sifflent l'ordre. Les assoiffés de sang y trouveront le récit de batailles sanglantes, de morts atroces, de rites sacrificiels. Ceux qui aiment rire seront comblés par la tournure comique de certaines scènes, quand les femmes de la forêt s'offrent aux ours patauds, mignons et terriblement séducteurs, quand les villageois se pâment devant le crottin de cheval que les chevaliers sèment dans les champs tandis que les filles s'émerveillent du chant des moines auxquels on coupe "les choses" pour rendre leurs voix plus mélodieuses, quand tous vénèrent Jésus comme une idole. Les historiens en apprendront beaucoup sur la culture estonienne, ses mythes, ses légendes. Et tous aimeront Leemet, le dernier homme à pouvoir parler avec les serpents. Il a bien essayé de vivre au village mais n'a pas su s'y adapter. Même si le récit de la disparition inéluctable de son mode de vie prend parfois des accents tristes et tragiques, ce n'est pas pour autant une histoire larmoyante et nostalgique, c'est juste le constat que l'avancée de ce qu'on appelle le progrès est inéluctable mais que l'on peut choisir de s'y soustraire, en toute connaissance de cause, quitte à être le dernier.
Il y aurait encore tant à dire mais l'ultime conseil sera : Précipitez-vous sur ce livre hors du commun!!
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« Dans mon temps, c’était beaucoup mieux… » ou alors « C’est dépassé tout ça , ce n’est plus tendance ! » Quel que soit le camp que l’on défend avec fanatisme, on perd toujours quelque chose… C’est ce que nous apprend cette fable sur le changement, qui dénonce avec le même humour ceux qui s’accrochent absurdement au passé et ceux qui adoptent aveuglément les idées nouvelles venues d’ailleurs.

L’histoire raconte une Estonie d’autrefois, un pays où on vivait dans la forêt et où on parlait encore la langue des serpents. Mais des chevaliers venus d’ailleurs ont apporté l’agriculture et la vie dans les plaines et les villages et peu à peu, les créatures fantastiques sont disparues. On y retrouvait même des anthropopithèques qui voulaient vivre dans les arbres comme leurs ancêtres !

Les étrangers amènent de nouvelles religions et les croyances se heurtent. De nouveaux Dieux remplacent les anciens, avec des logiques parfois bizarres. L’auteur traite la chose avec beaucoup d’ironie. Par exemple, lorsque le héros s’étonne que des moines civilisés castrent les jeunes garçons pour qu’ils puissent mieux chanter et que des villageois disent vouloir participer à cette modernité…

Les tenants du passé glorifient la puissance d’autrefois et rêvent de revanche. N’est-ce pas absurde de vouloir massacrer des gens pour venger les torts des générations précédentes ?

Malgré son ton souvent léger, on peut aussi réagir aux émotions du dernier homme, un homme sur qui le malheur s’acharne, puisque ses amours disparaissent, puisque son entourage se fait massacrer et que tout contribue à ce qu’il ne puisse transmettre son savoir.

Voilà donc une fable de l’Estonie, mais qui rejoint bien d’autres sociétés qui sont écartelées entre les modes de retrouver « les vraies valeurs de nos ancêtres » et l’obsolescence planifiée du prêt-à-jeter moderne ? Ne peut-on pas ainsi discuter de la diète paléolithique sur Facebook ?

Pour ma part, je ne crois pas que le passé soit la voie de l’avenir… mais je n’en oublie pas pour autant la devise du Québec, « Je me souviens… »

*Pour un résumé voir plutôt la critique de Sandrine57. C'est tellement bien dit que je ne veux pas répéter. :-)
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Bien sûr, tout comme moi, vous détestez les serpents ! Et pourtant ! En ouvrant ce livre, vous n'imaginez pas l'aventure que vous allez vivre en leur compagnie.
Vous y rencontrerez Leemet, enfant au début du roman, héros profondément attachant et narrateur de ce qui s'avère être une véritable fable décalée dont chaque épisode fourmille d'inventions surprenantes.

Vous y croiserez des ours libidineux qui se tressent des couronnes de pissenlits pour séduire les femmes, de sages serpents incompris qui méprisent les âneries fanatiques des humains, , un grand-père increvable à la fureur jubilatoire qui se fabrique des ailes avec des os humains, une salamandre géante depuis trop longtemps endormie… Sans compter Leemet, héros follement attachant et terriblement seul face à la bêtise humaine qui refuse toutes les différences.

L'histoire parfaitement construite, parvient sans peine à jouer sur tous les registres, entre épique et burlesque, aussi bien capable d'émouvoir à l'extrême que d'arracher un sourire.
Drôle, touchant, philosophique, magique, parfois mélancolique, parfois tragique ce roman est une pépite, un livre qui ne ressemble à aucun autre et qui ne s'oublie pas.
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critiques presse (1)
LeMonde
18 février 2013
Comme aux meilleurs enterrements, on s'amuse beaucoup. Le premier grand talent du jeune auteur estonien (et de son traducteur français) est de faire rire de sujets complexes, dans un contexte littéraire peu évident, qu'on suppose bien plus explicite à Tallinn.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (189) Voir plus Ajouter une citation
Tout cela, c’est Oncle Vootele qui me l’a raconté. Moi, mon père, je ne m’en souviens plus. Et maman n’aimait pas parler de lui : à chaque fois, elle se raidissait et elle changeait de sujet. Je crois que jusqu’au bout elle s’est tenue pour responsable de sa mort, et peut-être bien qu’elle avait raison. Elle s’ennuyait au village, vu qu’elle ne s’intéressait pas aux travaux des champs ; pendant que son mari allait labourer, tout faraud, elle traînait dans les bonnes vieilles forêts qu’elle connaissait bien, et c’est ainsi qu’elle fit la connaissance d’un ours. La suite est claire comme de l’eau de roche, c’est d’une telle banalité. Bien peu de femmes leur résistent, ils sont si grands, si tendres, si gauches, si velus. Et puis ce sont des séducteurs nés, les femmes les attirent à ce point qu’ils ne perdent jamais une occasion de s’approcher de l’une d’entre elles pour leur grogner quelque chose à l’oreille. Dans le temps, lorsque notre peuple vivait encore en majorité dans la forêt, il y avait sans arrêt des histoires de femmes qui s’acoquinaient avec des plantigrades, jusqu’à ce que le mari tombe sur les amoureux et chasse le grand brun.
Bref, le galant se mit à nous rendre visite, toujours à l’heure où mon père était aux champs. C’était une créature fort amicale – Salme, qui a cinq ans de plus que moi, se souvient de lui et m’a raconté qu’il lui apportait toujours du miel. Comme tous ses congénères en ce temps-là, il parlait un petit peu, car ce sont les moins bêtes des animaux, à part les serpents bien entendu, qui sont nos frères. Les ours, bien sûr, ils ne disaient pas grand-chose, et ce qu’ils disaient n’était pas particulièrement intelligent – mais un amoureux a-t-il besoin d’être brillant ? Et pour les choses de tous les jours, cela suffisait largement.
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-Est-ce que ces braillements vont se terminer un jour ? On aura jamais la paix, il passe son temps à ouvrir tout grand la gueule et à hurler comme un loup !
-Cher vieux voisin, répondit le moine paisiblement, ce genre de musique est aujourd'hui fort en vogue dans la jeunesse. Tu es âgé, tu as d'autres goûts, mais tu devrais comprendre que le temps va de l'avant et que ce qui ne te plaît pas peut procurer du plaisir à la jeune génération qui prend exemple sur Jésus-Christ.
-C'est ce type qui t'a appris à chanter comme ça ? cria le petit homme trapu.
-Bien sûr que c'est le Christ. C'est l'idole des jeunes. De telles mélodies sont celles qu'entonnent les anges au paradis et les cardinaux en la sainte ville de Rome. Pourquoi devrai-je m'abstenir de les chanter si tout le monde chrétien les entonne ?
-Chez moi, c'est pas le monde chrétien, coupa le Sage des Vents. Pardonne-nous de t'avoir déranger, tu devais être en train de faire la sieste.
-Bien sûr que je faisais la sieste ! Et juste au moment où je dormais le mieux, voilà ta charogne de fils que se met à pleurnicher comme si la merde était venue lui boucher le trou du cul !
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« C’est quoi ? » dit Pärtel. « C’est le pain ? Tu l’as pris ? »
« Je n’ai pas pensé à le jeter. »
Il s’approcha et caressa prudemment du doigt la fine croûte brune et craquante.
« On y goûte ? »
« Non ! » s’écria Hiie. « Il ne faut pas ! C’est interdit de manger du pain ! Papa ne veut pas ! Maman dit que c’est du poison ! » « Ça, sûrement pas, vu que mon père en mangeait avant de mourir. » En prononçant ces mots, je me rendis compte qu’ils étaient ambigus, et fort peu encourageants. « Enfin, je veux dire, ce n’est pas de cela qu’il est mort », ajoutai-je précipitamment. « Maman aussi, elle y a goûté. Elle dit que c’est dégoûtant, mais c’est tout. Et les villageois, ils en mangent tout le temps. » « En voilà un exemple ! » s’écria Ints. « C’est peut-être bien ça qui les rend bêtes. »
« Juste un bout », argua Pärtel. « Une tout petite miette. Pour voir ce que c’est que ce truc bizarre ! »
« S’il vous plaît, ne faites pas ça ! » supplia Hiie, les yeux écarquillés de terreur. « Il va vous arriver malheur ! J’ai peur ! »
Ce fut sa frousse qui nous décida. Il fallait lui montrer que nous n’avions pas peur d’un bout de pain.
« Allez, une lichette », dis-je, en rompant la miche d’une main légèrement tremblante : c’était quand même interdit, et je n’étais pas tranquille. Peut-être que cela brûlait comme les orties ? Ou alors cela faisait vomir ? Mais Pärtel s’était déjà servi : nous tenions chacun notre bout de pain entre les doigts en nous regardant. Puis nous inspirâmes profondément, enfournâmes le pain et entreprîmes de mâcher.
En tout cas, ça ne brûlait pas et ça ne donnait pas la nausée. Mais ça n’avait pas non plus vraiment de goût. C’était sec et désagréable, comme de l’écorce : le genre de chose qu’on peut mâcher aussi longtemps qu’on veut, mais qu’on aura toujours du mal à avaler.
Hiie et Ints avaient les yeux fixés sur moi : l’une avec une mine terrifiée, l’autre un air dédaigneux.
« Alors, c’est comment ? » piailla Hiie.
« Ça va », dis-je héroïquement. « Ça ne fait rien du tout. »
« Oui », confirma Pärtel. « Ça se laisse manger. »
« Ça suffit comme ça ! » supplia Hiie.
En vérité, nous n’avions guère envie de répéter l’expérience, mais il aurait été embarrassant de s’arrêter là. C’est pourquoi, sans prêter garde aux supplications de Hiie, nous nous mîmes à rompre d’autres morceaux et à les mâcher lentement.
Il y avait quand même de quoi être fiers – manger du pain, ce produit mystérieux et prohibé, qui par-dessus le marché n’avait pas bon goût : voilà un exploit viril. De petits garçons n’y seraient pas arrivés, ils auraient recraché, mais nous, nous avalions sans faiblir. Nous étions des grands, des adultes.
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Qu'est-ce qui leur avait pris de ramper jusqu'ici alors qu'ils auraient pu rester au village au milieu de leurs râteaux, de leurs pelles à pain et de leur meule à bras? Puisqu'ils s'étaient construit un monde nouveau, ils auraient dû laisser l'ancien tranquille, ils auraient dû l'oublier. Mais à l'évidence, ils en avaient été incapables, vu que la couronne des vipères royales et le langage des oiseaux les alléchaient encore, et tant d'autres secrets de la forêt qui, dans leur mémoire, s'étaient étrangement déformés jusqu'à prendre une autre signification, toute nouvelle et toute stupide. Ils n'étaient pas parvenus à se libérer totalement de leur passé: il les attirait sans qu'ils sachent pourquoi, mais quand ils tombaient effectivement sur quelque chose de très ancien, ils ne savaient pas se comporter: ils étaient comme de petits enfants qui, en allant s'abreuver à la source, se penchent trop et tombe à l'eau tête première. Et les voilà gisant dans un terrier, mordus à la tête. Les serpents auraient pu être leurs frères, et voilà qu'ils étaient devenus leurs meurtriers.
(P352)
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Il n’y a plus que moi – et la Salamandre. Voici quarante ans déjà que j’en suis le gardien, et je me fais bien vieux. Ces derniers temps, je sors de moins en moins. Je dors beaucoup, je rêve. Le plus souvent, je me revois enfant, assis dans la cave de mon oncle qui m’apprend la langue des serpents. Et voilà qu’il pâlit, il tombe, il meurt, mais je n’ai pas peur, je me cale contre son corps et j’ai chaud, je me sens bien. L’odeur de décomposition ne me dérange plus, je la connais, elle me rassure. Je me réveille et je me retrouve adossé à la Salamandre, et j’ai la même odeur aux narines. Je sais qu’elle ne vient pas d’elle, car la Salamandre est immortelle : c’est de moi qu’elle vient.
Dans le vide, je siffle les mots des serpents, ces mots que je tiens de mon oncle, et cela rafraîchit l’atmosphère. Tout le reste en moi peut bien pourrir, la langue des serpents gardera toujours sa fraîcheur. Elle et la Salamandre, dans son sommeil paisible.
Et moi aussi, plus rien ne m’importe. Moi aussi, je pourrai m’endormir tranquille. Nul ne troublera mon sommeil. Nous dormirons en paix – la Salamandre et moi, le dernier homme qui savait la langue des serpents.
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Vidéo de Andrus Kivirähk
Extrait de "L'homme qui savait la langue des serpents" d'Andrus Kivirähk lu par Emmanuel Dekoninck. Editions Audiolib. Parution le 3 juillet 2019.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/lhomme-qui-savait-la-langue-des-serpents-9782367629377
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