William Kotzwinkle n'est jamais où on l'attend. J'avais lu, à sa parution, grâce au regretté Michel Polac, le très bouleversant Nageur dans la mer secrète qui m'avait tellement secouée que je n'ai jamais trouvé les mots pour en parler, et aujourd'hui, moins que jamais.
J'apprends qu'il est l'auteur de E.T.. un tout autre.. univers...
Et voilà que j'ai lu, et même dévoré Fata Morgana: encore un autre monde!
Quelle variété ! Quelle inventivité ! Quelle capacité de renouvellement!
Je viens de faire un petit tour dans les fêtes bacchanales du second Empire , de m'étourdir sur la grande roue de Vienne, de visiter le cabinet du docteur Caligari, d'embrasser Dracula dans le fond des Carpathes, de consulter Cagliostro avant qu'on le jette au cachot, de virevolter sur mes patins d'argent à la surface polie d'un lac gelé.
Une ambiance comme je les aime: un peu mittel europa, un peu expressionniste, un peu Leo Perutz, un peu Liliom. Avec la fantaisie inquiétante des jouets automates, des cirques itinérants, des mages diaboliques. Avec l'emprise des prédictions et des envoûtements. Et le charme sulfureux des femmes de rencontre aussi peu barricadées de vertu que possible.
Une course-poursuite sur les traces d'un féminicide , une sorte d'aristocrate frère criminel de Jack l'Éventreur ...ou sur celles d'un mage polymorphe, échappé de sa lointaine Transsylvanie, à moins qu'il ne vienne d'un autre temps. ..ces traces se recoupent parfois, puis divergent, faisant du voyage un périple haletant. Dangereux et séduisant à la fois.
Un seul guide, pour aiguiller notre route : l'inspecteur Picard, perspicace, solitaire, complexé par son embonpoint, porté sur les jolies femmes et plein de talents pour les satisfaire. Attachant, sympathique. À la fois fort et fragile. Plein d'humanité.
Mais quand on poursuit le diable, sait-on où on met les pas?
La vieille Europe fin de siècle est comme une lanterne magique qui projette les ombres de ses monstres sur l'or de ses fêtes. On s'y perd comme dans la galerie des glaces des foires. Ou comme dans une hallucination. Fata Morgana n' est-elle pas le nom que les Croisés donnaient aux mirages qu'ils croyaient nés d'un enchantement?
Fantasme et réalité jouent à cache- cache, comme dans un vieux film de Fritz Lang.
Et la plume déliée, poétique, ensorcelante de William Kotzwinkle mène la danse.
Dépaysant, onirique, et vraiment très réussi, Fata Morgana est un polar qui ne ressemble à aucun autre. Le lecteur en tout cas se régale!
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J'ai emprunté ce livre à l'atelier d'écriture, sans savoir ce que ce titre énigmatique signifiait exactement , je pensais à « fata » la magicienne en latin, mais pas précisément à la fée Morgane, je ne savais pas, bien sûr, que c'était aussi un phénomène optique, éphémère , une sorte de mirage causé par « une inversion de température dans l'atmosphère » , que cette expression datait du Moyen Âge quand les Croisés se rendant en Palestine découvraient , stupéfaits, alors qu'ils naviguaient sur la Méditerranée de fabuleux châteaux plantés en pleine mer. Ils attribuèrent ces édifices prodigieux à la fée Morgane qui avaient le don de bâtir sur les flots de somptueuses constructions…
Ce que j'allais lire, n'allait -il être qu'illusion, rêve, histoire fantastique ? Ce qui n'est pas , habituellement, mon genre de lecture privilégiée. Mais la quatrième de couverture parlait aussi de littérature policière, de Paris, de l'Autriche-Hongrie…
Le roman s'ouvre en 1871, sur le Paris impérial du Second Empire , modernisé par Haussmann , trépidant cosmopolite, interlope . Paul Picard est inspecteur de police, c'est aussi un ancien soldat de l'armée française d'Afrique ayant participé à la conquête de l'Algérie, il reste hanté par ce passé et chantonne souvent le fameux hymne quelque peu satirique à la gloire du général Bugeaud (Qui se souvient de l'air et de la signification des paroles ?)
Il est mis sur la touche après avoir raté la capture d'un dangereux psychopathe, le Baron Mantes. Il va alors devoir enquêter sur les agissements de Ric Lazare, un aigrefin . Doté d'une nouvelle identité celle de Paul Fanjoy, il va à la rencontre de cet individu qui donne une réception dans sa somptueuse demeure. Moyennant une participation de 100 francs, on a droit à une prédiction révélée par un hindou . Mais sa fausse identité est décelée…
J'ai aimé les descriptions fastueuses ravivant cette fin de siècle , elles animent , donnent plus de force, plus d'éclat à cette peinture de société.
Finalement le charme, le ravissement, l'enchantement étaient tout simplement, tout prosaïquement offert par la lecture ce roman , une pause qui nous emporte joliment dans cette époque révolue.
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"Fata Morgana" renferme de beaux moments de poésie inspirée, et peut se targuer d'être un roman policier hors du commun situé dans l'Europe du 19ème siècle.
J'ai bien aimé les évocations du monde des jouets mécaniques, avec la magie enfantine qu'elle renferme, tel un secret à la fois inquiétant et beau. Les pages qui décrivent les soirées mondaines en costumes sont très réussies également.
De même, les atmosphères de Paris, décrite comme une ville un peu chaotique, peuplée de personnages fantasques, sont assez plaisantes. "Fata Morgana" est selon moi un beau livre d'ambiance, d'où s'échappe une vapeur fantastique, un roman à l'ambiance très plaisante, dictée par la prose rêveuse de Kotzinkle.
Malgré ces qualités, je n'ai bizarrement pas été emporté par la trame de l'histoire, que je n'ai pas trouvée assez prenante. J'aurais pu me contenter d'un livre d'atmosphère, mais le livre est construit autour d'une énigme. Sur ce point, je n'ai pas trouvé que le roman remplissait le contrat car il pêchait par manque de suspens et de rythme. En ce sens, ce n'est pas une réussite totale.
Le style, oui ! le récit, non !
Ou peut-être est-ce le contraire.
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S'agenouillant, il ôta son chapeau et plongea la tête tout entière dans l'eau de la fontaine. Honnêtes citoyens de cette ville, pardonnez-moi, je suis un voyageur fiévreux.
Mais la ruelle était déserte. Personne ne le vit. Picard était seul, d'une solitude qui lui parut soudain totale, infinie, s'étendant sur l'Europe entière, et au-delà, tout autour de la terre elle-même.
Les fenêtres du Palais brillaient d’un vif éclat. Sept heures. Notre Empereur dîne avec la belle Eugénie. Plus tard, dans la soirée , il trouvera le moyen de s’éclipser pour aller rejoindre une catin quelque part. Vive l’Empereur ! Le mois dernier, on l’a récupéré, dans une ruelle à maquereaux, vêtu d’un déguisement, en quête d’amour, et presque assassiné. L’Empereur a su rester jeune d’esprit. Il refuse de se laisser encroûter par sa couronne. C’est un sage.
Et l'inspecteur ne pouvait échapper à cette impression étrange que sa poursuite l'emmenait toujours plus loin au coeur d'un mirage, vers un danger plus subtil que tous ceux qu'il eût jamais affrontés dans l'univers brutal des bas-fonds de Paris.
Il y avait quelque chose dans cet air...Picard ne pouvait y rester indifférent. Un sentiment étrange s'emparait de lui, celui d'être un homme sans racines, sans patrie, un éternel errant. Pendant un moment, son Paris disparut, et les femmes couvertes de bijoux ne furent plus que des étoiles étincelantes dans l'espace vaste et vide.
-Écoutez ça : à l'occasion d'un bal , hier soir, la Comtesse Essena est apparue en Salomé, vêtue d'un costume "que la décence interdit de décrire". À votre avis, de quoi pouvait-il s'agir?
-Quelques plumes peut-être ?
-Troublante hypothèse.
Attention, voici un album poilant ! Alain Kokor adapte avec brio le roman culte de William Kotzwinkle. Quand un ours se rend à New York avec le manuscrit abandonné d?un roman, il ne faut pas longtemps pour que le plantigrade devienne la coqueluche du monde des lettres. Et vous, on vous a déjà dit que vous ressembliez à Hemingway ?