Les Fables de la poubelle, tome 1

Que voulez-vous ? Il est des gens qui ont de l'esprit, la grâce du comique et qui nous font passer une vanne moyenne pour le Mondial de l'impro. Je pense Jean-Paul Krassinsky de cette crasse. Un revendeur hors-pair de blagues sous le manteau. Un dealeur de gags. Un receleur de fous rires. Mais ça n'est pas tout. Et l'artiste gagne de plus en plus en profondeur, en poétique, sans se départir de son fond de commerce, le rire médecin.

Il y a chez l'hurluberlu une veine enfantine qui vaut le détour (Le miam de Moute, On embête Courgette, Sale bête, Kaarib, le singe qui aimait les fleurs, Les AK), et une veine plus adulte qui vaut l'heureux tour (Les coeurs boudinés, le crépuscule des idiots, Les petits soldats, La fin du monde en trinquant). Tout est drôlerie chez cet homme-là, même quand il se lance dans une fable Nietzschéenne incarnée par des singes dans « Le crépuscule des idiots », on frise alors le petit chef-d'oeuvre.

Concernant « Les Fables de la poubelle, tome 1 », nous sommes sur du tout public cruel, qui fera vraiment le bonheur des plus grands. Plus que des fables, j'y ai souvent vu de véritables courts métrages sur papier glaçant. de sales histoires qui révèlent plus qu'on ne le pense de prime abord. Car le fond n'est pas oublié (critique de la société et du capitalisme, écologie, moeurs, etc.) et les petits travers humains toujours croqués avec malice, mais l'essentiel n'est pas là : Krassinsky cherche le rire, c'est du sérieux, un combat de boxe et il nous l'arrache à plus d'une reprise. En mode désabusé, tragique, sorte d' « Idées Noires » de Franquin endiablées. Il y a du Jason dans ces pages, du Samuel Beckett et du Fabcaro, du Woody Allen parfois, les Frères Coen d'autres fois, c'est malin, caustique, humain.

Et combien j'aime la laideur maîtrisée de ses dessins ! Cela ajoute tellement à l'absurde. L'impression n'est pas celle d'un mauvais dessinateur, au contraire, mais d'un croqueur du laid, et j'adore cet aspect des choses tortueuses, loin des schémas classiques (j'aime particulièrement ses « vieux » au charme fou. La saynète « La Tentation » est un bijou à mes yeux). Ses personnages, à la limite de l'insecte, ajoutent quelque chose de cynique à l'humain consumériste, nous cantonnent à notre insignifiance, nous imposent l'humilité. Certains univers sont drôlement léchés, cradouilles à souhait.

Tout n'est pas égal dans ces pages, certains gags sont porteurs d'une moindre ambition, mais l'ensemble est jubilatoire, hautement divertissant et parfois vraiment brillant. Je ne sais si cela se sent, mais en tout cas, j'ai un petit peu aimé :-)

L'album est parcouru d'êtres frêles, gros nez gros yeux, mais sans oreilles. Ils tiennent beaucoup de l'insecte. Des insectes bêtes et pathétiques, englués. le bousier, valeureux nettoyeur à la vie périlleuse, est le seul à bénéficier d'un ode enflammée (qu'il mérite amplement).

Il n'est pas vraiment question de poubelles au sens propre, mais plutôt de vies de fonds de tiroirs, d'histoires d'autant plus tragiques qu'elles sont insignifiantes. Aussi insignifiantes au regard de l'humanité qu'une fourmi se faisant écraser par le sabot d'une brebis.

C'est méchant à souhait, délicieusement cruel. Les chutes, volontairement provoquées ou non, sont sanglantes. L'auteur nous prévient d'ailleurs en exergue de l'album :

"Tous les animaux apparaissant dans cet album ont été systématiquement maltraités. Certains d'entre eux sont morts des suites de leurs blessures. On ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs."

Bon appétit !