En 1906, fut créée l'armée du Guandong, groupe d'armées de l'armée impériale japonaise qui prit le nom de la péninsule du Guandong, en Mandchourie, où elle était basée. Elle devint le groupe d'armées le plus important et le plus prestigieux de l'armée impériale jusqu'à l'arrivée des troupes soviétiques.
Chine, Mandchourie, 1945… alors que le monde extérieur s'effondre autour d'eux, ces mêmes occupants japonais ne se laissent pas sombrer dans le désespoir tant que leur palais chinois reste intact. Attention, le roman démarre en nous offrant personnages fictifs et d'autres qui ont réellement existé.
Entre le général Otozô incapable de remettre sur pied son armée, Puyi l'empereur déchu d'un état fantoche, Shigeo l'aide de camp serviable, les révolutionnaires chinois et coréens épris de vengeance et Chen le cuisinier tombé du ciel, seule la nourriture autour d'un vieux billot et d'un fourneau vengeur va réunir ces vivants en ces temps de fin de colonisation et de débâcle.
Au plus proche de l'histoire du Japon et de sa folie conquérante, ce récit de la solennité de l'uniforme et de la rigidité morale nous fait pénétrer dans un univers militaire inattendu. Je remercie Babelio pour ce voyage dans un autre temps et d'autres cultures qui, elles aussi grincent quand elles s'entrechoquent.
Merci aussi aux éditions Picquier (que j'adore !) pour ce roman choral historique original, très bien écrit et documenté juste ce qu'il faut. Il nous montre parfaitement de quelles manières " la Mandchourie ne montre pas son vrai visage ; elle s'enfonce, souffre dans ses blessures et y reste blottie très profondément ".
Dans un texte captivant qui sait raconter les terres humiliées dont on ne parle pas ou plus, chinois, japonais, coréen, officier, cuisinier, soldat, prostituée… chacun prend place en fonction de son histoire, de son grade et tente de mettre du sens à son existence en allant au bout de son destin. La plume de
Jeong-hyun Kwon est aussi fluide que percutante selon ce qu'elle a à nous raconter, à nous nous faire sentir.
L'auteur a ce génie de l'écriture qui pique le détail, décale le regard et nous séduit jusqu'à l'émotion.
Certains personnages pensent que « c'est quand l'être humain mâche qu'il est le plus vivant, le plus sincère. » Gare donc aux « maudits » japonais qui auraient dû se contenter de manger et de se faire plaisir plutôt que de critiquer la cuisine chinoise. « Ils paieront le prix, et leurs langues les premières. Leur fin est proche. » le duel qui se joue ici entre couteaux et ingrédients reflète celui qui se joue entre pays occupé et pays envahisseur.
En ces terribles temps de guerre et de colonisation, « manger est un acte permettant d'atteindre la seule beauté à laquelle les humains peuvent prétendre. » Tout à la fois éloge de la cuisine et dénonciation de l'impérialisme japonais mais également des communistes (« des barbares qui s'amusent à baratiner les paysans ignorants avec des mensonges pervers et dont la philosophie insensée entache la beauté de leur culture »), ce roman dur, mais vrai et intelligent est une parfaite dénonciation des folies politiques de tous genres.
À travers la métaphore de la cuisine et avec elle de la culture propre à chaque paysan à chaque région, c'est un brûlot sans concession contre la guerre.
Quand les mots se mélangent au fourneau et au billot, quand les cicatrices sur les mains des cuisiniers annoncent la volonté des hommes de s'affranchir, la littérature peut devenir une arme pour notre plus grand plaisir.
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