Un ouvrage qui se lit avec passion et qui ne peut que faire rêver les anciens militaires. Nous sommes loin d'ouvrages aussi brillants que ceux de SCHOENDOEFFER mais à chacun son métier.
L'auteur est un ancien officier d'active qui nous offre quelques pages de vie empreintes d'authenticité au début d'un conflit qui ouvrait la page de l'histoire post-coloniale de la France. Un récit d'hommes, perdus dans un conflit ouvert à toutes les passions y compris celle de la brutalité, commandés par un officier insoumis pressentant que la guerre changeait de visage sous l'influence du fléau communiste qui allait dévaster le Vietnam jusqu'en 1975. Devinant l'importance de s'adapter à un conflit sans visage au cours duquel la mort peut frapper à tout instant. Agissant de ce fait davantage comme un chef de bande que comme un adepte de doctrines classiques.
J'ai retrouvé dans ces pages une partie de mes rêves d'adolescent, de bruit et de fureur, qui m'ont conduit vers le métier des armes et l'aspiration à être à la hauteur de l'engagement et des sacrifices de mes anciens. A lire.
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Après le livre de Simonin sur le jaunissement des unités legion, celui de Lebrun sur les réguliers, dans les postes, qui constitueront l'ossature de l'armée vietnamienne. Voilà un livre sur une unité de supplétifs constituée sous forme de commando. Leur particularité : à mi chemin entre l'armée privée de la plantation et l'unité de secteur Elle est commandée par un jeune officier français assisté de quelques spécialistes européens et grenouille dans un périmètre bien défini pour en interdire l'accès aux vietminh. L'écriture est de grande qualité au service d'un texte brut, fort, percutant. On y lit toutes les interrogations d'un jeune chef face à l'absence de sa hiérarchie, à la complexité du territoire , au comportement des planteurs et surtout à l'extrême complexité des hommes qu'il encadre : plus proches de bandits de grands chemins ou de pirates du delta. La description du choc des cultures notamment sur la notion quasi philosophique de la mort est formidablement bien rendue. Finalement le grand absent du livre c'est le viet : présent bien sûr au travers des pièges et autres surprises mais physiquement lointain sauf quand le Lieutenant décide enfin de passer de l'autre côté de l'eau. Un beau livre sur un aspect peu connu de cette guerre dont on sait qu'elle en eu de très nombreux . Pour moi un indispensable, tant sur la forme que sur le fond. Alors pourquoi pas 5 étoiles : un peu plus de matière, quelques récits de plus et un peu plus de profondeur et cela eut été parfait.
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Très intéressant ce témoignage de Dominique de la Motte sur une page de sa guerre d'Indochine.
A ma grande honte je dois confesser une connaissance très superficielle de cette guerre coloniale et, m'étant imprudemment lancé dans une séquence vérité, j'avoue dans la foulée et avec une bien moindre gêne, ma méconnaissance têtue de l'appareil militaire.
Ce ne sont d'ailleurs pas les aspects militaires qui m'ont intéressé ici mais cette Asie d'avant qui émerge en filigrane de ce récit simple et précis.
L'auteur dépeint les événements à travers le prisme de sa fonction, de son éducation et de ses convictions mais, à ma grande surprise, le plus souvent avec considération et respect pour les populations locales et même pour ses adversaires. Il est en revanche souvent caustiques avec sa hiérarchie et le personnel politique, qu'il soit français ou autochtone.
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On en apprend davantage, ici, sur les différences de culture et de comportement, sur les répulsions et les attirances réciproques des peuples que dans bien des ouvrages à prétention socio-ethnologique. Un style étonnant, des phrases courtes, presque brutales, et, au final, le sentiment de comprendre un peu mieux la réalité d'une guerre méconnue, celle de l'Indochine qui n'était déjà plus tout à fait française.
Les souvenirs d'un militaire qui manie la plume comme le pistolet.
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Le règlement officiel régit mes relations avec mes supérieurs et les sous-officiers français. Il ne m’est d’aucun secours dans mon rapport aux partisans, qui ne savent pas ce qu’est la France, pas plus que le communisme, et se considèrent comme liés à moi par un lien féodal de caractère assez particulier : ils ont le droit de le rompre quand ils le souhaitent, il n’est fondé sur aucun document écrit, mais tant qu’il est tacitement reconduit, il me donne sur eux, en pratique, le droit de vie et de mort.
Ce lien qui nous unit est matérialisé par une seule chose, l’argent, la pauvre solde que je leur remets tous les quinze jours. Ce n’est pas choquant. L’argent ici n’est pas le mal, il est le bien le plus primitif, la possibilité de manger. Pendant l’une des agréables détentes qui émaillent les opérations, je leur demande pourquoi ils acceptent de me suivre, et au besoin de se faire tuer pour moi. À voir leur tête, je comprends qu’il s’agit d’une question d’ordre métaphysique. Ils finissent par répondre : « Parce que chez toi, on mange bien. » Je suppose qu’ils ont voulu dire que je réglais la solde intégralement sans en mettre dans ma poche, contrairement, dit-on, à certains chefs caodaïstes.
Puisque l’argent a valeur de symbole, je paie moi-même la solde et je ne demande jamais son nom au récipiendaire : je dois le connaître, le lien qui nous unit l’impose. Cet exercice profitable me permet de distinguer, sans grand risque d’erreur, un Tonkinois d’un habitant de l’Annam, un Cochinchinois d’un Cambodgien, voire d’un Chinois quand, par hasard, j’en rencontre. Avec l’habitude, ils sont aussi différents qu’un Suédois l’est d’un Tunisien. En leur réglant leur dû, je leur rappelle leurs dettes à mon égard, mais je retiens rarement de l’argent de mon propre chef : une reconduction tacite est la règle.
L’intelligentsia, toujours en retard d’une idéologie, adule les communistes et les chrétiens progressistes tiennent le corps expéditionnaire pour d’abominables colonialistes Un an plus tard, la mort de Staline donnera l’occasion d’une sinistre bouffonnerie hautement symbolique : l’armée reçoit l’ordre de mettre les couleurs en berne pendant plusieurs jours en l’honneur du petit père des peuples, que la plupart des grandes consciences tiennent encore à cette époque pour le sauveur du monde. Heureusement, nous savions que certains ordres ne sont pas faits pour être exécutés. Mais celui-ci est arrivé à ses destinataires, et je le regrette.
Mais « comment commander des Jaunes », je ne m’étais pas inquiété de ce problème et personne ne me l’avait expliqué. […] Mon mentor a été un très vieux Chinois, l’adjudant Niem, retraité de la coloniale. Il était un peu gâteux, malin et plus raciste qu’il n’est possible. Sa hiérarchie des races n’était pas celle du comte de Gobineau. Il y avait, au-dessus de tout, les Chinois. Et puis, bien plus bas, les Blancs, les Tonkinois, les Annamites, les Cochinchinois, enfin les Khmers du Cambodge, sous-race parfaitement méprisable.
Pour mes hommes, la mort est peut-être absurde, mais guère terrifiante. […] Après une cérémonie militaire, on place les corps sur un énorme bûcher d’hévéas arrosé de gas-oil. Tout le monde rit autour du feu qui monte haut dans le ciel. […] le meilleur ami des deux morts surveille la longue opération. Comme je lui demande si c’est bientôt fini, il fourrage avec une longue perche, soulève quelque chose et me dit : « Il en reste encore un kilo, un kilo et demi. »
Bien vite, je découvre que leur liberté est un leurre. Eux, qui semblent indifférents à la mort, alors que j'en ai peur, et qui sont étonnamment durs au mal, ils redoutent la nuit, les fantômes, les revenants et toutes les forces obscures et invisibles contre lesquelles ils ne savent pas lutter. Pour eux, je deviens peu à peu celui qui prend le risque d'affronter les démons à leur place. On n'occupe pas la case d'un mort, mais si j'en donne l'ordre solennel, à moi le mauvais sort.