Lapidaire - extraits
~ Hercynite
J’aime ton mot de nuit et ton nom
d’avant l’homme quand, infante, la terre
s’apprêta aux sacres des volcans.
Pavane des soleils. Cantate des calcaires.
En toi dort et attend, chrysalide, le temps.
~ Opale
Embruns d’anges. Chatoiements d’ailes.
Cortèges irisés en l’arche des silices.
Et cette Élévation harassée de lumière.
Qui dit l’exsangue histoire où tarit ton sang clair.
~ Émeraude
Verdoie le cri des nuits. Et verdoient le silence
et l’espérance oeuvrée au secret des granits.
Hosannah de l’herbe enclose en ton éclat.
Printemps premier. Puisque, vestale,
tu veilles le temps vierge.
(Première publication : Lapidaire.
Gravure de Piza. Paris, Fata Morgana, 1980)
CAIRNS
À la croisée des vents,
il convient d’édifier pierre à pierre
son havre et sa maison de certitude.
Cairns : bouées de pierre
disposées tout au long des chemins d’éclairs et d’orages
pour orienter et pour aider les naufragés de l’altitude.
Une à une, sur le socle nu des saisons,
ces pierres déposées, distillées par le ciel,
comme les stalactites de l’azur.
Je suis seuil et je suis chemin.
Je suis pierre qui dit l’horizon.
Je suis l’enclos des pas nomades.
Je suis paume
où se lisent les lignes
de l’ailleurs.
Les feuilles sont l’espoir des racines…
Les feuilles sont l’espoir des racines
Les fleurs, celui des branches
Et le bourgeon, celui de la ramure
Pour nous, quelle sève à notre espoir ?
Le ramage est l’espoir de l’oiseau
Le clapotis, celui des eaux
Le chuchotement, celui des vents
Pour nous, quel chant à notre espoir ?
La rose est l’espoir de la tige
Le bleu, celui de l’océan
Et le vert, celui du printemps
Pour nous quelle couleur à notre espoir ?
Le miel est l’espoir de la ruche
Le vin est celui de la vigne
Et la miche est celui du blé
Pour nous, quelle saveur à notre espoir ?
La proie est l’espoir du rapace
Le venin, celui du serpent
Le butin, celui du pirate
Pour nous, quel destin à notre espoir ?
LE MIRADOR
(La nostalgie de l’infini)
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
de dénuder le bleu du ciel car l’infini est
une tour
une forteresse apatride
un phare inassouvi
un silo cerclé d’oriflammes
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
d’apprivoiser la Voie lactée car l’infini est
un parcours austère
une géométrie sans pitié
une rectitude hantée d’absence
Peut-être est-il aussi un mirador
surveillant les coulées d’étoiles entre les barbelés des galaxies ?
Mais alors qui veille en son extrémité, juste au-dessous des oriflammes,
et quel souffle les fait battre immobiles sous une éternité d’orage ?
LA LUMIÈRE ÉBLOUIT L’INVISIBLE
(Le Philosophe et le Poète)
Un des états extrêmes qu’atteint l’homme
dans les peintures métaphysiques :
un mannequin d’osier
traversé de songes et d’énigmes.
Le ciel est sans oiseaux et les façades ont des fenêtres aveugles.
Dans la pénombre de la pièce, au premier plan,
deux Figures méditantes, de plâtre et de treillis,
contemplent un tableau posé sur un chevalet
Dehors la lumière éblouit l’invisible.
Sur un fond outremer presque vide,
le tableau dessine le trajet d’astres capricieux
ou bien la chute des Esprits élémentaires de la matière.
On peut y voir, si l’on préfère,
les théorèmes de la Nuit.
Dehors la lumière éblouit l’invisible.
Que se disent les deux Figures ?
—jusqu’où s’étend le bleu du doute ?
demande le Philosophe.
—jusqu’au parloir de l’orage,
répond le Poète.
Dehors la lumière éblouit l’invisible.
Bruno Doucey lit un extrait du recueil "grécité", de Yannis Ritsos, reproduit dans notre livre spécial dix ans "Un bateau nommé poésie".
Nous avons publié "grécité" en 2014, en bilingue grec/français, dans la traduction de Jacques Lacarrière.