A dix-sept ans, Adrienne était devenue une jeune fille d'une grande beauté. La silhouette était svelte et bien découplée. Le visage, un peu long, était d'une grande douceur de traits. Si l'on complète cette esquisse par une somptueuse chevelure mordorée, des yeux noirs de gitane,des mains d'une finesse et, pour ainsi dire, d'une transparence de verre filé, on conçoit que la détestation de Gilberte n'ait pu que croître au fil des ans. De sa mère, Adrienne avait hérité la grâce et l'élégance, un reste de pâleur et de blondeur aristocratiques. De son père, le peintre, elle avait reçu ses yeux d'un noir si profond que tout semblait s'y perdre dans un abîme. Adrienne tenait aussi de sa mère par cette extrême sensibilité, sans doute, qui avait jadis livré la première marquise de Montferrat à la tentation d'une aventure romanesque et sans lendemain.
Tu lis le journal, par exemple : chaque matin, le monde est nouveau. Et puis, le soir, c'est du passé. Tu peux allumer le feu avec. Alors, ça rime à quoi de se faire du mouron ? Y a des gens qui meurent et d'autres qui naissent, ça n'arrête pas. Les filles que tu croises dans la rue, c'est jamais les mêmes non plus. Pourquoi t'en aimes une, un jour, et pas les autres ? C'est le hasard, rien que le hasard.
Par prudence autant que par goût, sachant que l'aristocratie est une sorte de désert où l'on s'aime pour la distraction, où l'on trahit par ennui, où l'on médit par jeu, l'ancienne hétaïre n'aima plus désormais qu'au-dessous de sa condition. « Elle est différente, oui, différente », aurait pu répéter une fois encore Mme de Solignac, car Gilberte, en dix ans, n'afficha aucun amant. C'est qu'elle jetait son dévolu sur des partenaires si peu avouables que nul, autour d'elle, n'eût trouvé de lunettes assez fortes pour apercevoir ces créatures infimes.
Le grand art des créatures de l'espèce de Gilberte est de rendre sots les hommes les plus fins, de les abêtir en proportion de leur fortune, de leur faire bomer toute leur ambition à devenir fleuristes, parfumeurs et bientôt joailliers, de les amener à composer des alexandrins qui riment comme les ours avec le mot « amour », ou qui, pour arriver plus vite au but, lanceront un treizième pied à l'assaut de la belle.
Les arbres perdent leurs feuilles à l'automne et les cabanes y laissent bien souvent leur toit. Les gens vont et viennent. La pauvreté est une perpétuelle agitation. Les jours succèdent aux jours, toujours semblables. Les voisins se suivent aussi, mais jamais les mêmes.
La dentellière (1977) bande-annonce