Pao, d'
André Lalieux, est un ouvrage singulier comme on en lit trop rarement. D'abord, c'est un roman féminin, un vrai de vrai.
Alice Zeniter, dans son essai croustillant «
Toute une moitié du monde », explique que dans la littérature, qu'elle soit classique ou contemporaine, qu'elle soit écrite par des femmes ou des hommes, les vrais héros dominants sont presque toujours des hommes. Les femmes n'y jouent que les seconds rôles, ou alors elles sont victimes ou dominées. Ou bien encore, elles naviguent seules dans des univers essentiellement masculins. Dans le roman
Pao, pas du tout. Les quatre personnages principaux sont des femmes.
D'abord, il y a
Pao (diminutif
De Paola), la narratrice, l'héroïne, jeune femme belge d'une vingtaine d'années, tourmentée et un peu caractérielle, mais à laquelle on s'attache dès les premières pages, malgré son ton rugueux et bourru, et son langage pas très châtié.
Il y ensuite sa mère, Rolande, détestable, méchante, une vraie peste qui a pourri l'enfance de sa fille au point que cette dernière aurait parfois envie de la tuer.
Vient ensuite Marylin, la coloc de
Pao, son amie d'enfance, personnage haut en couleurs, un peu déjantée et accroc aux garçons, toujours de bon conseil et qui sait soigner ses états d'âme.
Enfin, il y a Malika, celle qui deviendra l'amante de
Pao, une personne prisonnière des préjugés familiaux, mais aussi ambiguë, dominatrice et possessive à l'excès.
Et les hommes dans tout ça ? Insignifiants, en fait. Ils sont là pour le décor, leur rôle dans cette fiction se résumant à donner quelques couleurs exotiques au fond du tableau. Il y a les gentils, comme Edmond le garagiste, patron loufoque et rêveur dont
Pao est tout à la fois la secrétaire, la comptable, la commerciale, la conseillère. Egalement Hamed, l'apprenti mécano, quasiment invisible. Il y a aussi Mathieu Louis, le psy que consulte
Pao, « une dégaine de chiotte, l'expression vivante de l'imperfection, il est trop moche » dit de lui la jeune femme dans son langage cru, un vieux pas beau qui va tout de même bien aider la jeune femme à surmonter ses troubles. Il y a aussi un jeune médecin, timide et emprunté, l'exact inverse du stéréotype de l'homme macho, celui-ci plaît assez à
Pao, mais le roman ne s'attarde pas sur son cas. Enfin le demi-frère, Stani, dont
Pao ne découvre l'existence qu'aux obsèques de son père, et avec lequel elle va sympathiser, puisqu'il se révèle être sa seule vraie famille. Les autres hommes, que l'on ne voit que par bribes, au détour de quelques phrases, sont des types inintéressants, les machos, les dragueurs, les kakous, les mecs. Les cons, quoi, n'ayons pas peur des mots.
Parce que lui,
André Lalieux, l'auteur, n'a pas peur des mots. Des mots crus, vifs, pas littéraires pour deux sous, à travers ce langage étonnant et détonnant qu'il prête à son héroïne.
Tout cela est-il bien crédible ? Une fille de vingt ans peut-elle vraiment s'exprimer ou écrire ainsi ? Elle serait la nièce cachée de l'un des Tontons Flingueurs, dans les années 60, peut-être. Mais à notre époque, en Belgique ? Je ne crois pas. du moins, je n'en ai jamais personnellement rencontré. Mais peu importe, en vérité. Ici, on est dans la fiction, c'est-à-dire, par définition, dans un autre monde que le réel. On est là pour lire un livre qui a pour principal objectif de nous faire passer un bon moment, et pour moi, cet objectif est atteint.
Alors, qu'importe le langage et le ton adoptés par
Pao. Qu'ils soient crédibles ou non, on s'en fout. D'ailleurs, ils évoluent petit à petit au long du roman, de moins en moins crus, au fur et à mesure que va évoluer la personnalité de l'héroïne. le dernier chapitre, qui d'ailleurs se termine au futur simple, en serait presque poétique.
Le seul reproche que je ferais à l'auteur, c'est que contrairement à la mère, tout à la fois laide et méchante, les trois personnages principaux, la narratrice, la coloc et l'amante, sont des filles « canons », à la plastique parfaite. Pour les rendre parfaitement atypiques et hors des normes machistes de la littérature et de la société, il aurait été à mon sens préférable qu'au moins l'une, voire deux d'entre elles, et pourquoi pas les trois, soyons fous, soient affublées de quelques défauts de silhouette. Elles n'en auraient été finalement que plus attachantes. Car là se révèle le vrai problème de notre société machiste : la priorité et l'avantage que l'on offre toujours à la beauté et au physique. Quand on est belle, on décroche plus facilement le job, non ?
Il y a un point que j'ai beaucoup apprécié :
André Lalieux, malgré son langage cru, nous épargne toutefois les détails trop intimes des amours entre filles, il laisse au lecteur le soin d'imaginer, ou de ne pas le faire, c'est comme celui-ci le souhaite ; pas de porno, et cela, c'est vraiment une très très bonne chose.
Oui, un vrai livre féminin, crédible ou pas peu importe, mais écrit par un homme, c'est possible ; la preuve avec
Pao.