Muse des derniers temps, divinité sublime,
Qui des monts fabuleux n’habites plus la cime ;
Toi qui n’as pour séjour, pour temples, pour autels ;
Que le sein frémissant des généreux mortels ;
Toi dont la main se plaît à couronner ta lyre
Des lauriers du combat, des palmes du martyre,
Et qui fais retentir l’Hémus ressuscité
Des noms vengeurs du Christ et de la liberté ;
Sentiment plus qu’humain que l’homme déifie,
Viens seul : c’est à toi seul que mon cœur sacrifie !
Les siècles de l’erreur sont passés, l’homme est vieux :
Ce monde, en grandissant, a détrôné ses dieux,
Comme l’homme qui touche à son adolescence
Brise les vains hochets de sa crédule enfance.
L’Olympe n’entend plus, sur ses sommets sacrés,
Hennir du dieu du jour les coursiers altérés ;
Jupiter voit sa foudre, entre ses mains brisée,
Des fils grossiers d’Omar provoquer la risée ;
Le Nil souille au désert, de son impur limon,
Les débris mutilés de l’antique Memnon ;
Délos n’a plus d’autels, Delphes n’a plus d’oracles :
Le Temps a balayé le temple et les miracles.
Hors le culte éternel, vingt cultes différents,
Du stupide univers bienfaiteurs ou tyrans,
Ont passé : cherchez-les dans la cendre de Rome !…
Mais il reste à jamais au fond du cœur de l’homme
Deux sentiments divins, plus forts que le trépas :
L’amour, la liberté, dieux qui ne mourront pas !
Poésie - Le papillon - Alphonse de Lamartine