Quel curieux livre que celui-ci !
Ce n'est pas à proprement parler un livre de guerre et pourtant il fait le récit d'un épisode peu connu de la première guerre mondiale.
Et ce n'est pas non plus un livre maritime puisque son action se déroule, non pas sur ou sous la mer, mais bien au dessus, dans les airs, au royaume des premiers aéroplanes et des dernières montgolfières militaires.
Ce n'est pas la première fois que René Milan, ici sous le pseudonyme de
Maurice Larrouy, en est venu à surprendre ses lecteurs.
Dans "matelots aériens", il mélange de grandes réflexions inspirées par le poids des paysages sur
L Histoire aux petites préoccupations indispensables au bon déroulement de ses missions.
Et la mission, puisqu'il l'a acceptée, est de protéger du ciel les convois alliés menacés par les sous-marins allemands et autrichiens.
Car ce livre est inspiré par son expérience d'aviateur et d'aérostier.
Mais
Maurice Larrouy ne se contente pas de raconter.
Il brode, il vagabonde, il peint à pleines plumes les superbes paysages qu'il peut apercevoir et leur restitue le sens historique qui leur est dû.
Corfou, Otrante, Leuca ... la Grèce, l'Italie puis le nord de la France au dessus de Gris-Nez, la ballade est splendide.
Ce roman autobiographique est tout en couleur, tout en escales antiques et modernes.
Et pourtant la guerre est bien présente dans l'ouvrage,
Maurice Larrouy ne l'oublie pas.
Il est à son affaire.
Il chevauche au dessus de l'océan une tonne et demie de vertèbres de bois et de lames de contreplaqué, de soupapes et de magnétos, de bombes et de carburation.
Il s'élève au dessus des convois, porté par de fragiles et légères nacelles d'observation, de protection et de défense.
La description, entre quelques considérations géographiques et historiques, en est faite très précisément.
Ce livre est paru, en 1919, l'année même où la guerre terminée,
Maurice Larrouy démissionna de la Marine pour se consacrer à sa carrière littéraire.
Comme
Claude Farrère dont on aperçoit la silhouette ici fugitivement le temps d'une escale à Palerme.
Un dénommé Faraone, officier de marine lui-aussi, y renvoie courtoisement l'ascenseur d'un petit service rendu jadis lors d'une soirée d'un consulat sur les rives du Yang-tsé-Kiang.
Le lecteur averti reconnaît aisément dans l'anecdote le style et l'élégance de
Claude Farrère.
Ce livre est particulier, inclassable.
C'est là héroïque épopée de guerre écrite par une plume qui n'en est pas, qui déteste la guerre et son cortège de tragédies.
Et
Maurice Larrouy, pour cela, en déteste encore plus l'ennemi dans sa brutalité d'envahisseur.
Un jour, dit-il, il faudra en faire le compte.
Pour lui, le plus poignant de ceux-ci est certainement celui qui gît au cimetière du Gambetta, près de Leuca dans le sud de l'Italie.
Une stèle sans corps y rend hommage aux marins du croiseur "Léon Gambetta" torpillé de nuit alors qu'il faisait route commune avec le "Waldeck Rousseau" où Larrouy servait.
L'émotion du marin se fait ici poignante dans le mot de l'écrivain.
Ce livre, tout agréable qu'il soit à lire et à découvrir, est pourtant, je pense, réservé à l'amateur de belles et lentes choses, à la lectrice et au lecteur qui savent s'attarder dans des chemins littéraires anciens sans but véritable.
Mais c'est un livre superbe livre, un peu déroutant puisqu'il semble se jouer des époques, des lieux et des genres ...