Philippe le Guillou sait rendre la vie, la vie bien souvent disparue, des anciens quartiers de Paris qu'il a arpenté, ceux où il a vécu et vit encore. Il le fait dans sa belle langue qui nous les donne à voir avec tout leur cachet, en nous en découvrant les strates anciennes mais aussi en nous présentant des figures croisées au détour des rues comme « L'errante immobile de la rue de Cléry qui l'intrigue et le fascine. Sorte de figure beckettienne, mendiante prostrée sous son habitacle putride, en plein coeur de la ville, dans le tumulte et la frénésie des gens pressés, des bobos suractifs, elle incarne tout l'inverse : l'inertie, une sorte de rêverie hébétée, le dénuement matériel face à tant d'élégance, de mise en scène, de culte de l'apparence. »
Il nous fait cadeau de lieux privilégiés où il se réfugiait, sachant y trouver chaleur amicale, vie et échange tel le bistrot "la Grappe du Montorgueil " qui avait gardé toute son authenticité mais qui était surtout un ilot protecteur où officiait une petite femme frêle, à la chevelure frisée, une sorte de fée rousse, vive, curieuse, liante qui le tenait : Dehbia, Kabyle par son père et Juive par sa mère », Debhia que ses lecteurs ont pu croiser au détour d'un de ses livres magnifiques "
Le bateau brume"
Ce livre bien trop court (c'est pourquoi je ne lui mets que trois étoiles car il a goût de trop peu) se termine par l'évocation d'un lieu magique, sa librairie, la librairie Jousseaume :
« Ma librairie reste le dernier lieu vrai et habité d'un univers que je vois, à brève échéance, colonisé par les montres de luxe et les compositions florales d'inspiration zen. Oui le livre, la tradition de la bibliophilie et des envois résistent toujours, pour combien de temps, pour longtemps j'espère… le libraire me confie parfois ses craintes et ses agacements, de manière discrète et feutrée. Je les entends. Je les connais. Ils m'ont été délivrés dans tous ces havres et ces refuges que j'aimais tant. »
Il la quitte pour descendre vers le Palais Royal où l'attendent les fantômes de Colette et de
Malraux.