Marina Tsvétaïeva : Comment ça va la vie ?

Afin que tu ne me voies pas –
pour vivre – je m'entourerai d'une haie,
perçante et invisible.

Je me ceinturerai de chèvrefeuille,
je me couvrirai de givre.

Afin que tu ne m'entendes pas –
pour la nuit – dans une sagesse de vieille,
je me murerai de dissimulations.

Je me ceinturerai de bruissements,
Je m'envelopperai de chuintements.

Afin qu'en moi tu ne t'épanouisses
pas trop – dans les broussailles : dans les livres,
je m'engloutirai vivante

Je ceinturerai d'affabulations
j'envelopperai d'illusions.

L'énigme que pose la mort de Tsvétaïeva n'est pas seulement d'ordre matériel et moral – le dénuement et la solitude de sa vie en Russie –, ou politique – l'hypothèse d'une menace qui pesait sur elle, celle de devoir accepter de travailler pour la police secrète – , mais aussi existentiel. S'est-elle tuée parce qu'ayant préservé sa vie de la banalité quotidienne par le travail, le jour où il lui sembla que c'était un luxe inadmissible, elle « se détourna d'effroi », comme le pense Pasternak et « se cacha en toute hâte dans la mort en fourrant sa tête dans un nœud coulant exactement comme sous un oreiller » ?

Comme Ovide à Tomes, lieu sans auditeur possible, le poète exilé nourrit l'espoir de trouver son interlocuteur au pays natal. Mais Tsvétaïeva n'avait même plus cette illusion quand elle se prépara à l'idée de quitter la France pour rentrer en URSS : « Ici, je suis inutile, là-bas, je suis impossible. »