J'ai reçu ce livre il y a quelques temps ; l'actualité m'a rattrapé en cours de lecture. Celui qui me l'a offert connaissait mon amour pour Trass Boulba, et ma passion pour les légendaires cavaliers de la steppe ! Pendant des siècles, le ‘far east' fut le lieu de tous les fantasmes, refuge des proscrits et des exilés, là où tout était possible, d'où l'on pouvait revenir couvert d'or… Ou ne jamais revenir. Nul n'excitait plus l'imagination que
les cosaques chevauchant à travers la steppe infinie, et surtout les plus nobles, les plus valeureux et les plus intrépides : les Zaporogues,
les cosaques libres d'Ukraine.
L'auteur établit dès le début une différence formelle entre le phénomène cosaque en Ukraine et en Russie : dans le premier cas formé sur place à partir des populations locales ayant survécu à l'invasion mongole et en partie adopté leur style de vie et techniques de combats ; dans le second cas constitué à partir de fuyards et de proscrits aux marges de l'empire russe, et devenu peu à peu les garde-frontières du tsar.
Contrairement à la version russe, intégralement pauvre et rurale, il existait donc en Ukraine des cosaques des villes et des cosaques des champs, une aristocratie cosaque, une paysannerie cosaque, des artisans cosaques... En somme c'était l'intégralité du peuple. Qui disposait d'ailleurs de structures politiques étonnamment démocratiques, que l'auteur décrit abondamment, et d'un embryon de système juridique. Autre spécificité, et étonnante : à la fin du XVIIIème, la quasi-totalité de la population ukrainienne savait lire et écrire – même les femmes ! A la même époque, le taux d'alphabétisation en Russie était d'environ 5%. On est loin du cliché du cosaque ivrogne et pillard – même si ce dernier existait bien entendu aussi !
Le bon
Iaroslav Lebedynsky nous déroule donc l'histoire de l'Ukraine à partir du moment où une coalition de prince slaves réussit enfin à repousser l'envahisseur mongoles, et à rétablir un état indépendant. Ce qui avant leur arrivée deux siècle plutôt était un pays très peuplé et largement cultivé n'était plus qu'une gigantesque steppe parcourue de cavaliers. Peu à peu ceux-ci s'organisèrent militairement pour faire face à leur plus grand ennemi : l'empire Ottoman, pour qui les slaves étaient un inépuisable réservoir d'esclaves. Non contents de bloquer les raids de pillage,
les Cosaques se mirent à organiser les leurs, ne craignant pas de traverser la mer Noire sur des coquilles de noix pour saccager les villes d'Anatolie !
En fait, l'Ukraine était encerclée : à l'ouest le royaume de Pologne-Lituanie, au nord et à l'est la principauté de Moscou, au sud l'empire Ottoman. Mais ce que montre l'auteur, c'est que loin de se résigner à être absorbé par l'une ou l'autre ils tentèrent de tirer partir de la situation en les jouant les unes contre les autres ! D'abord dominé par la Pologne, les frictions entre catholique et orthodoxe les poussèrent à chercher le soutien de Moscou ; mais l'écroulement de la Pologne laissa le champ libre à cette dernière.
Les Cosaques tentèrent alors d'obtenir le soutien l'empire Ottoman – une partie d'entre eux alla jusqu'à se mettre au service du sultan. Mais l'expansion russe était inarrêtable. Soumise, l'Ukraine devint au cours du XVIIIème siècle une simple province de l'empire. Les structures politiques cosaques furent peu à peu démantelées ; une partie d'entre eux déportés sur les frontières et fusionnés avec
les cosaques russes, et l'Ukraine mise en coup réglés pour le bénéfice de quelques marchands moscovites.
Un ouvrage plutôt destiné aux historiens amateurs pointus ou aux amoureux de ‘Tarass Boulba' cherchant à poursuivre leur lecture par la découverte du monde des cosaques, mais qui à l'heure actuelle donne de manière assez inattendue beaucoup de clés de lectures de l'actualité.