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EAN : 9782354801892
312 pages
Editions Amsterdam (08/03/2019)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Comment devient-on un sujet ? Tout d'abord en étant nommé, défini, singularisé, assigné à une place. En étant, en quelque sorte, « recruté » comme sujet par une autorité. C'est ainsi que Louis Althusser définissait l'interpellation dans un célèbre texte sur les « appareils idéologiques d'État », où il prenait l'exemple d'un agent de police hélant un individu (« Hé, vous, là-bas ! ») qui se reconnaissait immédiatement comme étant le sujet interpellé. Être sujet en ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Livre reçu dans le cadre de l'opération « Masse Critique » de Babelio dont je remercie les organisateurs ainsi que les éditions mentionnées.
Cet essai pose de multiples questions essentielles : qu'est-ce qu'un sujet humain, qu'est-ce que la langue, qu'est-ce que le style, qu'est-ce que l'idéologie, quels sont les liens (interactions, contradictions) qui les unissent ?
Sans prétendre résumer un ouvrage d'une telle ampleur, je me contenterai de tirer quelques grands traits : l'idéologie assujettit l'individu en l'interpellant. Être un sujet, c'est être un sujet interpellé. Ce faisant, en lui donnant le statut de sujet, elle le fait entrer dans le monde collectif auquel il est assujetti. le sujet consent à cet assujettissement initial, mais par un processus dialectique, il conquiert le droit de contre-interpeler, grâce à l'acquisition de sa qualité de sujet et à ses « contraintes capacitantes »(p12). Ainsi il peut s'autonomiser et s'individualiser par le style.
Mais qu'est-ce que l'idéologie ? « Il ne s'agit pas d'une simple collection d'idées et de représentation, mais d'un système articulé » (p 23). « C'est un mélange d'illusion et d'allusion » (p 25) qui « règle les rapports entre les hommes et leur monde vécu » (id). Ceci est la thèse althussérienne.
Une seconde thèse assure que l'idéologie est indispensable, que c'est « une force qui circule le long de la chaîne »(p 31), un corps à corps (p 38). La « matérialité de l'idéologie » (p38-9) s'illustre alors parfaitement dans les « actes » de langage faisant l'objet des chapitres 4 et 5 concernant l'insulte, la rumeur et le mot d'ordre.
Le sujet interpellé et interpellant l'idéologie se sert de la langue, à la fois identique et différente. À la célèbre formule de Roland Barthes « la langue est fasciste » le sujet répond et « inquiète la langue majeure par son dialecte mineur »(p 229). L'auteur présente alors de nombreux exemples dans le domaine de la littérature notamment avec les textes de Frankenstein, d'Alice au Pays des Merveilles (chap. 7), les romans de Jane Austen par exemple (opposant connaissance et reconnaissance), dans celui de l'art (p187) et du cinéma.
J. J. Lecercle s'appuie sur les théoriciens fondateurs, les maîtres penseurs qui ont posé les bases de la linguistique (Saussure, Chomsky) et de la philosophie du langage. Il fait référence aussi bien à la French Theory (Althusser, Deleuze, Derrida, Foucault, Barthes, Lacan, Kristeva, Lévi-Strauss), qu'aux penseurs de l'Europe centrale ou de la Russie tels que Bakhtine, Jakobson et Propp, auxquels il adjoint Badiou et de Butler et les philosophes Hegel et Marx.
C'est pourquoi, il faut être conscient que "De l'interpellation : Sujet, langue, idéologie" est un ouvrage théorique complexe qui relève d'un domaine de spécialité. Si le ton est discursif, la syntaxe reste fluide. La lecture peut se faire au rythme de chacun (dictionnaire en main pour les plus novices). Cependant, l'auteur utilise de nombreux termes spécialisés, des mots en langue originale (anglais, allemand, grec, latin…) et il fait appel à de nombreuses références et analyses en langue anglaise (dont il est professeur de linguistique et de littérature), traduites la plupart du temps. La connaissance de ces langues est un atout supplémentaire pour bien comprendre ses points d'appui.
Les conclusions-récapitulatifs rassemblent les idées principales et recentrent les lecteurs. de plus, l'humour (apartés, ironie, le petit Louis) émaille le raisonnement tout au long de son déroulement en imprimant la touche personnelle de l'auteur.
Jean-Jacques Lecercle critique et oppose les textes afin de faire ressortir les complémentarités et les discordances qui assurent l'évolution de la pensée et éclairent le chemin parcouru. À la « scène primitive » d'Althusser (p 19), il ajoute « la scène primitive de la conscience » exposée par un linguiste moins connu Tran Duc Thao (p 273) mettant ainsi en lumière un chaînon manquant dans le processus de la naissance de la langue.
L'édifiante érudition permet à l'auteur de nous proposer une théorie richement étayée et dûment approfondie. L'interpellation n'est pas négative (le sujet est toujours-déjà assujetti, déterminisme) mais positive, lors de la prise de conscience (son assujettissement est une contrainte capacitante (p289)) grâce à la contre-interpellation qui « homonise » (id) l'être qui, de facto, « devient sujet humain »(id).
anne.vacquant.free.fr/av/
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Que nul n'entre ici s'il n'est (un peu) linguiste : l'ouvrage de Jean-Jacques Lecercle foisonne de références et fait constamment appel à l'abondant vocabulaire de la discipline. Il semble être, avec pour centre de sa réflexion le thème de l'interpellation althussérienne, une synthèse érudite de l'ensemble de ses travaux.


Jean-Jacques Lecercle éclaire, étire, plie, ajoute longuement à la thèse althussérienne, thèse marxiste où l'instance qui interpelle se nomme « idéologie » et où l'individu est constitué en un sujet par l'appel auquel il se conforme nécessairement. Dans son texte, Jean-Jacques Lecercle s'efforce d'examiner les différentes formes de l'interpellation (l'image, l'injure, le mot d'ordre, la rumeur) ; d'ajouter la langue aux étapes althussériennes ; de dialectiser en développant une théorie matérialiste et moins déterministe de contre-interpellation ; d'intégrer à sa recherche tout ce qui aura marqué la pensée moderne (Deleuze, Derrida, Foucault, Barthes, Lacan, Kristeva, Lévi-Strauss, Bourdieu, Badiou, Butler, etc.). Il critique aussi la linguistique (Saussure et Mufwene un peu, Chomsky beaucoup) pour défendre Sève, Harvey ou bien Tran Duc Thao.


L'individu pour Jean-Jacques Lecercle devient sujet, ou plus exactement se reconnait comme sujet assujetti qu'il est toujours-déjà par la structure et les rapports sociaux, en étant interpelé par l'idéologie. L'idéologie est pour l'auteur un système de représentation qui s'impose avant tout comme structure sans passer par la conscience : les hommes vivent leur idéologie comme leur monde même. L'idéologie est donc une force englobante qui recrute, transforme les individus en sujets, leur assigne une place. Cette conception sort naturellement les individus d'un certain individualisme pour les considérer dans la collectivité toute entière où ils ne sont pas centre mais effets.


L'individu est pour Jean-Jacques Lecercle tout à la fois libre et assujetti. La langue est le vecteur privilégié de la subjectivation par interpellation. Il y a interpellation de l'individu par la langue mais aussi interpellation de la langue par l'individu qui exploite les potentialités du dicible à des fins expressives. L'interpellation suscite en effet la contre-interpellation. L'assujettissement du locuteur interpelé à sa place par la langue n'est jamais total, ni définitif car les contraintes du système langagier sont capacitantes : l'interpelé par la langue en tant que son locuteur devient un sujet d'énonciation capable à son tour de contre-interpeler la langue. le langage oblige donc à tenir ensemble, dialectique du social et de l'individuel, deux aspects : la soumission aux règles du système et la possibilité d'expression propre grâce mais aussi contre le système. du côté de la linguistique par conséquent, il faut également passer à une dialectique qui fasse justice à l'universel, à la collectivité du système et à la permanence ; mais aussi au particulier, à l'idiolecte et au changement. le système de la langue n'existe pas en dehors des individus qui se l'approprient et le façonnent aux grès de leurs besoins expressifs mais l'idiolecte individuel est également social, son appropriation se fait toujours par le biais de la communauté des locuteurs.


La langue standard pour Jean-Jacques Lecercle n'existe pas mais elle insiste. La langue n'est rien d'autre qu'un ensemble de pratiques objectivées et sédimentées. La distance prise par rapport à elle et le jeu introduit sont pour l'auteur la marque de la multiplicité des contres-interpellations langagières. Les interpellations multiples ont lieu à un moment donné, dans un état donné du rapport de force entre les différents dialectes. Il faudra donc, dans ce contexte, plutôt parler de conjoncture et de formation linguistique comme on parle de formation sociale. L'adaptation est ce que l'auteur nome le style. le style est une inscription dialectique du système général de la singularité expressive, le produit de l'interpellation et de la contre-interpellation. Il fait d'ailleurs l'objet de plusieurs passionnants chapitres du livre consacrés à la littérature et à l'interpellation qu'il serait sans doute trop long d'évoquer ici.


L'ouvrage, comme on le voit, ne se lira pas sans effort bien qu'étayé par une multitude de brillants exemples empruntés à la littérature, au cinéma, à l'histoire ou à la vie courante (il conjecture quelques prérequis). Il s'adressera aux lecteurs que les choses de l'intelligence intéressent vivement (il ponctue d'ardus récapitulatifs ses principales thèses).

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Livre reçu dans le cadre de Masse Critique de Babélio - Non Fiction

Je n'ai pas pour habitude de lire énormément de livres de ce genre. Ce n'est pas ma spécialité mais :
- ce livre est extrêmement bien construit, on y trouve des parties distinctes, logiques, clairement définies et dans un enchaînement qui fait que le livre se déroule tout seul
- l'écriture est agréable et on ne se sens pas perdu.e dès la première page, noyé.e dans un flot de mots trop complexes ou de phrases longues comme des paragraphes
- l'ouvrage est accessible et ce, même si l'on est pas un.e passionné.e du sujet

En résumé j'ai apprécié lire ce livre, j'y ai appris beaucoup - étant plutôt novice du sujet car mes rencontres avec la linguistique ont majoritairement eu lieu sur des vidéos de vulgarisation - sans devoir le lire accrochée à un dictionnaire. Je pense qu'une personne plus au fait que moi en sera tout aussi satisfaite dans la mesure où le sujet est réellement traité en profondeur. Il est très appréciable de ne pas sentir un sujet glisser au fil des pages pour nous échapper au moment où l'on espérait justement en avoir plus.
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critiques presse (1)
NonFiction
31 mai 2019
Injure, mot d’ordre, rumeur... Jean-Jacques Lecercle développe une vaste théorie de l'interpellation et de la contre-interpellation, actes de souveraineté comme de soumission.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
« le figural » [selon Laurent Jenny, réside dans] ces petites aspérités de langue qui retardent ou interrompent la lecture et forcent le lecteur à prendre conscience de la non-transparence du texte qu’il est en train de lire.
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Ainsi, lorsque je me promène avec mon chien dans la ville, les même sensations nous interpellent l’un et l’autre, ou à peu près (j’ai la truffe moins sensible que lui), mais nous n’en tirons pas les mêmes perceptions.
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La langue standard, ici l’anglais par opposition aux anglais minoritaires […] insiste mais n’existe pas.
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C’est un des graffitis les plus fréquents sur les murs de ma banlieue. Il manifeste l’intérêt que les élèves des collèges locaux portent à l’apprentissage des langues étrangères.
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