Le maître de lumière

... "Le sommeil n'est pas une fuite, un relâchement complet mais une détente, un repos. Ton lit doit être confortable, ni trop dur ni trop mou. Commence par remercier Dieu de la journée écoulée puis détends-toi en ayant conscience des forces que tu devras déployer le lendemain. Il n'est pas question de s'écrouler. Un artisan de lumière ne peut pas dormir comme tout le monde : avant de fermer les yeux, mets-toi sous la protection divine et tourne-toi, conscient et confiant, vers la lumière. Les ténèbres de la nuit ne doivent pas avoir de prise sur toi. Il ne faut pas non plus que tes rêves aillent dans un sens labyrinthique, anarchique. Si tu veux être fils de lumière, ne la rejette pas à l'extérieur de toi. Dès lors ton sommeil ne sera plus une tombée dans le noir mais un repos dans la lumière. Dors comme un éveillé."
Le Maître m'assure que mon sommeil va progressivement changer de qualité et qu'avec quelques efforts, bientôt je serrai plus vigilant et pourrai dire, comme dans le poème du Cantique des Cantiques, "Je dors mais mon coeur veille." Les dauphins eux-mêmes ne dorment que d'un oeil et continuent de nager pendant leur sommeil. Comme les oiseaux migrateurs qui peuvent voler jour et nuit sans s'arrêter...
... je constate que mon corps et mon esprit se reposent mieux car ils ne sont plus hantés par ces forces inconscientes qui, de jour comme de nuit, me séparent de la lumière. Même la qualité de mes rêves se modifie. Je pénètre une autre réalité, mes rêves deviennent des guides qui m'enseignent. Des énigmes de la journée se résolvent, des images prémonitoires m'éclairent sur mes choix, tant de chorégraphe que de disciple. Le phénomène est tout à fait neuf pour moi. ...

"L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible", disait Paul Klee. Il donne à voir autre chose que le réel. Si celui qui regarde l'enluminure accepte d'être comme un enfant qui, à partir d'un détail, se met à rêver, elle peut devenir opérative. C'est un lieu de présence dans lequel l'esprit humain va être immergé : il nous faut entrer dans notre imaginaire pour contacter une autre réalité. Alors l'enluminure nous révélera ses secrets comme les rêves nous font entrer dans un monde intérieur peuplé d'énigmes et de clés pour mieux nous connaître...

Le maître m'apprend en parallèle à entrer dans la compréhension profonde des textes sacrés, il m'invite à lire les Écritures des trois religions du Livre (judaïsme, christianisme et islam) ainsi que les commentaires mystiques. Là encore, aucun enseignement intellectualisé, car l'érudition, selon lui, ne mérite que d'être oubliée. S'il nous faut lire pour nourrir notre réflexion et repousser ses limites, il nous faut ensuite apprendre à dépasser nos lectures : le savoir livresque obscurcit la mémoire première que nous avons de toutes choses. "Si vous voulez atteindre la connaissance, commencez par brûler vos livres", rappelle justement un proverbe soufi : le véritable savoir ne se cache pas derrière des spéculations intellectuelles mais dans l'expérience et en elle seule.

"L'inspiration pas plus que l'expiration ne sont importantes. C'est le silence entre les deux qui ouvre des portes : tu es prêt, tu as posé ta base, la porte peut s'entrebâiller", me précise le Maître.

... Les gestes précis que le Maître me conseille sont tous issus de la Tradition. Ils attirent l'attention sur le corps, ce qui est la forme la plus simple de rappel à soi. Je découvre des positions rituelles et symboliques, qui, comme des exercices qui mènent au yoga, sont destinées à stimuler certains points énergétiques de mon corps. Le geste de la main sur le coeur, avec lequel les musulmans se saluent, est l'un des plus simple et des plus connus. Le Maître m'apprend à le faire, non pas paume à plat contre le coeur, mais le pouce replié de façon à sentir la blessure du Christ. ...