À propos de la Sonate.. de
Nicolas Leskov.
On ne peut pas dire ici qu'au royaume des aveugles les borgnes sont rois. Quand on est contemporain de
Tourgueniev, de
Dostoievski et de Tolstoi, même si on fait figure de benjamin, cette cuvée exceptionnelle vous le rend bien. En principe, ça vous brise une génération d'être ainsi adossé à pareilles célébrités, sans aller subir les fourches caudines, combien d'élus pour le nombre d'appelés dans ces conditions particulières. Il est clair que pour moi, de cette époque généreuse,
Nicolas Leskov en termes de réputation en a plutôt souffert si l'on veut d'emblée trouver une explication à son deuxième, voire troisième ordre de mesure d'impact sur l'opinion ; quant à son talent réel , résolument, je le place en deçà de ses illustres compères, mais que voulez-vous ? comment lutter contre de tels phénomènes avec ces références là. C'est Benyamin qui disait qu'un Tolstoi ça apparaît tous les 3 ou 4 siècles. C'est même pénible de le dire ici, car on ne peut pas dire que
Leskov ait démérité. Ce qui le sauve d'être relégué carrément dans l'oubli, c'est toutefois que ceux-là, ces légendes russes vivantes, dont on pourrait penser les voir se nourrir de sentiments condescendants à son égard l'ont au contraire salué, ont trouvé chez lui des talents bruts, originaux, à aller observer chez lui quelqu'un qui a quelque chose de particulier à dire sur la vie de ces provinciaux notoires ou invisibles. Il faut lui rendre grâce de ce qui manque trop souvent au roman, de proposer des vrais sujets, des vrais thèmes qui charpentent la création, d'explorer des espaces de vie en société inaccoutumés et de l'affirmer avec force. Tellement attaché à restituer en tant qu'artiste la vie de ses contemporains broyés dans une invisibilité de province lointaine, peut-être en a-t-il pris le virus, certaines de ses pages d'écriture côtoient le pathos quand d'autres le plus souvent sont empreintes d'esprit subtil.
Se défendant farouchement de la politique - car à l'époque on avait vite fait de vous coller une étiquette en rapport avec les fièvres partisanes qui agitaient les esprits - quand on chemine inéluctablement vers les révolutions et les guerres, son état d'esprit va évoluer vers le pessimisme et l'inquiétude semblant sentir déjà le vent de l'histoire tourner. Il se rapprochera de Tolstoi ce qui explique son remarquable ouvrage : À propos de la sonate à Kreutzer.
Ce prosateur saillant va inspirer Chostakovitch pour un de ses opéras célèbres ..
Quand je pense à la Famille déchue par exemple, à cette princesse Protozanov qui semble porter seule sur ses épaules tout le poids d'une époque noble qui s'effiloche irrepressiblement, je me dis quoiqu'il en soit qu'il faut lire
Leskov, cette princesse est vraiment inoubliable , elle n'a rien de ce qu'on s'attend à trouver qu'aurait démonté le premier pourfendeur venu, ils étaient légion sous cette ère finissante. Il y a là vraiment matière à grand art. On peut se demander parfois si on n'a pas la berlue en lisant ça, tellement son auteur corrige ce qu'on ne lit jamais, quand le mensonge et la duplicité l''emportent ». Malheur à celui dont le nom vaut mieux que les actes, dit cette princesse…, elle est comme la colonne de feu qui montre le chemin au désert « …
À propos de la Sonate …
La fameuse Sonate dont l'éponyme fit polémique et fut fixée pour reprendre un terme pompier contemporain avec la levée de la censure par le Tsar lui-même après intercession de
Sophie Tolstoi en 1890.
Il convient tout d'abord de rappeler les liens indéfectibles qu'entretenaient les deux hommes qui comme a dit Mensikov « ils coïncidaient «
Si j'avais à demander une caution ou à choisir un allié pour traiter de l'anti féminisme supposé de Tolstoi - c'est un débat que je ne vais pas ouvrir ici - je choisirais
Nicolas Leskov, car avec lui au moins on est tranquille viscéralement pour veiller au grain sur la vigilance de la femme - bon, ce n'était pas un saint non plus, il ne faut rien exagérer-, mais en tout cas dans ce qui transpire de ses approches politiques toujours prudentes, voire méfiantes comme un chat, on a au coeur de celles-ci cette question dont il a à débattre avec Tolstoi.
Bon, je la fais courte, parce que on ne va pas y passer la journée non plus, d'autant plus question souveraine que les deux hommes ont formalisé leur pensée propre bien avant la sortie du brulot romanesque de Tolstoi.
De la correspondance anterieure entre les deux écrivains donne le ton de l'entreprise de
Leskov qui n'est qu'une suite tranquille de leurs échanges puisqu'ils étaient amis.
Leskov pour la petite histoire à toute sa vie lu et tout lu Tolstoi.
Tolstoi a rédigé une dizaine de fois la Sonate jusqu'à ce qu'elle sorte après censure en 1890. le A propos de .. de
Leskov fut publié à titre posthume en 1899 si je ne m'abuse.
Voici comment
Leskov résume un chapitre connu de la version officielle :
« Toute jeune fille est moralement supérieure à l'homme parce qu'elle est incomparablement plus pure que lui. La jeune fille qui se marie est toujours supérieure à son mari. Jeune fille elle lui est supérieure et elle le demeure une fois mariée en l'état actuel des moeurs »
J'aurais ajouté pour la compréhension d'aujourd'hui « qu'il est clair que ce sont les maris qui débauchent »
La lecture que
Nicolas Leskov fait de la Sonate a pour effet de démythifier le sujet et aller vers cette orientation que ce n'est pas l'appel à l'incontinence absolue qui est important, mais le fait que Tolstoi cherche à nous détourner de la débauche dans laquelle nous entraînons une femme en même temps que nous nous y adonnons nous-mêmes (lettre de AL, le fils)