Il sera difficile de voir dans cette mince et dense plaquette d'une centaine de pages, une "biographie" de Walter Benjamin, ce penseur juif allemand qui mourut tragiquement en 1940, à la frontière de l'Espagne, fuyant devant les nazis. Il y a bien quelques éléments biographiques : le thème de la malchance, les entreprises universitaires, les relations esquissées avec les sionistes et les marxistes, mais rien de suffisant pour composer chronologiquement une Vie . C'est plutôt l'histoire et le portrait de la pensée de Walter Benjamin, tracés par une de ses "collègues", issue comme lui de l'université allemande, de la culture allemande, du judaïsme allemand, Hannah Arendt. Le livret manifeste les qualités et les défauts de cette écriture : les qualités, c'est la profondeur de l'enquête accomplie sur la vie d'un esprit aigu, qui tente de se construire après que le monde ancien s'est effondré. On rencontre Adorno, Scholem, Heidegger, Kafka, Brecht, et des intuitions bouleversantes autant qu'étranges. On mesure l'importance de Baudelaire et de Paris dans la formation de cette pensée qui se donne pour tâche de comprendre le présent et la modernité. Le défaut de l'ouvrage dérive de ses qualités : malgré ses airs de plaquette charmante, d'opuscule sans conséquence, c'est de la "philosophie allemande", qui exige du lecteur un effort auquel il ne s'attendait pas. C'est donc un essai à relire, le premier étonnement passé.
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(Force de la citation quand toute tradition et autorité sont perdues).
Pour autant que le passé est transmis comme tradition, il fait autorité. Pour autant que l'autorité se présente historiquement, elle devient tradition. Walter Benjamin savait que la rupture de la tradition et la perte de l'autorité survenues à son époque étaient irréparables, et il concluait qu'il lui fallait découvrir un style nouveau de rapport au passé. En cela, il devint maître le jour où il découvrit qu'à la transmissibilité du passé, s'était substituée sa "citabilité", à son autorité cette force inquiétante de s'installer par bribes dans le présent et de l'arracher à cette 'fausse paix' qu'il devait à une complaisance béate. "Les citations, dans mon travail, sont comme des voleurs de grands chemins qui surgissent en armes et dépouillent le promeneur de ses convictions" (Schriften, I, 571). Cette découverte de la fonction moderne de la citation selon Benjamin ... était née ... d'un désespoir relatif au présent et d'un désir de détruire le présent. Par conséquent, la force de la citation "n'est pas de conserver, mais de purifier, d'arracher du contexte, de détruire" (Schriften, II, 192).
Pp. 82-83
Toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre, doit se heurter finalement au phénomène de la langue ; car dans la langue ce qui est passé a son assise indéracinable, et c'est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé.
p. 103
"Nous pouvons aisément conduire nos adversaires 'ad absurdum' et leur montrer que leur hostilité est infondée. Qu'y gagnons-nous ? Nous voyons que leur haine est VRAIE. Quand toutes les calomnies ont été réfutées, toutes les déformations rectifiées, tous les jugements erronés bannis, l'aversion persiste comme quelque chose d'irréfutable. Pour qui ne voit pas cela, il n'y a rien à faire."
Moritz Goldstein, 1912, cité p. 66
Ce que toutes les autres villes ne semblent accorder qu'à contre-cœur aux déchets de la société - trainer, flâner - c'est précisément ce que les rues de Paris demandent à tout un chacun. C'est pourquoi, dès le Second Empire, la ville est devenue le paradis de tous ceux qui ne ressentent pas le besoin de courir le gain, de faire carrière, d'atteindre un but: le paradis donc, de la bohème, et non seulement, en vérité, des artistes et des écrivains, mais aussi de ceux qui se rassemblent autour parce qu'ils ne sont intégrables ni politiquement, ni socialement.
Dans les rares moments où il s'est soucié de définir ce qu'il faisait, Benjamin s'est pensé lui-même comme un critique littéraire, et, pour autant qu'il a ambitionné une position dans la vie, ce fut d'être " le seul véritable critique de la littérature allemande", à ceci près que l'idée même de devenir par là un membre utile de la société lui eût répugné.
Dans un ouvrage en trois tomes, l'écrivaine et psychanalyse Julia Kristeva s'interroge sur ce qu'elle appelle le "génie féminin". Un choix affectif et personnel la conduit à se pencher sur trois cas singuliers, trois femmes à l'oeuvre et à la vie extraordinaires : Hannah Arendt, Mélanie Klein et Colette.
Pour en parler, Géraldine Muhlmann reçoit :
Aurore Mréjen, ingénieure de recherche à l'Université Paris Nanterre et chercheuse au Laboratoire du Changement Social et Politique (Université de Paris)
Frédéric Maget, directeur de la Maison de Colette
Julia Kristeva, écrivaine, psychanalyste, professeure émérite à l'Université de Paris et membre titulaire et formateur de la Société Psychanalytique de Paris
Visuel de la vignette : Getty
Retrouvez notre série philo sur Julia Kristeva, l'oeuvre qui bouscule la littérature par ici https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-julia-kristeva
#femme #litterature #philosophie
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