Des ailes de géant
Le vitrier qui passe encore dans ma rue me rappelle la voix de diamant de Mallarmé, son quatrain des « Chansons bas » devenu ambulant et sonore. La voix n’est plus la même, capable au siècle dernier de lancer son cri en donnant l’accord en fa mineur, ou de remonter la gamme par des quarts de ton avant de couper l’air comme on coupe un carreau, mais cet appel entre la parole et le chant me ramène en pensée vers le chemin couvert de neige où la mémoire m’a frôlé de son aile, puis devant le cadavre des bêtes en été, et dans une cour d’école où je jouais avec des osselets.
À travers les ailes transparentes et fragiles du vitrier (des ailes qui ne l’empêchent pas de marcher), je vois aujourd’hui une silhouette ambiguë : dans l’ombre, celle d’un homme qui porte sur son dos le cercueil de son père, et qui fait le tour de la ville pour lui trouver une sépulture ; dans la lumière celle d’un homme qui porte une armoire, comme le colporteur qui de village en village, en même temps que la bonne parole et les dernières nouvelles, portait autrefois des lacets, des miroirs, des almanachs, – tout un bric-à-brac où voisinaient la mercerie et les brochures illustrées.
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