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EAN : 9782940055012
174 pages
La Dogana (30/11/-1)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Des poèmes du grand écrivain russe disparu en camp en 1937.
Que lire après Simple promesse : Choix de poèmes, 1908-1937Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Simple promesse est une anthologie de quelques-uns des plus beaux poèmes qu'Ossip Mandelstam a écrits de 1908 à 1937, choix de textes tirés d'une oeuvre poétique essentielle, incontournable.

Avant d'être arrêté pour s'en être pris publiquement à Staline, d'être condamné en 1934 à l'exil et de connaître la mort par épuisement dans un camp de travail en décembre 1938, Ossip Mandelstam est un écrivain isolé, indocile, en opposition au pouvoir autoritaire en place mais aussi au symbolisme et au futurisme littéraires en pleine vogue à l'époque.
Au premier, il reproche un goût excessif pour la hauteur et de l'esthétisme, qui confine l'écriture distancée de la vie dans ce qu'elle a de plus simple. Avec le second, Il se méfie des bruyantes déclarations invitant à la rupture totale avec le passé et à l'avènement d'un art utilitaire et progressiste.

Mandelstam lui veut revenir au langage, au mot en tant que tel, dans sa combinaison complexe faite de sens et de sonorité, aux mots qui ne peuvent être considérés comme les seuls instruments au service de la conscience. Pour Ossip Mandelstam, le mot est comme un organe vivant, un moteur d'énergie : réceptacle en même temps que producteur de réalités multiples.

« Maintenant, le brouillon détruit,
Attentif, tu gardes en toi
La phrase pure des scolies,
Unique en son noir intérieur,
Etayée de son propre poids,
Toute seule, paupières closes,
Qui pèse sur le papier nu
Comme un dôme sur le ciel vide. »*

Mandelstam s'est éloigné des convenances et des abus langagiers de son époque. (on mesure l'actualité de sa poésie au regard de notre société de communication actuelle). La langue est à ses yeux cet « événement », ce miracle survenu, qui se place hors des contraintes d'une époque et de l'idéologie dominante. Partout où le doute et le désir se partagent l'habitation du monde et de son interrogation, le poète se tient présent.

Théoricien à sa manière, Mandelstam pensait le monde comme tissé de significations, les unes évidentes et saisissables, les autres déchues de leur forme originelle, invisibles. Il a voulu faire émerger une poésie qui fasse ressusciter les résonances perdues, les ranimer et les mêler aux réalités immédiates et réinventer des itinéraires qui les mènent les unes aux autres.
Dans ses poèmes, tout se mêle, se confond, s'interpénètre, se fortifie et s'infléchit de chaque rencontre, sans pour autant que les parties – ou détails – perdent de leur intensité. Mandelstam travaille sur la profusion du réel pour faire naître une énergie linguistique.

J'aime l'écriture de Mandelstam dans tout ce qu'elle fait naître de réseaux d'images et de rythmes, d'éléments perceptibles ou plus diffus, qui donnent au poème ses racines, comme une source souterraine qui vient alimenter ses ramifications et leur donner l'épaisseur, le souffle, la coloration, etc. et fait naître la substance même du poème.

« […]
Ce qui fut notre pas sera hors de portée,
Les fleurs sont immortelles. le ciel d'un seul tenant.
Et ce qui adviendra : simple promesse. » **


(*) Novembre 1933, Moscou
(**) 4 mai 1937, Voronèje

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Ode au crayon d’ardoise
     
De l’étoile à l’étoile – puissante suture,
Chemin de cailloux issu de l’ancien chant,
Langage de silex et d’air
Entre le galet et l’eau, la bague et le fer à cheval.
Sur l’ardoise tendre des nuages
Cette trace laiteuse de crayon,
Ce n’est pas l’apprentissage des mondes,
Mais délire de brebis dans un demi-sommeil.
     
Nous dormons debout dans la nuit épaisse
Sous la coiffe chaude en peau de brebis.
Remonte, vers le solide, la source
Avec un bruit de collier, d’oisillon, de paroles.
Ici la peur écrit, écrivent les oscillations
Laiteuses du bâtonnet de plomb,
C’est ici que germe le brouillon
Des disciples de l’eau courante.
     
Villes pour chèvres ; escarpées,
Robuste couche de pierraille :
Et malgré tout parterre encore –
Églises et hameaux de brebis !
Où le fil à plomb tient des prêches,
Où l’eau fait école, où le temps affûte ;
Dont est depuis longtemps saturée
La forêt transparente de l’air.
     
Frelon mort près du rayon de miel, voici,
Rutilant, le jour balayé avec la flétrissure.
Et le milan de la nuit apporte
La craie ardente, nourrit le graphite.
De ce tableau iconoclaste, effacer
Les impressions inscrites par le jour !
Avec la main, secouer comme des oiselets
Les visions déjà transparentes !
     
Le fruit gonflait. Mûrissait la vigne.
Le jour se déchaînait, comme un jour se déchaîne.
Et le doux jeu des osselets, et à midi
La pelisse des furieux chiens de berger,
Comme des gravats dévalant des hauteurs glacées
– L’envers des formes vertes –
Affamée, l’eau coule, tourbillonne,
Jouant comme une jeune bête,
     
Et comme une araignée glisse vers moi,
Où chaque fente est éclaboussée de lune.
J’écoute les crissements du crayon
Sur la paroi frappée de stupeur.
Tes voix, mémoire, enseignent-elles,
Lorsqu’elles rompent la nuit,
Lancent aux forêts des crayons
Qu’elles arrachent aux becs d’oiseaux ?
     
Nous ne saisissons que par la voix
Ce qui nous a laissé là-bas sa griffure, a lutté,
Et nous promenons la mine durcie
À l’endroit que la voix désigne.
Je romps la nuit, ardente craie,
Pour graver les signes de l’instant.
J’échange le bruit contre le chant des flèches,
L’ordre contre le tremblement irascible.
     
Qui suis-je ? Non l’honnête maçon,
Ni le couvreur, ni le navigateur :
Moi, être au visage double, et l’âme hybride,
Je suis ami de la nuit, initiateur du jour.
Béni, celui qui a baptisé le silex
Disciple de l’eau courante.
Béni, qui d’une lanière a noué
Le pied des monts à leur solide socle.
     
Désormais j’étudie ce journal intime :
Les égratignures du burin de l’été,
Langage de silex et d’air
Aux strates de ténèbres, aux nappes de lumière,
Et je veux enfoncer les doigts
Dans le chemin pierreux issu de l’ancien chant,
Comme une plaie où fondre entre ses lèvres
Le galet avec l’eau, la bague et le fer à cheval.
     
1923
     
(Traduit du russe par Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider | pp. 58-61).
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La rose a froid dans la neige
– deux mètres sur le lac Sevan –
Et le pêcheur montagnard a sorti son traîneau d'azur peinturluré
Et les groins moustachus des truites patrouillent tout près d'un fond chaulé.
À Erevan comme à Etchmiadzin l'énorme montagne à gobé l’air entier.
On voudrait l'amadouer d'un air d'ocarina, ou de flûte, et que sa neige vienne vous fondre dans la bouche.
Neige, neige, neige sur papier de riz,
La montagne glisse vers mes lèvres.
J'ai froid. Je suis heureux.
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Je ne suis pas encore mort, encore seul,
Tant qu'avec ma compagne mendiante
Je profite de la majesté des plaines,
De la brume, des tempêtes de neige, de la faim.

Dans la beauté, dans le faste de la misère,
Je vis seul, tranquille et consolé,
Ces jours et ces nuits sont bénis
Et le travail mélodieux est sans péché.

Malheureux celui qu'un aboiement effraie
Comme son ombre et que le vent fauche,
Et misérable celui qui, à demi mort,
Demande à son ombre l'aumône.


Janvier 1937, Voronèje.

(extrait de " Poèmes inédits du vivant de l'auteur ". p. 121 - traduction de Philippe Jaccottet).
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Moi aussi je quitte l'espace
Pour l'infini assauvagi,
Déchirant la constance fausse
Des causes qui se savent trop
Et, sans personne à mes côtés
J'ouvre mon livre de problèmes :
Infini, énormes racines,
Herbier aux simples effeuillés.


Novembre 1933, Moscou
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J'ai dit : la vigne est pareille à une bataille d'autrefois
Où des cavaliers crépus s'affrontent en ordre bouclé.
Dans la Tauride caillouteuse l'art de l'Héllade – et voici
Des hectares dorés les nobles rangées sous la rouille

Oh ! dans la chambre blanche, le silence comme un rouet.
Cela sent le vinaigre, la peinture, le vin frais de la cuve.
Te souviens-tu, dans la demeure grecque : l'épouse aimée de tous
– Non pas Hélène, l'autre – tout ce temps qu'elle a brodé ?

Toison d'or, où donc es-tu, Toison d'or ?
Pendant tout le trajet les lourdes vagues ont grondé
Et, quitté le vaisseau lassant sa toile sur les mers,
Ulysse est revenu, plein d'espace et de temps.
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Videos de Ossip Mandelstam (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ossip Mandelstam
Prose et poésie d'Ossip Mandelstam (France Culture / Répliques). Photographie : Ossip Mandelstam, vers la fin de sa vie. © Mandelstam Centre, Moscou. Production : Alain Finkielkraut. Réalisation : Didier Lagarde. Avec la collaboration de Anne-Catherine Lochard. Diffusion sur France Culture le 19 mai 2018. Ossip Emilievitch Mandelstam (en russe : О́сип Эми́льевич Мандельшта́м), né le 3 janvier 1891 (15 janvier 1891 dans le calendrier grégorien) à Varsovie et mort le 27 décembre 1938 à Vladivostok, est un poète et essayiste russe. Il est l'un des principaux représentants de l'acméisme, dans la période dite de l'âge d'argent que la poésie russe connaît peu avant la révolution d'Octobre. Il écrit en 1933 une “Épigramme contre Staline”, qui lui vaut arrestation, exil, et finalement mort durant sa déportation vers la Kolyma. Évocation de la vie et de l'œuvre d'Ossip Mandestam dont Le Bruit du Temps publie une nouvelle traduction. « Le Bruit du Temps est une maison d'édition qui redonne confiance dans la vie intellectuelle. Après notamment l'immense poème épique de Robert Browning, “L'anneau et le livre”, et les “Œuvres complètes” d'Isaac Babel, voici que paraissent en deux volumes somptueux la prose et la poésie d'Ossip Mandelstam : “Œuvres poétiques” et “Œuvres en prose”. Je ne pouvais laisser passer une occasion si belle. J'ai donc invité celui qui a entrepris la retraduction de tous ces textes : Jean-Claude Schneider et l'historienne d'art Véronique Schiltz, qui a aussi traduit le poète Joseph Brodsky. Avant d'entrer avec eux dans l’œuvre fascinante et difficile, je voudrais demander à ces deux grands lecteurs ce qu'il faut savoir de la vie de l'homme dont nous venons d'entendre la voix. » Alain Finkielkraut
Invités :
Véronique Schiltz, archéologue et historienne de l'art française, orientaliste et helléniste
Jean-Claude Schneider, poète, essayiste et traducteur
Sources : France Culture et Wikipédia
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