Quel écrivain étrange fut Klaus Mann ! Son père, l'immense Thomas Mann, dit de lui après qu'il se soit suicidé : « il travaillait trop vite et trop facilement ». Et c'est vrai que son écriture a quelque chose de précipité, comme s'il s'était un peu trop laissé emporter par le flot. Elle a aussi quelque chose d'étrange – mais je ne sais pas dans quelle mesure la traduction l'a accentuée. Une sorte de maladresse volontaire, des paragraphes doux se terminant de façon abrupte, des passages courts et hachés, de longs dialogues. On pourrait presque croire à un écrivain débutant, si on ne sentait une telle force là-dedans.
L'histoire, où l'on devine des éléments autobiographiques, se place peu de temps après l'arrivée au pouvoir des nazis. Johanna a fui l'Allemagne auprès de son amie Karin, qui est finlandaise. Elles passent quelques jours à Stockholm où les rejoint le frère cadet de Karin, Jens. Issus d'une famille de grands propriétaires terriens finlandais, leur famille possède un immense domaine à la campagne. Johanna les y accompagne et y rencontre leur mère ainsi que leur frère ainé, Ragnar.
Jens, très germanophile, est un fervent admirateur du nazisme ; Ragnar le hait de tout son cœur. Des non-dit pèsent sur la famille et contribuent à empoisonner l'ambiance. de son côté, Johanna reçoit des nouvelles de son frère et de son fiancé, qui ont fui en France et essayent de monter un mouvement de résistance avec leur cellule communiste. Ils lui demandent de les rejoindre, mais elle ne peut s'y résoudre. Une attirance mutuelle ne tarde pas à la lier à Ragnar. Laissant là les soucis, les disputes et les inquiétudes, tous deux montent un jour dans leur voiture pour un voyage sans but vers le nord… Une fuite.
L'histoire elle-même présente ces maladresses volontaires et ces cassures dans sa fluidité qu'on trouve dans le style. S'y croisent le thème de la rencontre entre membres de la jeunesse riche et insouciante et jeunesse politisée, la pesanteur des affaires de famille, l'immensité de l'inquiétude de Klaus Mann face à l'avenir. Mais c'est avant tout un livre où s'exprime toute la souffrance de l'exile…
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Johanna leva la tête et le regarda. Quelque chose avait changé en lui : la ligne molle au-dessous de la bouche avait disparu, soudain dans le visage tout s'accordait au front beau et hardi.
"Un grand sacrifice n'est jamais vain, dit-elle. Une grande croyance n'est jamais inutile.
- Ce n'est pas vrai", dit-il. Ils se faisaient face. "L'Histoire est faite de vain sacrifices et de croyances gaspillées.
- Voila une idée qui n'est d'aucune utilité pour les vivants, répondit Johanna. Nous n'avons pas le temps de penser de cette façon. Nous n'avons plus le choix. Notre héroïsme consistera à accepter notre destin. Notre héroïsme sera de ne pas sombrer avant que le destin ne l'exige."
Que l'on n'ait plus à avoir honte des hommes. Que cette terre ait enfin un visage raisonnable. Que la vie soit quelque chose qui en vaille la peine, qu'elle en vaille la peine pour tous, tu comprends ! La cause, c'est tout simplement l'avenir, et cet avenir ne peut être que le socialisme.
Bruno est un type formidable, tu sais. Ce n'est pas un intellectuel, bien qu'il soit un ami de mon frère. Une fois sa décision prise — une décision importante et qui l'engage intérieurement —, Bruno ne se fait plus beaucoup de soucis. Pour lui, il n'y a que la cause qui compte, et s'il s'engage, c'est avec son sang, oui, littéralement avec son sang
On a beau être banni de son pays et l'avoir quitté avec un faux passeport, quelque chose de ce pays, qui continue à être votre patrie, est dispersé sur la terre — et ce quelque chose est peut-être ce qu'il y a de meilleur — de sorte que, par bonheur, quand on le trouve n'importe où, cela donne l'occasion de retrouvailles, et c'est très agréable, même si c'est un peu triste.
On était dans un pays très lointain, quelque part dans le Grand Nord. Certains événements horribles et qui, pour elle, avaient été décisifs, lui semblaient loin derrière.
Homosexuel, toxicomane, citoyen allemand déchu, exilé puis engagé contre l’idéologie nazie, écrivain prolifique et visionnaire, résolument contemporain, il est l’un des plus éminents représentants de la littérature allemande… MAIS QUI EST KLAUS MANN ?
Après "Contre la barbarie" et "Point de rencontre à l'infini", paraîtront le 3 février 2011 aux Éditions Phébus "Aujourd'hui et demain" (http://bit.ly/h0er3J) et "Speed" (http://bit.ly/fMP5tS).