Une femme au carré blond bouclé, immobile sur fond sombre descend un escalator. le mouvement de descente est accentué par la diagonale bleue sur laquelle elle se détache, frise en carrés mosaïque comme on voit dans les piscines. Une dame de profil, au regard invisible derrière ses cheveux, élégante et seule.
Une photographie sombre ponctuée de reflets brillants : dans le cuir du sac de la dame, dans les pixels miroitants de la mosaïque, dans les boucles de cheveux. La photographie est intitulée "La femme aux gants", elle a été prise à Paris en 1987 et elle a une aura intemporelle, atemporelle. C'est avec cette photographie que j'ai découvert il y a peu
Dolorès Marat dans une exposition collective où je crois qu'il n'y avait pas d'autres photos d'elle.
C'est en me rappelant cette seule photographie que j'ai postulé, lors de la dernière Masse Critique, pour recevoir la monographie qu'
Actes Sud consacre, dans sa collection "Photo Poche", à
Dolorès Marat. Merci à Babelio et aux Éditions
Actes Sud de m'avoir envoyé cet ouvrage, grâce auquel j'ai vraiment découvert cette artiste.
L'introduction est signée
Eric Reinhardt qui raconte que, d'abord admirateur, il est devenu ami avec
Dolorès Marat et l'a sollicitée pour une oeuvre en collaboration. Il retrace le parcours âpre et obstiné, fascinant, de cette artiste discrète. Son choix d'une technique de tirage très particulière, celle des « tirages Fresson » que Reinhardt décrit fort bien et qui repose « sur un procédé pigmentaire spécifique, tenu secret" . Les tirages sont "réalisés sur du papier Canson enduit d'une gélatine particulière, faite maison, qui, en absorbant légèrement les couleurs, confère aux images une présence cotonneuse, pour ainsi dire spectrale. C'est sourd, profond et velouté […] » Reinhardt souligne que le tirage Fresson « magnifie la dimension poétique, subjective et intérieure de son regard, à l'opposé d'une approche réaliste ou documentaire. »
À l'opposé d'une approche réaliste, c'est peu de le dire. Dans ce « Photo Poche », le choix des clichés met en évidence à la fois la grande diversité des sujets et l'unité formelle de l'oeuvre de
Dolorès Marat, dont les caractéristiques sont le flou, le sombre, les contours estompés, le contraste accentué des couleurs et l'impression de ralenti des mouvements créé par le flouté.
Une impression de voyage onirique, souvent mélancolique. Les vivants, quand il y en a, humains ou animaux, sont souvent seuls, perdus dans le paysage, urbain ou naturel. La photographie saisit le charme imperceptible d'un instant en apparence sans qualité.
Il y a des clichés quelquefois moins sombres, comme celui d'un cavalier devant une pyramide, photo terne où le temps est palpable, lent et fuyant comme le sable.
Quelques clichés sont plus nets, comme celui d'une petite girafe délicate qui longe un mur fissuré.
Mais ce sont beaucoup de flous, qui sont réellement artistiques, hypnotiques comme des peintures : une femme en robe claire enroule un fil sur fond de vert sombre, un arbre noueux semble marcher, un homme s'éloigne sous les palmiers, tâche blanche saisie juste avant de disparaître dans la nuit. Des paysages de forêt, de vagues, de terrains vagues, de parc désert, de carrefour de nuit. le rouge sombre des salles de cinéma, le vert profond des forêts, le bleu nuit, le gris bleu ou l'or d'un éclairage public dans une rue où une dame attend un bus.
J'ai pu penser à Plossu, à Hopper, à Rothko, entre autres, mais c'était fugace. J'ai découvert avant tout un regard singulier, qu'on apprend à aimer petit à petit puis de plus en plus. Un voyage dont on ne se lasse pas. Pour répondre à l'aimable carte postale jointe à l'envoi par
Actes Sud : oui, je suis sensible aux photographies de
Dolorès Marat et ce livre me plaît. Beaucoup.