Ouvrage aux moments passionnants, qui ouvre l'esprit et rebat les cartes de la place de la religion chrétienne dans la société. Parfois cependant, les textes excessivement intelligents laissent le lecteur ordinaire sur le bord, avec l'impression diffuse que l'auteur manque son objet. Mais ces moments difficiles ne réduisent pas l'intérêt de lire ce livre vigoureux et enthousiasmant.
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Le bien commun reste le grand absent des sociétés dites démocratiques et éclairées. Car, dans les rares occasions où on l’évoque, ravalé au rang sans honneur des « valeurs de la République » ou de « l’âme de la France », on le conçoit au mieux comme la résultante des biens individuels de chacun des citoyens, plus exactement de chacun des votants, tenant pour rien non seulement les morts (plus nombreux que les vivants dans une nation, rappellent les conservateurs), mais surtout les vivants à venir (malgré les alarmes de militants de l’écologie responsable). Quant à la « volonté générale », elle a sombré irréversiblement comme un idéal vide, voire enclin à un totalitarisme identitaire. Or le bien commun ne résulte jamais de l’addition de biens particuliers, aussi divers soient-ils, dans un inconcevable compromis général. Il ne consiste pas en autre chose que lui-même, car la communion qu’il met en œuvre constitue en soi un bien.
la volonté de puissance ... réduit tout à une valeur donc en soi à rien. ... La volonté veut l'accumulation terminale du capital. (p. 89)
La croissance devient le nom vide du procès de l'évaluation elle-même - à savoir de l'annihilation de toutes choses par sa réduction à une valeur. ... nous n'affrontons aucune crise ... nous nous engluons dans une décadence dont personne ne peut voir la fin. La raison de cette décadence tient précisément au fait que la volonté de puissance ne veut plus rien, qu'elle ne peut que se répéter dans un éternel (...) retour de l'identique [la croissance]. La volonté de puissance, ... comme le terrorisme ... ne peut que se vouloir et nier le reste dans son vouloir même. (p. 90)
Pour cela même se fait jour aujourd’hui la possibilité d’un moment catholique. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’un moment où tout le monde serait sommé de devenir catholique (hypothèse ni sérieuse, ni souhaitable à vues humaines). Nous entrons dans un moment catholique parce que nous entrons dans un moment critique – un moment où se trouve en jeu, dans la société française, la possibilité d’une communauté qui mette en œuvre l’universel.
Que signifie exercer un pouvoir social ou politique, privé ou public ? Cela signifie se faire obéir, en usant de la force (la violence supposée légitime du propriétaire ou de l’État, dont la philosophie politique s’affaire à toujours préserver les droits, avec une servilité sans faille), ou, mieux, sans avoir même besoin de l’exercer. Un pouvoir fort se caractérise par sa capacité à se faire obéir sans recourir à la violence, légalisée ou non.
Il ne suffit pas d’un « rassemblement de multitude (coetus multitudinis) » pour faire un peuple ; il faut « un rassemblement associé par un consensus sur le droit et une communion d’utilité (coetus juris consensu et utilitatis communione sociatus) »
Le 6 mars 2024, le philosophe et académicien Jean-Luc Marion était l'invité de la "Fabrique des idées", la série de masterclass que vous propose Philosophie magazine. Spécialiste de Husserl, le phénoménologue a tracé une petite généalogie de ce courant de pensée philosophique, n'hésitant pas à tacler Jean-Paul Sartre, qui n'est "pas un grand phénoménologue", selon lui.
Pour assister à toutes nos "Fabriques des idées" revoir ces masterclass librement, abonnez-vous à partir de 2€/mois, sans engagement
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