Henri-Irénee Marrou, historien du XXème siècle, résistant, musicologue, est avant tout un chrétien convaincu et cultivé, ayant contribué à la revue Esprit et à l'ouverture de L'Eglise sur le monde et la culture contemporaine.
Il est notamment connu pour cet ouvrage sur Saint Augustin et l'Augustinisme.
N'étant pas chrétien, mais conscient de l'influence de cette religion sur la culture dans laquelle j'ai baigné, j'ai lu avec grand intérêt ce ouvrage sur la vie et la doctrine spirituelle de ce père de l'Eglise. Henri Marrou porte un regard à la fois tendre et sans concession sur le maître et sur son enseignement : il montre à la fois toute la grandeur de ce penseur et de ses vues, insistant sur son éloquence, et ses failles individuelles et erreurs d'appréciation. Sans que l'homme du XXIème siècle en soit bien conscient, cet homme du IVème-Vème siècle après JC aura profondément influencé la civilisation occidentale dans les siècles suivants, jusqu'à nos jours, pour le meilleur comme pour le pire.
La seule vie d'Augustin d'Hippone serait digne d'un roman. Henri Marrou la met bien en scène, tout en montrant en quoi elle a influencé la pensée augustinienne.
Lettré latin formé à Carthage, dans la province d'Afrique (actuelle Algérie), il passa d'abord par la pensée philosophique et manichéenne avant de se convertir. En tant que père de l'Eglise, il usa de son éloquence -dans ses Lettres- pour lutter contre le pélagianisme : sans la grâce divine, l'homme ne peut être sauvé. Il met l'Amour au premier plan, mais assimile la chair au péché, Influencé par Platon, il insiste sur l'exigence de justice, d'éthique du moi et sur la raison intérieure, mais pour autant ces forces humaines ne sont rien sans la grâce divine : seul Dieu "tout puissant " est "juste et bon".
On voit là toute l'ambiguïté d'une lecture philosophique de Saint Augustin : il est à la fois une clé majeure de la pensée catholique orthodoxe -ayant largement contribué à en unifier le dogme- et source de critiques ultérieures telles que le jansénisme et le protestantisme. Il reste parfois influencé par le manichéisme, lui-même syncrétisme de la pensée zoroastrienne, du gréco-bouddhisme et du christianisme antique.
Henri Marrou écrit : " son enfance est contemporaine des dernier sursauts de la force romaine ; son âge mûr verra -le 24 août 1410- les remparts de Rome succomber devant les wisigoths d'Alaric (...) il devait mourir 20 ans plus tard dans sa ville épiscopale d'Hippone assiégée par les vandales". Il écrit aussi "toute la vie de Saint Augustin se déroule sur cet arrière-plan, et c'est là, pour le lecteur d'aujourd'hui, la première valeur de son enseignement : il nous apprend, par son exemple, un art de vivre par temps de catastrophe. (...) C'est en méditant sur la chute de la capitale du monde civilisé, de cette Rome qui s'était crue éternelle, qu'il a élaboré un de ses chefs-d'oeuvre où s'entrelacent deux thèmes : celui de la caducité radicale des civilisations et celui de la vocation surnaturelle de l'humanité, et qui demeurent le traité fondamental de la théologie chrétienne de l'Histoire". Alors même que l'Empire s'effondre, le christianisme s'épanouit, socialement et intellectuellement.
Le format d'une critique Babelio ne me permet pas de m'étendre plus, mais je recommande la lecture de cet ouvrage méconnu, enrichissant à tout point de vue. Henri Marrou associe à une vraie démarche d'historien, rigoureuse et critique, sa grande connaissance de l'enseignement religieux, spirituel, du maître. Son livre est à la fois la biographie d'une vie d'exception, un essai offrant de nombreuses clés de compréhension de l'augustinisme, et plus globalement des fondements de la religion chrétienne, et une référence historique mettant en relation l'homme, sa pensée, et une époque de rupture ô combien mal connue et pourtant fondatrice de la civilisation occidentale née sur les cendre des Rome... la mise en perspective historique se poursuivant même en fin d'ouvrage par une étude approfondie de l'impact sur les siècles suivants de la pensée de Saint Augustin.
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Une peu vieux dans son style mais aimable et abordable
Une peu touffus car présuppose pas mal de connaissances du lecteur
malgré tout, une mine de renseignements qui dégage la belle humanité de cet homme qui n'était pas de bois
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L'enfance (de Saint-Augustin) est contemporaine des dernier sursauts de la force romaine ; son âge mûr verra -le 24 août 410- les remparts de Rome succomber devant les wisigoths d'Alaric (...) il devait mourir 20 ans plus tard dans sa ville épiscopale d'Hippone assiégée par les vandales. (...) Toute la vie de Saint Augustin se déroule sur cet arrière-plan, et c'est là, pour le lecteur d'aujourd'hui, la première valeur de son enseignement : il nous apprend, par son exemple, un art de vivre par temps de catastrophe. (...) C'est en méditant sur la chute de la capitale du monde civilisé, de cette Rome qui s'était crue éternelle, qu'il a élaboré un de ses chefs-d'oeuvre où s'entrelacent deux thèmes : celui de la caducité radicale des civilisations et celui de la vocation surnaturelle de l'humanité, et qui demeurent le traité fondamental de la théologie chrétienne de l'Histoire.
Je disais et je pleurais dans toute l’amertume d’un cœur brisé. Et tout à coup j’entends sortir d’une maison voisine comme une voix d’enfant ou de jeune fille qui chantait et répétait souvent : « PRENDS, LIS ! PRENDS, LIS ! » Et aussitôt, changeant de visage, je cherchai sérieusement à me rappeler si c’était un refrain en usage dans quelque jeu d’enfant ; et rien de tel ne me revint à la mémoire. Je réprimai l’essor de mes larmes, et je me levai, et ne vis plus là qu’un ordre divin d’ouvrir le livre de l’Apôtre, et de lire le premier chapitre venu.
(Les Confessions)
Saint Augustin est donc né le 13 novembre 354 à Thagaste, petite ville de la province de Numidie, aujourd'hui Souk Ahras en Algérie (environ 180 km à l'Est de Constantine et 100 km au Sud d'Annaba) : c'est un Romain d'Afrique. Le calcul des probabilités permet d'inférer qu'il était sans doute de pure race berbère. On s'est livré à ce propos à bien des variations naïves, expliquant par le soleil d'Afrique l'ardeur de son tempérament et l'enflure de son style, — comme si l'érotisme et le baroque étaient inconnus des Nordiques ; ou bien, comme la vie du fellah anhistorique a conservé jusqu'à nos jours bien des traits antiques (les enfants portés sur le dos par leurs grandes soeurs), on a fait du pittoresque facile et montré en lui un marabout doué de baraka, un sheikh, siégeant au tribunal du qâdî... Cette couleur locale est parfaitement illusoire : ce qui compte, c'est la civilisation et non les chromosomes.
Dans le temps où nous sommes, chaque jour arrive afin de cesser d'exister. Chaque heure, chaque mois, chaque année, tout passe. Avant d'arriver, ce sera ; une fois arrivé, cela ne sera plus.
Mais comme il est arrivé à beaucoup d'autres parmi les Pères de l'Eglise, la plupart des oeuvres de saint Augustin lui ont été inspirées par les problèmes ou les préoccupations qui tourmentaient l'Eglise de son temps.
« Personne ne soupçonne l'existence des Murs Blancs. Pourtant cette propriété a marqué l'histoire intellectuelle du XXème siècle. Elle a été aussi le lieu, où enfants, nous passions nos dimanche après-midi : la maison de nos grands-parents…
Après la guerre, ce magnifique parc aux arbres centenaires niché dans le vieux Châtenay-Malabry, est choisi par le philosophe Emmanuel Mounier, pour y vivre en communauté avec les collaborateurs de la revue qu'il a fondé : Esprit. Quatre intellectuels, chrétiens de gauche et anciens résistants, comme lui, Henri-Irénée Marrou, Jean Baboulène, Paul Fraisse, Jean-Marie Domenach, le suivent avec leurs familles dans cette aventure. Ils sont bientôt rejoints par Paul Ricoeur.
Pendant cinquante ans, les Murs Blancs sont le quartier général de leurs combats, dont la revue Esprit est le porte-voix : la guerre d'Algérie et la décolonisation, la lutte contre le totalitarisme communiste, la construction de l'Europe. Et bien sûr, Mai 68... Une vingtaine d'enfants, dont notre père, y sont élevés en collectivité. Malheureusement, les jalousies et les difficultés nourries par le quotidien de la vie en communauté y deviennent de plus en plus pesantes… Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles cette histoire est tombée dans l'oubli, et que personne n'avait pris la peine de nous la raconter jusqu'alors. Pourtant, beaucoup d'intellectuels, d'artistes et d'hommes politiques y ont fait leurs armes : Jacques Julliard, Jean Lebrun, Ivan Illich, Chris Marker, Jacques Delors et aussi… Emmanuel Macron. C'est grâce à leurs récits et confessions que nous avons pu renouer avec notre histoire : transformer un idéal difficile en récit familial et politique. »
L. et H. Domenach
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