Les dates- anniversaire sont des temps forts de la mémoire.
L'histoire y inscrit ses interrogations et ses recherches sous des formes diverses.
Le colloque organisé en octobre 2018 à l'Université Lumière Lyon 2, pour marquer le cinquantenaire de 1968 à Lyon, revient sur la manière dont ces temps de rupture ont été vécus dans les structures d'enseignement, de l'Université au second degré, dans l'agglomération lyonnaise et sa région. Cet ouvrage en est le fruit.
Examen « décentré » d'une crise majeure, il présente deux éclairages complémentaires: la spécificité de la crise à l'échelle locale et la manière dont y prennent forme des caractéristiques symptomatiques du contexte national.
La préface et l'introduction présentent cette dualité avec vivacité, dans une problématique qui met en relief les fondements de ce temps de rupture.
Le « moment 68 » s'inscrit en effet dans la complexité. Celle du temps tout d'abord, car la crise n'est pas limitée aux mois de mai et juin 1968. Elle s'inscrit dans une décennie qui voit prendre forme progressivement la remise en cause d'un héritage institutionnel dans ses traductions sociales. Une autorité figée, des normes culturelles, sociales, dépassées: les générations nées depuis la guerre interrogent des valeurs qu'elles ne comprennent plus.Par ailleurs, la croissance économique des trente glorieuses crée de nouveaux déséquilibres, de nouvelles fractures. L'ensemble de l ‘édifice social vacille. Les conflits du travail se multiplient au fil des années soixante. La longue grève de l'usine Neyrpic en 1962 et 1963 à Grenoble en est un exemple. Avec pour enjeu la défense des droits syndicaux, il scelle un des premiers exemples de solidarité avec les milieux universitaires. de même en décembre 1967, l'Association Générale des Etudiants de Lyon soutient la grève de Rhodiacéta à Vaise. Les différentes contributions de cet ouvrage mettent ainsi en scène les rencontres, la parole partagée, toutes les manifestations d'une remise en question de la société qui prend forme progressivement tout au long des années soixante pour éclater ensuite au printemps 1968.
Elles mettent tout particulièrement en lumière la manière dont l'école, en pleine expansion numérique, a été à la fois un lieu d'expression et un accélérateur de la crise. La massification de l'enseignement touche d'abord le second degré, dans la diversité de ses filières toujours présente. A Lyon comme à l'échelle nationale la croissance des effectifs scolarisés en lycée, entraîne logiquement celle des effectifs universitaires. En 1967-68, l'Université de Lyon avec 30 000 étudiants est la deuxième au niveau national, les IUT nouvellement crées, comme celui de Saint Etienne y ajoutent leurs effectifs. A l'aube de 1968, les travaux qui interrogent cette croissance nouvelle de la population étudiante, posent la question des mécanismes de reproduction des élites sociales, avec les travaux de Bourdieu et Passeron.Le ministère de l'éducation nationale, de son coté multiplie colloques et groupes de travail pour mettre les réformes pédagogiques et éducatives à l'ordre du jour.
Il va être être pris de vitesse.
A Lyon comme à Paris, le développement des groupes politiques d'extrême gauche, les premiers comités d'action lycéens, accélèrent le mouvement qui part dans les deux villes de la périphérie pour gagner ensuite le centre. A Lyon comme à Paris, la mobilisation dans le second degré est sans précédent, les travaux présentés ici s'appuient pour en faire état sur les archives du rectorat de Lyon, sur celles de nombreux lycées, elles rejoignent d'autres sources plus traditionnelles comme celles de la Préfecture de police.
Dans une première partie : « Contestation et résistance », les articles présentés dressent un tableau très exhaustif de tous les acteurs mobilisés en mai juin 1968, au sein de la communauté éducative, les lycéens dressés contre « les lycées casernes » les professeurs en grève à partir du 13 mai, les associations de parents d'élèves à la recherche d'une réforme des lycées. C'est avec l'exemple de Grenoble que la situation des Universités est évoquée.
Le sens de ce printemps de révolte et son devenir sont examinés ensuite dans une grande diversité des contributions. Les transformations de l'Université avec la loi Edgar Faure de l'automne y trouve sa place tout comme des portraits éloquents comme celui de
Jeannette Colombel, des exemples permettant d'approcher le climat social de l'époque à l'image du film de
Bertrand Tavernier « L'horloger
De Saint Paul ». Des témoignages nombreux dessinent une forme d'épilogue à ce recueil d'articles.
Par la richesse et la diversité de ses articles, l'ouvrage apporte un éclairage précieux à cette page de notre histoire. Il rappelle brillamment que si ce temps d'insolence et d'arrogance n'a pas bouleversé les structures économiques et sociales qu'il dénonçait, il n'en a pas moins permis de faire émerger une pensée nouvelle et différente, et l'école, comme la société dans son ensemble en ont été durablement marqués.