AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 978B003RE2UCW
Perfection Form Company (30/11/-1)
5/5   1 notes
Résumé :
Nous n’avons pas encore dans notre base la description de l’éditeur (quatrième de couverture)
Ajouter la description de l’éditeur

Vous pouvez également contribuer à la description collective rédigée par les membres de Babelio.
Contribuer à la description collective
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après RainVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Rain
Traduction : Joseph Drobrinsky pour Albin Michel

ISBN : non connu pour l'exemplaire anglophone en jaquette mais 9782258055834 pour les "Nouvelles Complètes" - Ominibus

Ah ! qui chantera jamais, avec un talent égal, la perfection de cette nouvelle, l'une des plus connues de Maugham mais aussi l'une de ses plus féroces ! "Pluie" eut l'honneur, je crois, de deux adaptations cinématographiques et probablement d'un ou plusieurs téléfilms, non qu'elle soit découpée de manière particulièrement idéale pour l'écran, petit ou grand, mais parce qu'elle représente, dans la Littérature et dans le genre particulier de la Nouvelle, un terrifiant Himalaya de sarcasme, de méchanceté et ... de réalisme moral devant lequel le spectateur, comme le lecteur, ne peut se sentir que tétanisé.

Avant de poursuivre, rappelons que, né Britannique mais à Paris, à l'Ambassade de Grande-Bretagne, William Somerset Maugham reçut une éducation fortement influencée par notre culture. Parmi ses lectures, il se passionna notamment pour un certain Guy de Maupassant, l'une de nos gloires littéraires nationales qu'il devait, pour sa part, placer en première ligne au Panthéon de ses écrivains favoris.

L'influence de l'écrivain normand, qui, pressentant peut-être le mal qui allait l'emporter, ne redoutait rien tant qu'avoir des enfants, naturels ou pas, et qui demeure, malgré son machisme affiché, l'un des plus fins analystes de l'âme féminine après Balzac et un défenseur, trop méconnu pour quiconque ne parcourt ses textes qu'en surface, des animaux maltraités, est, chez son admirateur anglais, absolument flagrante. Cette densité, cette masse carrée et cependant finement caractérisée par une foule de détails dont l'accumulation donne une vie extraordinaire non seulement au décor mais aussi aux personnages, cette puissance enfin qui, entre Réalisme et Naturalisme, se déploie, chez Maupassant avec le naturel tranquille du XIXème siècle et qui, chez Maugham, se convulse, s'angoisse et se décompose pour mieux renaître, effilée comme une épée perverse, parmi les tourments qui resteront à jamais le propre du XXème siècle, tout cela s'appuie sur une solidité technique comparable à celle de l'écrivain français. Mais Maugham, qui ne s'est pas contenté de l'étudier mais l'a ressentie au plus profond de son désir personnel d'écriture, en fait jaillir une architecture bien à lui où, à la différence De Maupassant, qui savait parfois oublier férocité, cruauté et critique sociale, la méchanceté et le fiel sont ici au rendez-vous plus souvent qu'à leur tour. Entre quelques sourires, l'oeuvre de William Somerset Maugham s'abandonne à une armertume, à un désespoir toujours prêt à mordre, tel un énorme serpent noir qui se refuse à mourir autrement qu'en donnant lui-même la Mort.

Mais les yeux d'or de ce serpent ne peuvent que fasciner le lecteur tant le génie de l'écrivain s'impose à travers eux - la tristesse latente en son âme également. A moins d'être un inconditionnel, on ne cherche pas à s'interroger sur les raisons de ses tourments (avec Maupassant, dans le fond, c'était si simple) : on se contente de lire, d'absorber, de se repaître, voire de se gaver, et de s'immerger dans des abîmes aussi ténébreuses que les meilleures nouvelles des plus grands maîtres du Fantastique et de l'Epouvante.

Prenez cette "Pluie" au titre si innocent et qui, dans sa première page, ne paie guère de mine. Comment s'imaginer que, à sa fin que l'auteur nous peaufine avec une délectation de grand sadique, elle va déboucher sur l'horreur ? Non sur une horreur surnaturelle - les horreurs surnaturelles, c'est bien connu, ne faisant, somme toute, que leur boulot - mais sur une horreur sociale et bassement charnelle devant laquelle il nous sera impossible de fermer les yeux ?

Pourtant, à moins que vous ne soyez un vrai néophyte en la matière, vous découvrez peu à peu que Maugham s'est attaché à paver de bonnes intentions ce chemin sinueux qui, sous la pluie tombant presque sans interruption sur l'île de Pago-Pago, non loin de l'Australie, mène ses héros (et ses lecteurs avec eux) tout droit vers l'Enfer. Un Enfer "brut de décoffrage" pourrait-on se risquer à dire, un Enfer d'un cynisme et d'un réalisme effarants, un Enfer qui triomphe, par des moyens en apparence bénis par Dieu, tout simplement parce que celui qui les utilisait - le pasteur Davidson - n'était, malgré toutes ses assurances et ses prières, qu'un pur produit de l'Enfer.

Pour des raisons sanitaires, le navire qui devait prendre en charge Davidson et son épouse, deux missionnaires protestants d'obédience évangéliste et les ramener dans les îles dont ils ont la charge spirituelle, doit respecter une quinzaine de quarantaine sur l'île de Pago-Pago, véritable trou perdu où l'on ne trouve même pas d'hôtel digne de ce nom. Pendant la traversée, les Davidson ont sympathisé avec un couple qui voyageait de concert avec eux en première classe : les McPhail. le mari, ici, est médecin. C'est un brave homme mais assez timoré. Partisan, comme Chrysale, de la paix en son ménage, il fait mine de partager l'opinion, d'abord excellente, que son épouse a des Davidson. Mais en son for intérieur ...

A Pago-Pago, les deux couples parviennent à se dénicher deux chambres relativement convenables, chez un marchand métis nommé Horn. C'est sous une pluie battante - la saison des Pluies arrive - qu'ils courent jusqu'à leur nouveau logis, sans grand espoir de futures éclaircies qui leur permettraient de faire au moins une ou deux promenades pour rompre la monotonie de la quarantaine. Mais la monotonie en question va être mise en échec, et presque tout de suite, par l'arrivée d'une passagère de seconde classe, Miss Sadie Thompson, jeune femme plutôt jolie quoique habillée de façon un peu trop voyante et maquillée dans le même genre. Bref, le lecteur a compris sa profession alors que les Davidson et les McPhail hésitent encore ... (C'est si choquant, ce genre de pensées ...)

Ils ne vont pas hésiter bien longtemps.

Parce que, voyez-vous, Miss Thompson, qui fait jouer son phonographe tard dans la nuit et organise des soirées avec des marins fêtards - il semble y avoir une base militaire sur l'île - ne comprend absolument pas pourquoi elle devrait renoncer à son mode de vie habituel sous prétexte que, dans le logement du dessus, habitent, tout aussi provisoirement qu'elle, des gens dits "respectables." Si les McPhail la laisseraient volontiers faire, il n'en est pas de même pour les Davidson. "Mr Davidson", ainsi que l'appelle sa dévouée épouse, ne saurait tolérer que "le péché" s'étale ainsi sous ses yeux - ou en tout cas, qu'il s'époumone tous les soirs au milieu des braillements de gens pour lesquels, manifestement, seule la bouteille est divine.

Un véritable bras-de-fer s'engage alors entre Miss Thompson et Davidson, bras-de-fer qui, on le suspecte d'autant plus que, au tout début, les Davidson ont donné aux McPhail un aperçu de la manière moralement et spirituellement très "musclée" qu'ils avaient utilisée pour apprendre aux indigènes dont ils avaient désormais la charge que ces pauvres malheureux, ignorants comme les sauvages qu'ils étaient, vivaient, pensaient, mangeaient, dansaient, copulaient et mouraient dans le Péché ! Au passage, on notera avec admiration le talent qu'apporte l'auteur à décrire la suffisance, la cruauté et l'auto-satisfaction avec lesquelles ce couple pieux, qui ne pense et ne vit que pour Dieu (enfin, à ce qu'il raconte) a ruiné la vie du seul Occidental (un Danois) qui avait eu l'audace et le cran de leur tenir tête ...

En ce cas, plus les jours passent, plus Davidson amasse des munitions contre Miss Thompson, plus celle-ci sent le piège se resserrer autour d'elle, plus le lecteur (et le docteur McPhail) compatissent aux malheurs de la jeune femme et souhaitent désespérément que l'acharnement dont elle est victime de la part du pasteur (lequel est bien décidé à faire d'elle "sa soeur en Jésus-Christ" ou quelque chose du même acabit) se retourne contre lui ...

Ils le souhaitent mais ils savent bien la chose impossible. Déjà, Miss Thompson a renoncé à ses tenues élégantes de blancheur et à ses soirées. Elle a besoin que, chaque jour, le pasteur vienne la voir et lui lise la Bible et des textes religieux. Davidson a, pour elle, remplacé le péché : elle veut redevenir une femme honnête. Elle y croit, la pauvre fille ...

Sans le sadisme, à connotation évidemment sexuelle de tout ce cirque entretenu par Mr et Mrs Davidson, "Pluie" passerait pour l'illustration parfaite du fameux proverbe déjà cité : "Le chemin de l'Enfer est pavé de bonnes intentions." Mais ...

Mais allez jusqu'au bout de la nouvelle, revenez en arrière, relisez, savourez la technique et la cruauté de Maugham, qui n'est pas dupe des simagrées du couple pastoral et gardez espoir en la bonté du Seigneur, Lequel finit bel et bien par venir en aide à cette espèce d'animal traqué et terrifié qu'est devenue la pauvre Miss Thompson, peut-être un peu vulgaire, soit, mais, dans le fond, si bonne fille ...

Oui, Dieu est bon et charitable - et doté, dans le cas présent, d'un sens remarquable de l'humour noir, ce qui ajoute à Son charisme jamais égalé.

Et puis, après tout, Mr Davidson l'avait cherché, oui ou non ? ... ;o)
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... - "Ne faites pas de bruit," murmura le marchand. "On a besoin de vous. Mettez une veste et des chaussures. Vite."

De prime abord, l'idée vint au docteur qu'il était arrivé quelque chose à Miss Thompson.

- "Que se passe-t-il ? Dois-je apporter ma trousse ?

- Dépêchez-vous, je vous en prie, dépêchez-vous."

McPhail retourna dans la chambre à pas de loup, enfila un imperméable par-dessus son pyjama et des chaussures à semelles de caoutchouc. Il rejoignit le marchand et tous deux descendirent sur la pointe des pieds. La porte qui donnait sur la rue était ouverte. Une demi-douzaine d'indigères attendaient sur le perron.

- "Que se passe-t-il ?" répéta le docteur.

- "Venez," dit Horn.

Il sortit de la maison, suivi par McPhail. Les indigènes marchaient en groupe derrière eux. Traversant la route, ils débouchèrent sur la plage où le docteur remarqua, à une vingtaine de mètres, un attroupement au bord de l'eau : des indigènes faisaient cercle autour de quelque chose. Les deux hommes se mirent à courir et les indigènes s'écartèrent pour laisser passer le docteur que Horn poussa vers le centre du cercle. Un horrible spectacle s'offrit à son regard : le corps de Davidson à moitié hors de l'eau. Le docteur, qui n'était pas homme à perdre la tête à un moment critique, se pencha et retourna le cadavre. La gorge était tranchée d'une oreille à l'autre et la main droite tenait encore le rasoir qui avait été utilisé.

- "Le corps est froid," dit le docteur. "La mort doit remonter à quelques heures.

- L'un des boys ici présents vient de le découvrir en allant prendre son service. D'après vous, est-ce qu'il s'est suicidé ?

- Oui. Il faudrait que quelqu'un aille chercher la police."

Horn dit quelques mots dans la langue locale et deux jeunes gens se mirent en route.

- "Il ne faut pas le déplacer avant l'arrivée de la police," dit le docteur.

- "On ne le transportera pas chez moi. Je n'en veux pas dans ma maison.

- Vous ferez ce que les autorités vous diront de faire," répondit sèchement le docteur. "En fait, je présume qu'on l'emportera à la morgue."

Ils attendirent sur place. Le marchand sortit deux cigarettes d'un repli de son lava-lava, en donna une à McPhail et garda l'autre. Tout en fumant, ils contemplaient le cadavre avec perplexité. Le docteur n'arrivait pas à comprendre.

- "A votre avis, pourquoi a-t-il fait ça ?" demanda Horn. ... [...]
Commenter  J’apprécie          20
[....] ... [Mr Davidson] vint jusqu'à la table et se tint devant elle comme en face d'un lutrin.

- "Sachez que la dépravation venait si naturellement [aux indigènes] qu'on ne parvenait pas à leur faire connaître leur iniquité. Il fallait leur faire comprendre que des conduites qu'ils croyaient naturelles constituaient des péchés : non seulement l'adultère, le mensonge et le vol, mais encore l'exhibition de leur corps, la danse, le manque d'assiduité au culte. Je leur ai fait admettre que c'était un péché pour une jeune fille de montrer sa poitrine et pour un homme de ne pas porter de pantalon.

- Comment y êtes-vous parvenu ?" s'étonna le docteur.

- "En instituant des amendes. De toute évidence, le seul moyen de faire comprendre aux gens que leur conduite est coupable, c'est de les en punir. Je les mettais à l'amende quand ils manquaient les offices , et je faisais de même quand ils dansaient ; ou encore quand leur costume était indécent. J'avais un barème qui prévoyait, en outre, pour chaque péché commis, le choix entre un paiement en espèces ou sous forme de travail. J'ai enfin réussi à me faire comprendre d'eux.

- N'y en avaient-ils pas qui refusaient de payer ?

- Comment auraient-ils pu le faire ?

- Il faudrait un courage hors du commun pour tenter de tenir tête à Mr. Davidson," ajouta son épouse en serrant les mâchoires.

Le docteur McPhail regardait Davidson d'un air embarrassé. Ce qu'il venait d'entendre le révoltait sans qu'il pût se résoudre à dire son désaccord.

- "N'oubliez pas qu'en dernier ressort, je pouvais les exclure de la communauté religieuse.

- Cette menace était-elle d'un grand poids ?"

Davidson eut un petit sourire et frotta avec onction ses mains l'une contre l'autre.

- "Plus moyen en ce cas de vendre leur coprah, ni de recevoir une part de la pêche collective. Autant dire : pratiquement mourir de faim. Oui, cette menace était d'un très grand poids !

- Racontez donc l'histoire de Fred Ohlson," suggéra Mrs Davidson.

Le missionnaire fixa le docteur McPhail de ses yeux de braise.

- "Fred Ohlson était un marchand danois établi dans l'archipel depuis pas mal d'années. Pour un marchand de ce genre, il était assez riche et nous a vus arriver sans enthousiasme. Il faut savoir que, jusque là, il agissait pratiquement à sa guise. Il fixait à son gré le prix du coprah qu'il achetait aux indigènes et le réglait sous forme de marchandises et de whisky. Il avait épousé une indigène, mais lui était notoirement infidèle et s'adonnait à la boisson. Je lui ai laissé une chance de s'amender, mais il s'est refusé à la saisir et m'a ri au nez."

En prononçant ces derniers mots, la voix de Davidson passa au diapason d'une basse profonde. Puis il s'interrompit une minute ou deux, laissant planer un silence lourd de menaces.

- "Deux ans plus tard, cet homme était ruiné. Il avait tout perdu de ce qu'il avait mis un quart de siècle à épargner. Je lui avais brisé les reins. Il dut enfin venir en mendiant m'implorer de le faire rapatrier à Sydney.

- Si vous l'aviez vu le jour de cette visite !" dit la femme du missionnaire. "Ce bel homme, plein de vigueur, bien en chair, avec une voix de stentor, avait à présent rétréci de moitié et tremblait de tous ses membres : il était, d'un seul coup, devenu un vieillard." ... [...]
Commenter  J’apprécie          00

Videos de William Somerset Maugham (15) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de William Somerset Maugham
"Servitude humaine" Livre vidéo. Non sous-titré. Non traduit.
autres livres classés : suicideVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (3) Voir plus



Quiz Voir plus

Compléter les titres

Orgueil et ..., de Jane Austen ?

Modestie
Vantardise
Innocence
Préjugé

10 questions
20248 lecteurs ont répondu
Thèmes : humourCréer un quiz sur ce livre

{* *}