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EAN : 9782378560959
96 pages
Verdier (07/01/2021)
4.2/5   10 notes
Résumé :
Un homme naît en Bretagne dans une famille de paysans sans terre, à la fin du XIXe siècle. Il meurt, non loin de l’endroit où il est né, en 1973. Entre-temps, il aura combattu à Verdun et au Chemin des Dames, échappé de justesse à une condamnation à mort pour avoir donné sa médaille militaire à un chien. Blessé à la mâchoire dans la seconde bataille de la Marne, il aura fait le tour de France des hôpitaux, découvert les livres et la lecture. Jeune encore au retour d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Emprunté à la Bibliothèque Buffon - Paris--23 juillet 2023

Un gigantesque coup de coeur !

Pourtant que de textes sur la grande Guerre ; toutefois celui- ci m'apparaît très différent, tant ce livre est dans la retenue extrême, absolue !

L'auteure rend un hommage d'autant plus éclatant à un grand-père (**victime de cette Grande Guerre , revenu en " Gueule
cassée ") qu'elle nous offre un récit minimaliste, épuré à l'extrême , sans rotontade ni grands discours...ni effets de manche !

C'est justement pour ces raisons que ce récit m'a fait l'effet d'un "Uppercut "...

Un incident mineur survient lors de l'enterrement de ce grand-père adoré qui va faire écho à un des récits de son grand-père alors qu'il était sur le front...Tout cela va faire " caisse de résonance " et inciter l'auteure à faire oeuvre " d'écriture", dans un double sentiment d'urgence et de nécessité !

"(**en 1917)
Deux mois plus tôt, presque au même lieu, on avait décoré le sous-lieutenant Joë Bousquet. Rendant compte plus tard, dans une lettre à Jean Paulhan, datée de 1939, de la cérémonie de la remise des médailles dans la prairie de Courcelles, il en soulignera le " côté fabriqué " et dénoncera la " mise en scène ".Pour éviter les mutineries et rétablir le moral des troupes décimées, on distribuait, en cette année 1917, les récompenses sous forme de citations et de médailles. J'imagine que mon grand-père, aussi peu dupe que Joë Bousquet, mais moins confiant dans la capacité de sa langue à relever l'événement, n'eut pas d'autre choix
que de rire et de faire rire ses camarades en donnant sur le champ sa médaille à un chien."

De nombreuses références à l'Homme debout , l' Homme" qui marche" de Giacometti , mais aussi au poète, Joe Bousquet, revenu de cette 1ere Guerre, invalide à vie !

Une autre histoire m'a beaucoup touchée : l'histoire de ce jeune pâtissier qui, traumatisé par la guerre, va revenir à la vie civile et ouvrir une librairie ( Une librairie toujours célèbre dans
l' hexagone: la Librairie Coiffard).Je fais cette parenthèse car elle me permet de souligner une réalité méconnue dont Anne Maurel parle fort bien: toutes ces" gueules cassées " et soldats abîmés, ayant comme une impossibilité de revenir à la vie civile; Ces derniers sont souvent devenus
des " taiseux" et un grand nombre lisait abondamment ; comme un refuge, une évasion cicatrisante des mots ....

"À la retraite il avait d'abord été cantonnier, un emploi réservé aux gueules cassées- Il mangeait toujours très peu et lisait beaucoup. (...)
On a souvent remarqué le mutisme des soldats de retour du front.On a, me semble-t-il, moins souvent souligné leur goût pour la lecture.Dans le silence qui se faisait autour d'eux, dilatant l'étendue, des voix s'élevaient. Des voix sans corps visible, sorties des pages des livres, que, pour toujours revenus de la guerre blessés mutilés, les poumons brûlés, la mâchoire fracturée, détournés de l'action, ils écoutaient frémir, frissonner, murmurer."

Un texte court, "ramassé " pour une immense, immense... lecture qui me restera longtemps en en tête et au coeur...

Époustouflée, admirative de la beauté du style et de l'intensité pleine de pudeur de cette auteure que je lisais pour la toute première fois.Je ne peux résister à un extrait supplémentaire qui exprime si fort l'amour d'une petite fille pour ce grand-père, celui ci lui ayant légué parmi qq trésors de vie, ceux de la Marche et de l' Amour des Livres !

"Le visage de mon grand-père a perdu sa mobilité. La fracture mal réparée de la mâchoire a laissé visible une " latéro- déviation de la bouche fermée " (...)
Dans mon souvenir, les choses sont plus simples.Il n'a jamais souri, ni même tenté de sourire. Son air rieur s'est tout entier concentré dans son regard, dans sa façon de se tenir : une distance amusée à l'egard des règles de la vie en routine et de ses convenances; une ironie gentille; un état de veille affûtée; la même attention portée à tout ce qui vit et meurt; pas le moindre cynisme, mais un léger détachement qui n'empêchait pas la tendresse, voire l'augmentait, la même, ou presque, donnée aux hommes et aux animaux, silencieuse et pudique. "




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Certains gestes disent ce que nous sommes, révèlent le plus profond de notre être. Pour évoquer son grand-père, Anne Maurel raconte un épisode de la vie de son aïeul qui, selon elle, renferme l'essence même de cet homme qu'elle aimait tant: tandis qu'en 1917, il reçoit les honneurs militaires et qu'en grande solennité, on le décore, il a soudain l'idée d'accrocher au cou d'un chien errant la médaille qu'il vient de recevoir. Un supérieur y lit la pire des offenses et le jeune homme doit passer au tribunal de guerre. Il devra la vie sauve à son lieutenant, professeur de lettres au lycée de Brest, qui aura eu l'intelligence de voir dans son geste une plaisanterie sans gravité.
« Je me figure les soldats un instant distraits par un chien surgi devant leurs rangs, trottinant et balançant autour de son cou une médaille de fer-blanc qui brille au soleil; leurs éclats de rire dans l'intervalle entre des tirs d'obus; plus tard, le jeune homme (mon grand-père), traîné dans sa tenue militaire devant le conseil de guerre - il ne baisse pas les yeux, garde le regard levé-; le silence, tandis que la salle résonne de la voix vibrante du lieutenant; leur soulagement à tous les deux à l'énoncé de la sentence: le pardon accordé à sa jeunesse, à sa gaieté espiègle, au vu, sans doute, de la bravoure dont il s'est montré capable. »
Pour l'autrice, tout son grand-père se résume dans ce geste: il dit sa fantaisie, son antimilitarisme, sa simplicité, son humour, le refus des grands mots et des honneurs. Que fait le jeune homme dans cet acte sinon introduire joyeusement un chien dans un jeu de quilles, sans même penser aux conséquences qui auraient pu être terribles ?
Anne Maurel raconte comment, le jour des obsèques de son grand-père, elle voit une étrange lumière blanche tournant autour du cercueil, qui, tel un petit chien joyeux, lui fait comme un signe, un dernier adieu furtif. Cet épisode troublant, elle le garde en elle longtemps, elle sait qu'il sera le point de départ d'un texte sur son grand-père, cet homme simple qui aimait la marche, la nature et la lecture. Elle dresse de lui un portrait sensible, délicat, tout en retenue, dans une langue d'une très grande beauté. Ne possédant que très peu de documents sur lui, elle fait avec ce dont elle dispose: ses souvenirs, ses impressions, les images qu'elle garde de lui mais aussi ce qu'elle a lu ou entendu sur la Grande Guerre, Verdun, le Chemin des Dames, sur ces hommes qui ont vécu le pire, l'insoutenable, l'indicible. Elle convoque aussi la littérature qui tisse avec la vie réelle des échos, des liens parfois surprenants jusqu'à finir par se mêler, se confondre avec la vie elle-même.
« J'ai parfois espéré qu'on m'apporte une correspondance, un journal, des carnets à retranscrire. J'aurais senti le grain du papier qu'il avait touché, remarqué peut-être, sur un coin de la feuille, l'empreinte de ses doigts, une tache de café ou de terre. J'aurais pu guider ma main sur la sienne, reformer le dessin de ses lettres là où l'encre a pâli, inventer les mots oubliés ou effacés par la pluie. »
Et ce qu'elle dit de ce grand-père est très beau parce que l'on sent ce qu'il a été à travers l'évocation de petites choses ténues, des images fugaces qui survivent du passé, des impressions qu'il faut fixer avant que d'autres n'arrivent jusqu'à la conscience: on y perçoit ses silences, sa façon de contempler le jardin, debout sur le seuil de la porte ou de poser la première poire sur la table en la nommant.
L'autrice semble porter en elle cette existence qu'elle restitue ici, comme si, destinataire de ces signes dans le temps présent, elle éprouvait le besoin, une forme de nécessité même, peut-être, par ses phrases, ses mots, son souffle, de montrer à quel point, il est encore vivant en elle.
Pour qu'en nous aussi, il devienne présence...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Beau texte , sensible, intimiste. Anne Maurel s'est lancée dans un exercice difficile; écrire sur un grand-père taiseux dont elle n'a rien conservé.Par l'écriture, l'auteure recrée une complicité faite de signes que son grand-père, gueule cassée de la guerre 14-18, lui envoie Elle se concentre sur de rares souvenirs qu'elle a de son aïeul et déroule les traces qu'on laisse d'une vie. Pour comprendre et toucher de plus près la vie que son grand-père a menée, l'auteure se rend sur le
Chemin des Dames par exemple comme si elle voulait partager un moment avec lui.
Le titre « La fille du bois » est très touchant, il renvoie à un fantasme souvent révélé par les soldats, une hallucination qu'ils avaient lors des combats.Et le grand-père qui a lu Nadja dans son agonie murmure lui aussi «  la fille du bois » comme si la guerre avait définitivement marqué et happé sa vie.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Achille Coiffard apprenait à fabriquer des gâteaux quand il fut appelé au front.Après une année de guerre, il eut les poumons brûlés par le gaz moutarde.Il passa à l'hôpital de très longs mois , immobile, cherchant l'air, mangeant peu, lisant beaucoup.À sa sortie- il avait alors vingt et un ans-, le pâtissier ouvrit à Nantes, sur le quai de la Fosse, une librairie.La librairie existe toujours, avec le nom, inscrit au-dessus de la porte d'entrée: COIFFARD, en lettres majuscules.Elle fête aujourd'hui ses cent ans : 1919- 2019.
(....) je ne connaissais pas l'histoire de cet apprenti pâtissier devenu libraire, après avoir, comme mon grand-père,passé plus de deux ans dans les hôpitaux de l'arrière. Je suis tombée dessus ce matin, en ouvrant la radio. L'émission s'appelle " Les mots à la bouche"- le signe , sans doute, que les mots ça se goûte, ça se déguste, ça se savoure lentement, délicatement, comme une saveur sucrée .

( p.17)
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J'écris cette scène dont j'ai été le seul témoin près de cinquante ans après qu'elle a eu lieu.Je l'ai tenue secrète jusqu'à aujourd'hui. (...)
Le plus probable, c'est que j'ai craint de porter atteinte à l'éclat des mots prononcés par ma mère dans l'église, redouté de lui faire honte.
La honte, elle en avait connu toutes les flétrissures, les déchirures, les blessures.
(...) Bien que la fille d'un cantonnier, non pas d'un instituteur- comme ses amies, qu'elle enviait pour cette seule raison-, elle avait appris le grec et le latin au lycée de Quimper, pendant la guerre. Elle savait manier les mots comme des armes et elle aimait briller par le verbe.Je n'ai donc pas osé raconter devant elle l'entrée du petit chien dans l'église, au moment où, pour défendre son père, elle laissait éclater sa superbe colère et rappelait à un prêtre, qui les avait oubliés, les mots de l'Évangile ainsi que le respect aux morts.

( p.30)
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À la retraite il avait d'abord été cantonnier, un emploi réservé aux gueules cassées- Il mangeait toujours très peu et lisait beaucoup. (...)
On a souvent remarqué le mutisme des soldats de retour du front.On a, me semble-t-il, moins souvent souligné leur goût pour la lecture.Dans le silence qui se faisait autour d'eux, dilatant l'étendue, des voix s'élevaient. Des voix sans corps visible, sorties des pages des livres, que, pour toujours revenus de la guerre blessés mutilés, les poumons brûlés, la mâchoire fracturée, détournés de l'action, ils écoutaient frémir, frissonner, murmurer."
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L' inconnu de la photographie a, peint sur le visage, ce goût de l'aventure qui a porté mon grand-père au-devant de la mort, plus fort que le sens du sacrifice ou le goût de la gloire.1917, c'est l'année des mutineries, des refus d'obéissance, des désertions face à l'échec désastreux de l'offensive menée par le général Nivelle sur le Chemin des Dames. On risquait d'être soupçonné d'insoumission et fusillé pour l'exemple sur le moindre prétexte, au moindre signe.L'envie d'aller faire un tour, juste un moment, pour observer les premiers signes du printemps, sur un chemin entre les haies, passait pour désertion. Ce qui paraissait une facétie, décorer un chien en lui passant au cou la médaille qu'on venait de recevoir en récompense d'un acte de bravoure, était considéré comme une mutinerie.


( p.77)
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La gloire est un astre tardif.Elle est le soleil des morts.je préfère l'endurance des vivants.Après la guerre, et jusqu'à sa mort, mon grand-père est toujours resté debout. Il n'a jamais souffert d'" astasie" ou d'" abasie"- des mots forgés par les médecins psychiatres, envoyés près du front, pour désigner une incapacité à se tenir debout ou à marcher- le signe d'un état de choc post-traumatique.Bon marcheur, il exerça le métier de cantonnier, fut chargé de curer les fossés et de veiller au bon état de routes.À cause de sa blessure, il était parfois pris de vertiges au bord des talus, mais comme à la guerre, il endura.

( p.69)
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