Emprunté à la Bibliothèque Buffon - Paris--23 juillet 2023
Un gigantesque coup de coeur !
Pourtant que de textes sur la grande Guerre ; toutefois celui- ci m'apparaît très différent, tant ce livre est dans la retenue extrême, absolue !
L'auteure rend un hommage d'autant plus éclatant à un grand-père (**victime de cette Grande Guerre , revenu en " Gueule
cassée ") qu'elle nous offre un récit minimaliste, épuré à l'extrême , sans rotontade ni grands discours...ni effets de manche !
C'est justement pour ces raisons que ce récit m'a fait l'effet d'un "Uppercut "...
Un incident mineur survient lors de l'enterrement de ce grand-père adoré qui va faire écho à un des récits de son grand-père alors qu'il était sur le front...Tout cela va faire " caisse de résonance " et inciter l'auteure à faire oeuvre " d'écriture", dans un double sentiment d'urgence et de nécessité !
"(**en 1917)
Deux mois plus tôt, presque au même lieu, on avait décoré le sous-lieutenant
Joë Bousquet. Rendant compte plus tard, dans une lettre à
Jean Paulhan, datée de 1939, de la cérémonie de la remise des médailles dans la prairie de Courcelles, il en soulignera le " côté fabriqué " et dénoncera la " mise en scène ".Pour éviter les mutineries et rétablir le moral des troupes décimées, on distribuait, en cette année 1917, les récompenses sous forme de citations et de médailles. J'imagine que mon grand-père, aussi peu dupe que
Joë Bousquet, mais moins confiant dans la capacité de sa langue à relever l'événement, n'eut pas d'autre choix
que de rire et de faire rire ses camarades en donnant sur le champ sa médaille à un chien."
De nombreuses références à l'Homme debout , l' Homme" qui marche" de Giacometti , mais aussi au poète,
Joe Bousquet, revenu de cette 1ere Guerre, invalide à vie !
Une autre histoire m'a beaucoup touchée : l'histoire de ce jeune pâtissier qui, traumatisé par la guerre, va revenir à la vie civile et ouvrir une librairie ( Une librairie toujours célèbre dans
l' hexagone: la
Librairie Coiffard).Je fais cette parenthèse car elle me permet de souligner une réalité méconnue dont
Anne Maurel parle fort bien: toutes ces" gueules cassées " et soldats abîmés, ayant comme une impossibilité de revenir à la vie civile; Ces derniers sont souvent devenus
des " taiseux" et un grand nombre lisait abondamment ; comme un refuge, une évasion cicatrisante des mots ....
"À la retraite il avait d'abord été cantonnier, un emploi réservé aux gueules cassées- Il mangeait toujours très peu et lisait beaucoup. (...)
On a souvent remarqué le mutisme des soldats de retour du front.On a, me semble-t-il, moins souvent souligné leur goût pour la lecture.Dans le silence qui se faisait autour d'eux, dilatant l'étendue, des voix s'élevaient. Des voix sans corps visible, sorties des pages des livres, que, pour toujours revenus de la guerre blessés mutilés, les poumons brûlés, la mâchoire fracturée, détournés de l'action, ils écoutaient frémir, frissonner, murmurer."
Un texte court, "ramassé " pour une immense, immense... lecture qui me restera longtemps en en tête et au coeur...
Époustouflée, admirative de la beauté du style et de l'intensité pleine de pudeur de cette auteure que je lisais pour la toute première fois.Je ne peux résister à un extrait supplémentaire qui exprime si fort l'amour d'une petite fille pour ce grand-père, celui ci lui ayant légué parmi qq trésors de vie, ceux de la Marche et de l' Amour des Livres !
"Le visage de mon grand-père a perdu sa mobilité. La fracture mal réparée de la mâchoire a laissé visible une " latéro- déviation de la bouche fermée " (...)
Dans mon souvenir, les choses sont plus simples.Il n'a jamais souri, ni même tenté de sourire. Son air rieur s'est tout entier concentré dans son regard, dans sa façon de se tenir : une distance amusée à l'egard des règles de la vie en routine et de ses convenances; une ironie gentille; un état de veille affûtée; la même attention portée à tout ce qui vit et meurt; pas le moindre cynisme, mais un léger détachement qui n'empêchait pas la tendresse, voire l'augmentait, la même, ou presque, donnée aux hommes et aux animaux, silencieuse et pudique. "