Auteur très prolifique dans des genres différents, disciple de Rousseau, Mercier croit au rôle social de l'écrivain. Il a écrit une trentaine de drames pour le
théâtre, et il produisit même un un traité théorique sur le sujet en 1773. Il se place un peu dans la même logique que
Diderot et
Beaumarchais. Ses pièces n'ont pas pu être créées à Paris, à cause d'un différent avec la
Comédie Française, dont Mercier souhaitait voir remettre en cause le privilège. Cela n'a pas empêché certaines de ses pièces de connaître un grand succès, comme cette Brouette du vinaigrier. Editée en 1775, elle est donnée pour la première fois dans un
théâtre du Boulevard (périphérie de Paris), le
théâtre des Associés, avant d'être reprise à la Comédie Italienne.
Nous sommes dans le contexte d'un drame bourgeois. Dominique, issu d'un milieu modeste, car fils d'un artisan-vinaigrier, fait son apprentissage chez un riche négociant, M. Delomer. Il est amoureux de la jeune fille de la maison, qui n'est pas indifférente au jeune homme. Mais M. Delomer a décidé de marier sa fille, et un prétendant chaudement recommandé se présente, Jullefort. Ce dernier est un coureur de dot, qui malgré ses propos charmeurs ne s'intéresse pas vraiment à Mlle Delomer, mais à la fortune de son père. Ce dernier faisant faillite, il fuit sans se poser de questions. Dominique père apprenant les sentiments de son fils, arrive avec, sur sa brouette de vinaigrier, un tonneau rempli d'or : le fruit d'une vie entière de travail. Il l'offre à Delomer pour que le mariage entre leurs enfants se fasse, à la grande satisfaction de tout le monde.
L'intrigue de la pièce trouve son origine dans un recueil d'historiettes d'Eustache Lenoble. Mais Mercier l'utilise pour vanter le mérite du travail, de l'honnêteté, du désintéressement. Il y aussi une forme de défiance vis-à-vis de l'argent et d'une forme de spéculation, opposé au travail (M. Delomer est ruiné à cause de placements). Les aspects les plus révolutionnaires se trouvent dans la préface, dans laquelle l'auteur envisage l'interdiction aux riches de s'épouser entre eux, remet en cause l'héritage, en prônant la redistribution des biens à chaque nouvelle génération, et donc voudrait limiter la reproduction sociale, chacun devant être pourvu en fonction de son propre travail et de ses propres mérites. Ces idées ne sont pas si clairement exprimées dans le texte de la pièce, ce qui est peut-être dommage, car telle quelle, elle a un côté édifiant, avec des scénarios un peu convenu (le comportement de Jullefort par exemple). Mais j'imagine qu'un texte présentant une vision par trop révolutionnaire, ne serait pas passée à l'époque, et que les spectateurs décodaient, donnaient un sens plus subversif que nous maintenant, à certains détails.