J'ai lu cette BD deux fois avant d'en faire une critique. Tant mes sentiments sont partagés.
Reçu dans le cadre d'une mass critique (merci à Babelio et aux éditions Huginn & Muninn), je l'ai d'abord lu d'une traite et c'est un choc visuel et émotionnel.
Souvent, on résume d'abord l'histoire de l'oeuvre pour ensuite rendre compte de son aspect visuel, mais dans le
300 de
Frank Miller, c'est l'inverse. Ce qui frappe en premier, ce qui en fait un incontournable de la BD américaine, c'est le graphisme, époustouflant !
L'auteur est un surdoué du dessin, ses cadrages, ses personnages, sa maîtrise du clair obscur est incroyable. Si l'on ajoute à cela une colorisation particulièrement réussie et en phase avec le côté épique, de
Lynn Varley (dont le nom injustement disparu de la couverture), c'est un vrai plaisir graphique.
Toutefois, le format choisi par l'éditeur n'est pas celui d'origine et c'est dommage car l'impact est un peu édulcoré.
300 est sorti dans un format à l'italienne qui rendait bien plus justice aux nombreuses planches, proposées ici en doubles pages. Un choix éditorial, dommageable pour la qualité visuelle.
Chacun des dessins ressemble à une oeuvre d'art qui raconterait avec peu de mots, l'épopée des
300 spartiates, un peu comme des miniatures sur des vases grecques aux figures rouges, ou des illustrations de livres médiévaux. On est vraiment fasciné par cette succession de petits tableaux et on rentre pleinement dans l'histoire racontée.
Cette histoire est le récit porté par Dilos, à la manière des aèdes de l'ancienne Grèce. Elle ne cherche pas à raconter une histoire vraie mais à renforcer le courage et la fierté des Grecs qui doivent se battent contre les Perses à la bataille de Platées.
Dilos raconte donc, à sa manière, comment, un an plus tôt, le roi Léonidas avec
300 de ses hommes a affronté l'armée Perse aux défilés des Thermopyles.
L'histoire est prenante. le style épique utilisé avec parcimonie, pour laisser la plus grande place aux dessins est parfaitement à sa place. Les guerriers spartiates sont des soldats de professions, de vocation, de naissance. Ils sont programmés pour se battre et ils se battent bien. Ce sont les meilleurs soldats du monde et même les immortels, les soldats d'élites du roi perse Xerxès ne peuvent rien contre eux. Ils glorifient la guerre, ils n'ont pas peur, ils n'ont pas mal, ils obéissent aveuglément à leur chef et avec cet esprit de corps, particulier, y compris pour des Grecs de cette époque, et avec l'aide de contingents grecs d'autres cités (on l'oublie souvent et c'est à peine évoqué ici aussi), ils stoppent l'armée la plus nombreuse que le monde a connu jusqu'alors dans l'étroit défilé des Thermopyles, propice à ce genre d'exploit.
Mais c'est sans compter sur l'ignominie d'Ephialtès, le traître qui connaît un chemin de chèvres permettant de prendre les spartiates à revers. le destin de ces soldats se transforme alors en épopée tragique et magnifique.
Il y a toutefois un bémol à ce qui peut être considéré comme un chef d'oeuvre du neuvième art. C'est que le message de Dilos, son interprétation n'est jamais remis en cause par l'auteur de quelque façon que ce soit et qu'il est pourtant souvent gênant aux entournures.
Outre la présentation graphique de Xerxès, androgyne (très loin des images connues de ce roi), perclus de piercing et figure du mal, il y aussi Ephialtès, humilié par les Spartiates et qui veut se venger, peint comme un monstre difforme, à l'opposé des corps parfaits des hoplites spartiates. La noirceur de l'âme serait-elle visible physiquement. La laideur et l'androgynie serait-elle un châtiment divin ?
Les Spartiates, des hommes libres ? Les Spartiates défenseurs de la civilisation ?
Alors que
Frank Miller, lui-même, dans son oeuvre, raconte comment les enfants sont exposés dès leur naissance à des épreuves et que les plus faibles sont envoyés à la mort ! Alors qu'ils n'ont pas la liberté de devenir autre chose que des soldats à qui on ne laisse aucune initiative !
Les autres Grecs, et notamment les Athéniens sont traités d'efféminés, de faibles, parce que justement, ils ont des institutions démocratiques et que les soldats sont aussi des citoyens et pas des soldats de naissance.
Tout ce sous-texte, a fini par devenir un peu perturbant. Et je me suis rappelé que dans les années 1930, la société spartiate était un modèle pour les régimes totalitaires. Et je me suis rappelé des prises de position de
Frank Miller en faveur de la violence privée, des armes à feu, d'une certaine paranoïa sécuritaire et très homophobe et j'en passe !
Voilà pourquoi, cette oeuvre si fascinante soit-elle prône un message un peu trop ambigu à mon goût.