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Robert Laffont (01/01/1955)
3.75/5   4 notes
Résumé :
Dans "Je me souviens de deux lundis", Bert travaille dans un entrepôt new-yorkais avec des collègues qui essaient, comme lui, de s'en sortir d'une façon ou d'une autre. Quel souvenir va-t-il leur laisser ?
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Avant d'essayer de vous dire quelques mots sur ma lecture de la pièce d'Arthur Miller - Je me souviens de deux lundis -, je voudrais questionner ceux qui connaissent la pièce.
Celle-ci s'ouvre sur Bert, un jeune homme de seize ans, qui vient d'arriver en avance sur son lieu de travail, un entrepôt de pièces automobiles situé à New York, et qui lit le Times.
Son directeur, Raymond, lui aussi très matinal, l'interroge sur sa lecture.
Bert lui répond qu'il lit un article consacré à Hitler qui a pris le pouvoir en Allemagne depuis une semaine. Ce qui signifie que l'action se situe aux alentours du 6 février 1933, Hitler ayant été nommé Chancelier du Reich par Hindenburg le 30 janvier de cette année-là... Or Miller nous dit qu'il fait une chaleur étouffante dans l'entrepôt, que les employés sont en tenue "estivale", et Agnès une secrétaire de l'entreprise interpelle à un moment Bert sur ces mots : " Je parie que tu irais volontiers à la piscine, hein ?"
Sauf à ignorer que le réchauffement climatique ait eu ses premiers effets extra-ordinaires le 6 février 1933 à New York, je ne m'explique pas ce hiatus temporel dans la pièce de Miller.
Si vous avez l'explication qui a dû échapper à mon cerveau vieillissant... n'hésitez pas !
Il s'agit donc d'une pièce en un acte, lequel se joue sur deux lundis à un an d'intervalle ( je vous expliquerai le tour de passe-passe de l'auteur pour enjamber une année dans le même acte...). Bert, un jeune homme de seize ans est le dernier arrivé d'une équipe d'employés qui travaillent dans un entrepôt de pièces automobiles à New York.
L'entrepôt en question, est loin du travail à la chaîne à la Chaplin dans - Les temps modernes -.
C'est un peu une boîte à l'ancienne, vétuste, pas ou peu entretenue. L'air de l'entrepôt respire la poussière, les souris sont autant chez elles que les ouvriers, les vitres sont tellement encrassées que la lumière du jour n'a pas accès aux lieux, et sans mauvais jeu de mots, personne n'y travaille à la pièce. le désordre règne et pourtant, en dépit des apparences, ceux qui y travaillent aiment se retrouver dans ce lieu refuge...
Il y a là donc Bert, jeune homme de seize ans désireux de mettre de l'argent de côté pour reprendre ses études, Raymond le directeur quadragénaire stressé, Eagle le manager, Franck un chauffeur qui, comme certains marins, connaît une fille sur chacun de ses points de livraison, Agnès une secrétaire quinquagénaire, vieille fille qui rit tout le temps, Patricia vingt-trois ans... la pin-up de la boîte, Gus soixante-huit ans, pochard à l'accent slave, Jim soixante-cinq ans, pochetron lui aussi, Kenneth vingt-six ans, nouvel arrivé dans le pays, Irlandais autodidacte amateur de poésie et d'alcool, Larry trente-neuf ans, beau gosse, marié, père de famille, amateur de belles voitures et de femmes, Tom la cinquantaine...alcoolique, Willy et Jerry deux "presque jumeaux", eux aussi portés sur la dive bouteille, et enfin... un mécanicien à la recherche d'une pièce mécanique introuvable.
Entre le travail routinier, mécanique, répétitif, un travail qui n'enrichit ni le porte-monnaie ni encore moins l'esprit, Miller nous montre le quotidien de ces vies qu'on ne voit pas, auxquelles on ne s'intéresse pas et qui mènent autant à l'absurde qu'au tragique.
C'est cette vie à la Ken Loach qui fait que ces êtres qui se répètent pour payer un loyer, des traites, l'éducation des gamins, une vie où l'on tremble à l'idée de devoir sauter un repas par manque d'argent, c'est ce genre de vie et ce sont ces désespoirs individuels qui donnent à ces êtres un sens à ce lieu où les faiblesses de chacun prennent tout à coup l'illusoire et éphémère force rassurante et consolatrice du groupe.
Miller dit avoir écrit cette "oeuvre pleine de tragique... en partie par désir de redonner vie à une sorte de réalité où la pauvreté se montre à nu... pour y définir la valeur de l'espoir, aussi bien que de l'héroïsme de ceux qui savent supporter l'absence de tout espoir."
Une fois encore, comme dans ses autres pièces, Miller nous raconte "il était une fois l'Amérique".
1933, c'est Roosevelt, c'est la Grande Dépression, c'est le New Deal, c'est la menace Hitlérienne qui plane sur le monde, c'est le passé étasunien... le "génocide" des Amérindiens, ce sont "les raisins de la colère" dans le contexte d'un capitalisme qui vient de trébucher.
C'est la quête d'un jeune homme, Bert, qui lit - La Guerre et la Paix - de Tolstoï, qui se lit d'amitié avec un autodidacte irlandais qui lui récite des poèmes.
Le premier veut "arracher les chaînes et s'extirper du trou", le second a déjà renoncé.
De leur amitié aura jailli un court instant la lumière. Ils auront décrassé les vitres de l'entrepôt, permettant à ladite lumière de pénétrer dans leur grotte et de laisser le monde extérieur les pénétrer : leur vis-à-vis va s'avérer être un bordel où des femmes se prostituent sous leurs yeux aux regards diversement observateurs...
C'est en nettoyant ces vitres que, par un processus d'accélération du temps (procédé archi utilisé par le cinéma), que le seul acte enjambe deux lundis à intervalles d'un an et nous fait passer de l'hiver 33 à l'hiver 34.
Dernier hiver dans cet entrepôt que Bert quitte pour rejoindre l'université, soucieux de savoir quelle trace il laisse dans l'esprit de ceux auprès desquels il a vécu une année.
The answer my friends... is blowing in the wind.
On reconnaît la patte de Miller, mais -Je me souviens de deux lundis- a une saveur singulière dans son oeuvre.
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Je me souviens de deux lundis n'est pas, de loin, la pièce la plus connue d'Arthur Miller, et pour cause. Lors de la création, l'acteur principal avait oublié son texte et cela donna lieu à un massacre ; la pièce fut naturellement retirée de l'affiche manu militari. Cependant, assumée par Miller comme sa pièce la plus autobiographique, il a tenu à la faire publier dans son Théâtre en 1958, et elle était sa préférée de cette anthologie de cinq pièces.

Comparée à Ils étaient tous mes fils, Mort d'un commis voyageur ou Les sorcières de Salem, elle constitue une critique sociale beaucoup moins frontale. C'est un sentiment de nostalgie, voire de mélancolie, qui se dessine le plus clairement de cette longue scène se déroulant dans un entrepôt de pièces détachées pour automobiles. Les employés y vivent leur vie répétitive, dans un décor où le jour passe à peine en raison de vitres jamais lavées, et où un jeune homme, Bert, se détache de ses collègues. Ayant pour obsession de faire des études - peu lui importe lesquelles - et de les financer, il n'envisage son travail à l'entrepôt que comme un moyen temporaire d'économiser. Les autres y bosseront pour le restant de leurs jours. Ou se feront virer pour trouver un autre emploi du même genre.

L'attitude de Miller - qui travailla effectivement dans sa jeunesse dans un tel entrepôt - face à cette pièce est assez étonnante. D'une part, il la qualifie de tragédie, et d'autre part, il s'étonne "de ce qu'on y ait vu une conception tout à fait triste et désespérée de la vie". Difficile pourtant de partager sa vision faite d'espérance, lorsqu'on voit bien que seul Bert arrive à s'extirper de son milieu professionnel et de sa routine pour tenter d'accéder à une autre vie. Un autre personnage, Kenneth, est pourtant désireux de quitter son poste et son lieu de travail, et c'est précisément lui qui poussera Bert à laver avec lui les vitres encrassées de l'entrepôt, faisant entrer la lumière et la vie extérieure : oiseaux, arbres, chats, neige. Et pourtant...

Miller n'a pas utilisé d'actes ou de scènes définies pour construire sa pièce. Une seule scène nous est exposée, nous faisant passer subtilement, par le biais des jeux de lumières et des dialogues, d'un lundi d'été à un lundi d'hiver. Un procédé qui rappelle en partie les voiles et autres artifices (au sens noble) de la ménagerie de verre de Tennessee Williams, mais encore davantage certains passages de la mort d'un commis voyageur. le jour de son départ, Bert s'attend à ce que le moment revête une certaine importance dans sa relation de deux années avec ses collègues. La routine, qui mène à l'indifférence (et qui permet sans doute de supporter une vie très monotone) l'emporte, et Bert se heurte de façon criante à une absence de réaction. Pire, à une absence totale de communication.

Miller joue d'ailleurs très bien sur les répétitions : répétions de certains dialogues, mais aussi des situations, qui peuvent s'inverser d'un personnage à l'autre (l'un arrête de boire, tandis que l'autre devient alcoolique), ce qui nous ramène à une scène unique qui tourne en rond à n'en plus finir. Faut-il donc voir dans cette pièce, comme Miller, "l'héroïsme de ceux qui savent supporter l'absence de tout espoir", ainsi que l'espoir qu'incarne Bert en quittant l'entrepôt ? Pas évident. J'aurais tendance à rejoindre la vision ultra-pessimiste de Tricky, qui disait à des enfants de Bristol qu'il constituait une exception et que pratiquement aucun d'entre eux ne se sortirait de son bourbier. Mais bon, dire ça à des gosses, c'est quand même pas très constructif... On préfère penser qu'il y a forcément quelque chose à faire contre ce vide qui mine les cerveaux. Individuellement ou collectivement. C'est pas gagné.


Challenge Théâtre 2018-2019
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
KENNETH
Larry, tu crois qu'on pourra faire laver ces fenêtres un jour ? J'ai toujours pensé que, si on pouvait voir un morceau du ciel, les choses n’iraient pas plus mal.
LARRY
Je ne les ai jamais vues lavées, depuis que je suis là.
KENNETH
Je le ferais bien moi-même, mais tout le monde me prendrait pour un fou. (Il regarde à travers une fenêtre ouverte de quelques centimètres.) On pourrait regarder les nuages, le temps qu'il fait, les orages. On verrait quelquefois des oiseaux.
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KENNETH, à Larry.
On ne peut pas lui faire de reproches. Il y a seize ans qu'il est dans la maison.
LARRY
Tu as raison.
KENNETH
C'est une vie bien monotone, tu ne crois pas ?
LARRY
Très monotone.
KENNETH
Seize ans, ça en fait des lundis matins. Et rien dans la tête pour faire passer le temps.
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Videos de Arthur Miller (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Arthur Miller
Nouveau thriller disponible sur la chaîne POLAR+ à partir du mardi 21 Janvier 2020.
Un film de Brian A. Miller. Avec Bruce Willis, Frank Grillo, Jonathon Schaech.
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