C'est peut-être lorsque, par trop présomptueux, l'on pense bien connaître l'oeuvre d'Henry de Monfreid, en avoir lu l'intérêt et le capital, que ce livre vient à point nommé.
"Le cap des trois frères" s'ouvre sur une vieille photo de famille.
Henry de Monfreid entame, ici, le récit des souvenirs de ses premières années passées à la Franqui, près de Leucate dans l'Aude.
La mer déjà borde son enfance.
Déjà l'aventurier montre son nez derrière l'enfant qu'il est encore.
Le récit est captivant, sensible et souple.
Henry de Monfreid relate et analyse avec des mots d'adulte.
Comme il sait le faire, Il esquisse les paysages, il raconte quelques anecdotes mais surtout il peint une splendide galerie de portraits.
Ce livre, mal connu, est saillant dans l'oeuvre de Monfreid.
Car ayant montré l'enfant, il fait voir d'un autre oeil l'homme qu'il deviendra, l'écrivain qui s'imposera.
C'est de plus un livre riche, foisonnant, tendre et sensible.
Il est empli de scènes fortes comme l'arrivée à la propriété d'un trimardeur en pleine nuit, le naufrage de la "Marietta" ou comme la mort du vieux jardinier normand.
Le livre est écrit de main de maître.
Il est une magnifique clé pour entrer dans l'oeuvre de Monfreid autrement qu'en découvrant "les secrets de la mer rouge".
Car loin du rivage de Djibouti, il parle du temps aujourd'hui disparu, celui des petits garçons en robe, celui des photos en noir et blanc, celui d'antan où le bien-être n'était pas fait en série et où l'on pétrissait le pain à la ferme tous les dix jours.
L'univers de son enfance est féminin.
Et Henry de Monfreid sait se faire émouvant lorsqu'il évoque le souvenir de sa mère, de sa tante Hortense, de sa grand-mère.
Mais il est sans indulgence lorsqu'il parle de son père, Georges.
Le récit est intelligent et lucide.
Bien sûr, il sera question de navigation, un peu ... et de la mer, beaucoup.
Dans "Le cap des trois frères", Henry de Monfreid, finalement, écrit peu sur lui.
Sa plume va là où porte son regard, vers qui se tourne son attention d'enfant et s'émeut pareillement de ce qui a pu l'émouvoir.
Le détenteur des secrets de la mer rouge en possédait un de plus qui était celui de son coeur d'enfant.
Il nous l'offre avec ce livre superbe ...
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Je vois encore le sourire mystérieux de tante Hortense qui, sans doute, se réjouissait de découvrir en moi ce goût de la fiction dont elle ornait sa vie monotone de paysanne pour ne pas sombrer dans l'ennui mortel des esprits pauvres.
Elle avait une âme d'artiste et assez de profondeur d'esprit pour comprendre la valeur de ce trésor ...
De temps en temps, Corentin, le baigneur, arrivait avec la Finotte, sa femme, mais leur maison des cabines était déjà un peu loin, leur visite était exceptionnelle.
Tout ce monde se tenait un peu en arrière dans la pénombre pour écouter parler le brigadier qui se piquait d'instruction.
Il arrondissait ses phrases comme on moule une belle écriture, mais ce genre était superficiel : sous cette forme prétentieuse il avait gardé son bon sens de paysan et quelquefois, sans le vouloir, il avait de l'esprit ...
Qui prétend vivre par lui-même et refuse la protection de la bergerie pour affronter seul la lutte de la vie, celui-là est suspect, et moins il demandera à la collectivité, plus celle-ci lui sera hostile, car elle exerce sa tyrannie dans la mesure où l'individu s'appuie sur elle ...
J'allais maintenant sur mes quatre ans : l'univers s'était créé autour de moi ...
HENRY DE MONFREID / VIVRE LIBRE / LA P'TITE LIBRAIRIE