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Ultima Necat tome 2 sur 4
EAN : 9782251445502
582 pages
Les Belles Lettres (19/10/2015)
4.58/5   6 notes
Résumé :
Nécessité de tenir mon Journal : dire le plus crûment possible tout ce que je pense être vrai et qui ne peut en aucune façon être avoué publiquement. Il y a des choses dont l'aveu vous condamne à jamais. Ça s'est passé à toutes les époques, mais plus encore dans notre société cordicole d’aujourd’hui. Donc, Journal. Cette activité « archaïque » justifiée par ce qu’il y a de plus moderne ou post-moderne dans l’ambiance de maintenant: l’impératif de Vertu totale dont l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
On ne peut résumer en quelques lignes tout l'intérêt de ce tome II du Journal de Philippe Muray, car les trois années qu'il évoque, 1986, 1987, 1988, sont riches en projets, réflexions et travaux. S'il semble impossible d'entrer dans ce livre à ceux qui ignorent tout de la pensée de Philippe Muray (voir par exemple l'article sur le site de Philosophie-Magazine), c'est qu'il faut être passé par la lecture de ses recueils d'essais et, après les avoir lus, être dessillé des illusions du temps. Mais cette lecture sera de même difficile si, comme c'est mon cas, on n'a pas lu "Postérité", le roman auquel l'auteur s'est attelé pendant des années, pour finir, comme Nietzsche, par être "tu à mort", todtgeschweigen, non pas annihilé par une conspiration du silence, car il faudrait des conspirateurs, mais simplement non lu, non advenu, annulé. Dans un tel cas de figure, l'esprit grégaire fera porter la faute à la victime, comme toujours : s'il n'est pas lu, c'est qu'il est illisible. D'après ce que j'ai appris de "Postérité" à travers le Journal, ce roman touche au contraire à ce que personne n'a envie d'entendre mais que tout le monde sait : la reproduction, ou la production d'enfants comme enjeu de la guerre des sexes. L'enfant, l'amour, et tous ces mots roses de la "bergerie layette", comme il dit, sont l'objet d'une analyse fine des relations de domination entre hommes et femmes, dans le milieu editorial que l'auteur a l'imprudence de décrire. Les femmes, dit Muray, ont trop intérêt à se faire passer pour des victimes pour "laisser dire cela", les autres ont trop envie de les baiser pour regarder de plus près aux pièges du sexe. Ce Journal est de même plein de femmes, comme le roman dont il fait la chronique, et elles y font l'objet d'un éloge constant, vibrant et .. lucide, à travers les personnages du roman "Postérité".

D'autre part, la vie intime de l'auteur (le sous-titre est "journal intime") se mêle à celle des personnages du roman, et le reste, ce qui pourrait piquer la curiosité, est passé quasiment sous silence. Ce n'est pas le moindre attentat que Muray fait subir aux idées reçues : il "bouscule les limites des genres littéraires" (comme on dit dans les journaux) en montrant que raconter des histoires et penser sont des activités identiques, que le roman et l'essai ne sont pas opposés. Par le roman il opère une "constante mise en question des valeurs (des mensonges) morales de l'an 2000. Tout ce qu'on ne peut pas dire, il faut l'écrire ici." (p. 342) La grande beauté de cet ouvrage réside dans la guerre sans pitié qu'il livre au cliché, verbal et idéologique, en tant que pensée collective et grégaire : "je ne suis capable de m'y mettre (à l'écriture) qu'à partir du moment où j'ai aperçu un consensus à renverser ... (un "axiome", si on veut, une évidence acceptée par la société, une proposition hors discussion pour l'écrasante majorité), sur quoi tout le monde est d'accord et qui me donne, par conséquent, l'envie irrésistible de foncer dedans. Etc." (p. 533) Ce ne peut être que l'oeuvre d'un homme seul et à qui le monde tournera le dos. Mais n'est-ce pas la raison d'être même de la littérature de dessiller et de rendre lucide, quoi que les masses et leurs médias en pensent ?

On se perdra avec délices dans les innombrables citations (Guy Debord, Delacroix, Balzac), lectures et observations de l'auteur sur l'état de la culture en ces années-là, qui ne semblent pas très différentes des nôtres. On apprend encore de ce livre que c'est un effet de "l'ignorance midinette" de surestimer "le fossé des générations". Tout au plus pourrait-on dire qu'en 2020, l'état de notre culture est plus avancé, comme on le dit des fromages à pâte molle.
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Journal très chargé dans sa rédaction, mais offrant des fulgurances magnifiques.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
7 avril 1986.
Excellente remarque de Cioran qui dit à peu près qu'on ne devrait écrire que ce qu'on n'ose confier à personne. C'est exactement le contraire de ce qui se passe aujourd'hui de plus en plus. Ce qu'on écrit, c'est ce qu'on a non seulement confié déjà à tout le monde, mais qu'on a lu partout, qui a fait déjà l'objet de débats archi-usés, éculés, et sur quoi tout le monde est d'accord à quelques nuances près (ces nuances permettant de débattre...). On n'écrit que ce qui est acceptable, possible de dire de vive voix, audible par tous (c'est-à-dire par les enfants). Disparition aussi de l'idée d'autrefois que les vraies conversations ne pouvaient commencer que si les enfants étaient couchés. Toutes les conversations aujourd'hui peuvent très bien se dérouler en présence des enfants, elles sont assez "layette" pour ça. Après tout, le roman de Proust n'aurait pas eu lieu si l'enfant qu'il est, au début, n'était pas exclu de la conversation des adultes et envoyé se coucher...
p. 45
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27 janvier 1986.
Si la littérature est condamnée à mort, à moyenne échéance, par l'existence des médias, ce n'est pour aucune des raisons connes et rabâchées, mais parce que le principe des médias est de faire /comparaître/ l'écrivain devant le public. On appelle ça communication, c'est un terme poli. En réalité, il s'agit de procédure judiciaire, toujours, sous une forme qui peut d'ailleurs dans certains cas être brutale. L'écrivain doit venir /répondre/ de ce qu'il a écrit. Or l'écrivain qui vaut la peine écrit /toujours/ des choses abominables. Il n'est pas là pour faire marcher les restaurants du coeur, c'est pas sa fonction. Il n'est pas là pour protester contre la torture, la famine, les injustices, pour en appeler à l'Harmonie et au Bonheur. Or tout cela, c'est justement la seule chose que les médias puissent entendre. Ils ne sont pas là pour offrir une tribune à un délire d'énergumène, un décalage, une calomnie contre l'espèce. Eventuellement, ils sont là pour demander des comptes à celui qui a lancé cette calomnie. L'écrivain peu à peu va s'apercevoir de ça. Il comprendra qu'il vaut mieux filer doux, s'il n'a pas envie de subir les conséquences de ce qu'il a écrit, de récolter la tempête pour le vent qu'il aura semé. Peu à peu, donc, il la fermera. Sur tout. Pendant quelque temps encore, il tartinera du fade, du layette, du "bonne volonté", du "restaurant du coeur" - et puis ce sera fini. Comme, dans ce registre, il sera moins drôle que les vedettes du show-biz, on l'oubliera, il disparaîtra.
p. 18
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25 mars 1986.
L'histoire de la mauvaise littérature, de la littérature à succès, des best-sellers. Il s'agit toujours de bergeries. De pastorales. La question de la mauvaise littérature se pose aujourd'hui de façon particulière puisque les médias ne semblent avoir été inventés que pour la promouvoir. Il est donc intéressant d'en chercher les fondements. De revoir la façon dont les écrivains d'autrefois l'ont combattue. Pour chaque époque elle est différente. Cervantès a affaire au stéréotype bucolique : "tous ces livres qui parlent de bergers et de bergères", dit-il dans "Le colloque des chiens". Berganza y compare les voix idéalisées des bergers des romans et les voix "si rauques" des bergers réels qui ne chantaient pas, dit-il, mais paraissaient "hurler ou grogner". Ces livres, écrit Cervantès, ces mauvais romans, "sont choses de rêve, écrites pour l'amusement des oisifs, et non vérité aucune." Gloser sur l'Arcadie dont on a rêvé pendant des siècles. Et sur l'opération de /désarcadisation/, le geste de désacralisation qu'est toute littérature ... Il semblerait que, d'après Marthe Robert, la question fondamentale de Don Quichotte est : quelle est la place des livres dans la vie ? Or, ce ne sont pas les livres que "Don Quichotte" met à l'épreuve de la réalité, mais les illusions. La littérature est ce qui encercle les illusions. La littérature est ce qui juge la mauvaise littérature ... L'humour consiste à mettre la mauvaise littérature (la volonté de se reproduire, la scissiparité des corps considérée comme normale, l'amour du progrès, etc.) en relation avec la bonne.
p. 38
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2 septembre 1986 (sur un article "scandaleux" paru dans Libération et les lettres de lecteurs indignés).
La morale c'est intéressant parce que c'est comme la littérature : tout le monde estime en savoir assez pour en parler et trancher. C'est-à-dire que l'échec de Nietzsche est total. Personne ne prend ça avec précaution. Chacun pense avoir son mot à dire .. Chacun sait, sans discussion, ce qui est bien et ce qui est mal. La jouissance à se voir soi-même jaillir d'indignation est toujours la même, rafraîchissante d'innocence. Et puis, comme d'habitude, personne n'est visité, bien entendu, par l'idée qu'il s'agit de quelque chose d'écrit. C'est une vieille question toujours neuve, ça aussi, toujours intacte. La personne morale des êtres est ce qui empêche la question de la littérature. L'image d'eux-mêmes qu'ils et elles enregistrent est toujours morale. Le seul combat que les êtres livrent jusqu'à la fin de leur vie est moral. L'analphabétisme moral est ce qui empêche de problématiser la morale. La morale est ce qui va de soi, etc. Tout le monde est à égalité dans l'évaluation morale. La question morale soutient le plus solidement la confusion, l'indifférenciation, l'égalitarisme d'aujourd'hui. Pour toutes ces raisons, il n'y a aucune chance de faire comprendre ce que je dis là.
p. 155-156.
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6 septembre 1987, p. 313.
Les grands romans sont toujours venus pour désillusionner, décevoir, désespérer, désorienter, désidéaliser, défriser le romanesque...
Le roman est la preuve qu'il y a un antagonisme fondamental entre la littérature et le genre humain.
Sur un autre plan, le romanesque ... c'est toujours l'idéalisation des situations; ça peut être, dans certaines époques surdéterminées par l'idéologie, l'utopie ravageuse (marxisme ou autre)...
Le romanesque aujourd'hui se donne bien entendu libre cours à la télé, dans les médias. Il y déploie, comme toujours, toutes les couleurs du mauvais goût. C'est le fond de l'air rose du temps. La futurisation layette. Le sirop nursery.
Note de l'auteur :
Problème aujourd'hui : puis-je continuer à faire mon "métier" d'écrivain (= désespérer la midinette) alors que c'est la midinette, et elle seule, qui achète des livres, les lit, les commente (dans les magazines, à la télé), en écrit ? (1988)
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