Les jeunes gens parlaient très fort, en se bousculant et en s'invectivant en des termes d'une crudité qui horrifiait le pauvre commerçant zoulou, avec des roulements de r, des syllabes traînantes, et de temps en temps un petit crachat par terre :
" Alors l'autre bléter, j'y ai fait exploser les beuzes.
- Arrêteke, rottekop, tu causes, mais t'es qu'un lawaïtemoeker, un babelleïr, alleï
.- Lupt no de kluëte, platte beuze, ta mère la plode, elle t'a refilé des platloÏes en t'accouchant, alleÏ.
- Et toi, krapul van't strotche, zagher de ta race !
- Fafoul!"
Or, quelques jours plus tard, dans le métro de Méroé, le commerçant zoulou se trouva assis à côté d'un groupe de jeunes gens d'origine belge. Enfin de jeunes de quartiers.
Bref, il s'agissait d'un groupe de jeunes. C'étaient même des caricatures de jeunes Belges, grands, blonds, le teint pâle, un peu rougeauds.
Tous étaient coiffés en brosse, avec une petite houpe devant.
Ils arboraient l'uniforme à quoi on reconnaît le jeune de banlieue : pantalons de golf, casquettes à carreaux, vestons trop cintrés et trop petits.
Ils transportaient une radiocassette qui passait à fond des chansons d'Annia Cordy, ce qui ne manqua pas d'importuner le Zoulou, mais il n'osa rien dire.
La bourrée n'a rien de belge, encore moins de nubien. Pénétrés de culture française, les jeunes Belges lui ont emprunté la bourrée au début des années quatre-vingt.
Elle était devenue, en France, la musique des damnés de la terre, des exclus : les Auvergnats.
De telles cruautés atteignent parfois n'importe qui, celui qui commet la faute d'être là au mauvais moment. Mais le plus souvent, elles visent une cible bien particulière : l'autre.
Qui est l'autre, dans les territoires invisibles ?
Une version scénique et inédite de « Bookmakers »,
par Richard Gaitet, Samuel Hirsch & Charlie Marcelet
Avec Télérama et Longueur d'ondes
En dialoguant avec 16 auteurs contemporains qui livrent les secrets de leur ecriture, decrivent la naissance de leur vocation, leurs influences majeures et leurs rituels, Richard Gaitet deconstruit le mythe de l'inspiration et offre un show litteraire et musical.
Avec les voix de Bruno Bayon, Alain Damasio, Chloe Delaume, Marie Desplechin, Sophie Divry, Tristan Garcia, Philippe Jaenada, Pierre Jourde, Dany Laferriere, Lola Lafon, Herve le Tellier, Nicolas Mathieu, Sylvain Prudhomme, Lydie Salvayre, Delphine de Vigan et Alice Zeniter.
En partenariat avec Télérama et le Festival « Longueur d'ondes »
+ Lire la suite