Une histoire incroyable, qui commence avec une dispute banale dans un couple mal assorti et sur le point de se séparer. Lui, kinésithérapeute, n'a pas de fortune mais des mains en or pour adoucir les tourments des riches héritières en villégiature sur la Côte d'Azur. Elle, bien dotée financièrement, ne travaille pas mais s'absente assez souvent, trop sans doute au goût de son mari, et sait lui faire comprendre sa supériorité. Un plan diabolique autant que désespéré va germer dans la tête de l'homme aux mains d'or. Et pourtant, cela n'est rien par rapport à la machination dont il va être victime à son tour. Nos deux spécialistes de l'horreur domestique ("Celle qui n'était plus", "Les louves", et tant d'autres) s'en sont donné à coeur joie dans ce thriller psychologique mettant aux prises un homme, deux femmes, et un troisième larron qui n'apparaît qu'à la dernière page. Suspense et rebondissements garantis. Ne cherchez pas l'assassin, il est au fond de nous…
Commenter  J’apprécie         31
Il y a vingt-cinq ans qu’il est exploité. Jusqu’à ce nom de Duval qui n’est pas le sien ! Il est dans le monde comme une plante de hasard. C’est le vent qui l’a fait naître. C’est le vent qui l’emportera. Il ne pèsera pas lourd. Il n’a rien à lui. C’était absurde, ce désir de s’installer, de se fixer, d’avoir une plaque de cuivre, sur la porte : Raoul Duval. Kinésithérapeute. Il ne sait pas, il ne saura jamais jouer le jeu, tenir des comptes, posséder un coffre à la banque, acheter des valeurs, grossir lentement comme une tumeur pleine de fric. Ses mains ne sont pas faites pour amasser. Il s’est trompé d’époque, ou plutôt on l’a trompé. Il aurait été heureux, autrefois, au Moyen Âge par exemple, dans quelque rue étroite et populeuse. Il aurait soigné pour rien. On serait venu le consulter de loin ; on l’aurait comblé de présents.
Véronique déclenchait le lave-glace ; la route devenait floue. Ils se taisaient. Ils sentaient leur fatigue mais la querelle n’était pas vidée. Elle ne le serait jamais. Pendant des mois, elle avait couvé…
— J’en fais une question de principe.
C’était elle qui parlait. Elle s’adressait à la route, à la nuit qui tombait lentement ; et les feux de position commençaient à s’allumer au flanc des camions. Elle avait raison, bien sûr ! Duval savait, douloureusement, que c’était sa faute, à lui seul. Il était doué pour le gâchis, comme d’autres pour le piano ou la peinture. Ah ! pourquoi, justement, avait-il choisi cette femme ? Pourquoi ? …
Ils se disputaient depuis des heures. Avec prudence, car il y avait beaucoup de monde sur l’autoroute. Véronique s’arrêtait au milieu d’une phrase, quand elle doublait un poids lourd, puis, les yeux sur le rétroviseur, achevait ce qu’elle avait à dire. Un silence. Elle laissait à Duval le temps de répondre. Ils ne se regardaient jamais ; ils roulaient trop vite. Ils devaient crier leurs griefs parce que la Triumph, décapotée, s’enfonçait dans un tunnel de tumulte et de vent. Parfois, un insecte s’écrasait sur le pare-brise, comme un crachat sanguinolent. Véronique déclenchait le lave-glace ; la route devenait floue. Ils se taisaient. Ils sentaient leur fatigue mais la querelle n’était pas vidée. Elle ne le serait jamais. Pendant des mois, elle avait couvé…
— J’en fais une question de principe.
Duval se passa la main sur les yeux, sur les tempes. Du calme ! Surtout, du calme !
— Tu m’as bien permis de tirer sur ton compte ? dit-il.
— Je ne vois pas le rapport.
— Attends ! Au départ, tout ce qui était à toi était à moi, et tout ce qui était à moi était à toi ?
— Tu n’avais rien.
— Mettons ! dit Duval, patiemment. Il n’empêche que j’avais le droit de prendre de l’argent ? Oui ou non ?
Elle haussa les épaules.
— Et pourtant, reprit-il, tu me traites de voleur. Je ne vois pas pourquoi, moi, je ne te traiterais pas de…
— De ? …
— Écoute, Véronique. J’en ai assez !… Toute la journée de jeudi, j’ai essayé de t’avoir au téléphone. Je voulais justement te parler de ce chèque. Je t’ai appelée jusqu’à minuit… Pas de réponse. Alors ? Où étais-tu ?
Les hommes, d’ailleurs, ne venaient qu’après avoir épuisé tous les remèdes. Ils étaient difficiles à soigner, douillets, grognons, toujours un peu méfiants. Duval rêvait parfois d’une clinique spécialisée : les malades se présenteraient entièrement nus, la tête cachée par une cagoule. Défense de parler. Il n’y aurait plus que des corps anonymes. Alors, oui, le métier serait beau.
1960. Meurtre en 45 tours, film français réalisé par Étienne Périer, d'après le roman À cœur perdu, avec Danielle Darrieux, Jean Servais et Michel Auclair.