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Florica Courriol (Traducteur)
EAN : 9782721008763
298 pages
Editions des Femmes (08/04/2021)
3.54/5   14 notes
Résumé :
Cristina traverse son adolescence dans les années 1980, durant la dernière décennie de la dictature roumaine. Élève dans un lycée de province, elle s’éprend d’une camarade de classe issue d’un milieu plus élevé et se découvre une passion pour l’écriture. Mais les diktats imposés par le régime lui barrent le chemin. Jeune adulte, elle s’efforce de naviguer entre les contraintes politiques, familiales et sociales qui pèsent sur les femmes. Elle essaie d’écrire, jongla... >Voir plus
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Je remercie d'emblée les Éditions des Femmes Antoinette Fouque pour leur envoi rapide et soigné de ce livre dans le cadre d'une opération masse critique. Un immense merci à BABELIO aussi, car cette lecture fut pour moi une très belle surprise.
J'avais découvert le théâtre d'Alina Nelega par le biais de sa pièce traduite en français « Amalia respire profondément » qui ne m'avait pas conquise, loin de là. J'avais donc une certaine appréhension, mais aussi une véritable envie de donner une seconde chance à Alina Nelega. Je suis donc très contente d'avoir pu lire ce roman, d'amour, social, historique, d'exil et même philosophique qui multiplie les références à la littérature roumaine et universelle et qui offre au passage une belle réflexion sur le théâtre.
Page 96 est indiqué le nom de la protagoniste : Nemeș Cristina qui a vingt-deux ans en 1983 (cf. p. 105), tandis que l'identité officielle de son amoureuse, Nana n'est dévoilée que page 235, Nicoară Iuliana. Toutefois, leurs portraits respectifs sont déjà bien croqués avant.
Le roman est construit sur une trame linéaire et il est divisé en trois parties : I (1979-1983), II (1984-1987) et II (1988-1989). Il s'agit donc de la dernière décennie de communisme avant la chute du couple de dictateurs Ceaușescu, couple autour duquel était déployé un véritable le culte de la personnalité.
C'est, je trouve, un livre qui se lit vite et avec une certaine avidité, car le rythme y est assez alerte.
J'ai beaucoup apprécié le leitmotiv de la respiration, comme métaphore de la vie et de la liberté. J'ai vu dans la répétition fréquente de « respire profondément » comme une mise en abîme qui revoie à la pièce « Amalia respire profondément ». L'atmosphère est souvent étouffante et plus on avance dans le récit plus l'air est irrespirable (cf. p. 109 pour ne citer qu'un exemple).
J'ai aussi beaucoup aimé la comparaison avec Rip van Winkle (cf. p. 294) le personnage de Washington Irving.
Les mécanismes de la dictature et les droits des minorités sont abordés avec lucidité et on peut valablement affirmer que c'est un roman sur la féminité, voire un roman féministe, dont l'action se déroule principalement dans une ville de province qui n'est pas nommée expressément mais on devine aisément qu'il s'agit de Târgu Mureș.
Un roman dense qui nous amène, peu après la chute du mur de Berlin, même à Paris « où la vie pulse » (p. 294), où beaucoup de Roumains vivent, mais dont la plupart « veulent tous n'être que français et oublier au plus vite d'où ils viennent » (p. 270).
Il y a aussi le thème habilement traité de l'écriture comme acte de délivrance (cf. p. 284). Cristina a toujours rêvé d'écrire et de dire la vérité et elle y parviendra mais à quel prix ! J'y ai vu, en ce qui me concerne une autre mise en abîme, car le roman a une forte charge autobiographique. Nous lisons en quelque sorte par-dessus l'épaule de Cristina.
Une traduction du roumain dont je conseille la lecture !
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Comme si de rien n'était nous désigne son héroïne dès l'entrée du roman : ce sera Cristina, jeune lycéenne roumaine amoureuse de sa meilleure amie et trouvant un exutoire dans l'écriture. On fait sa connaissance au lycée dans les années 70 et on la suivra jusqu'en 1989 lors des premiers frémissements de l'inexorable chute à venir de Nicolae Ceausescu juqu'alors « conducatorbienaimé ».
Bon alors héroïne, oui et non. Cristina est une jeune femme comme tant d'autres mais qui a l'héroïsme de réussir à vivre dans cette Roumanie faite de privations, d'abus sexuels, de tabou ultime concernant l'homosexualité (qui semble constituer aujourd'hui encore une source d'inspiration inépuisable pour les Kadyrov en puissance), de surveillance permanente, de censure, de purge et d'adoration démesurée (bien que souvent contrainte et factice) pour le « génie des Carpates » et sa bourgeoise.
Mais à travers Cristina, plus qu'une jeune fille dans la Transylvanie de L'Âge d'Or, c'est la voix de tout un peuple que nous fait entendre Alina Nelega, peuple qu'on a cherché à anéantir mais qui, résilient au delà de tout, s'est adapté à la Securitate (police politique secrète), à ses terreurs, ses humiliations, à la pénurie des besoins les plus élémentaires et qui a su tenir bon.

Voilà donc un roman qui avait à priori tout pour me séduire alors pourquoi cette impression d'être un peu passée à côté ? L'écriture est fluide, directe, quelques fois agréablement ironique et pourtant, certains chapitres m'ont parfois fait bailler d'ennui. Des parties qui bien souvent mettaient en exergue le passé de la Roumanie, faisant entendre le discours des anciens pour (refrain bien connu) expliquer à la jeunesse à quel point l'époque miséreuse dans laquelle elle vivait à l'aube des années 80 était fastueuse (« alors que de mon temps... une orange à noël... s'amuser follement avec deux cailloux, etc etc... ») Des chapitres utiles donc mais dont le manque de dynamisme finit par rendre un tout qui m'a semblé souvent bien fadasse, dû autant à l'absence de vitalité du récit qu'au manque de profondeur de personnages dont on ne sait pas toujours qui ils sont ni d'où ils viennent, ajouté à cela qu'ils sont nombreux.
En définitive, tout fini par s'embrouiller pour finalement accoucher d'un roman intéressant mais qui aurait tellement gagné à être plus nerveux et ne pas sembler aussi souvent confus dans ses époques et dans ses protagonistes.

Tout cela n'empêche bien sûr pas de remercier comme il se doit Babelio ainsi que les brillantes Éditions Des Femmes dont le catalogue reste une mine d'or et de découvertes.
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Comme si de rien n'était, de Alina Nelega
Publié le 26 avril 2021 par Emmanuelle Caminade

Comme si de rien n'était, de Alina Nelega
Alina Nelega est surtout connue en tant que dramaturge, ses pièces étant traduites et jouées dans de nombreuses langues. Après un premier roman publié en Roumanie en 2001 - mais non traduit en français -, elle est brillamment revenue à ce genre. Comme si de rien n'était, sorti dans son pays en 2019, a en effet remporté le Prix Observator cultural 2020. Et, grâce à Florica Couriol - toujours attentive à la littérature contemporaine de son pays natal -, les éditions des femmes nous en proposent aujourd'hui une magnifique traduction.

Ce roman semble s'inscrire dans le sillage du célèbre monologue théâtral de l'auteure roumaine publié dans sa version française en 2012 sous le titre Amalia respire profondément (1) et joué de nombreuses fois, notamment au Festival d'Avignon. Oscilllant entre tragique et grotesque, l'auteure y décrivait une fille étonnamment naïve traversant l'histoire plombée de son pays en tentant de survivre dans des conditions irrespirables. Jusqu'à la délivrance du dernier soupir.

1) Monologue en un acte et huit séquences (ou respirations), traduit en français par Mirella Patureau (L'espace d'un instant, 2012)




Comme si de rien n'était couvre la décennie 1979/1989 correspondant aux dix dernières années, les plus dures, de la dictature roumaine. Il se déroule essentiellement en Transylvanie, dans cette région multiculturelle enserrée par les Carpates qui fut rattachée à la Roumanie lors du démantèlement de l'Empire austro-hongrois. Un territoire qui, après la parenthèse de la guerre où il fut rendu aux Hongrois, obtint le statut privilégié de région autonome avant qu'il ne lui soit retiré par Ceausescu en 1968, non sans frustrations sévères.

«Dans ce pays de misère et d'hypocrites», nous suivons le destin individuel de Cristina, une jeune héroïne nourrissant deux grandes passions : l'une pour son amie de lycée Nana qui semble son reflet inversé (2), et l'autre pour l'écriture.

Lycéenne de terminale dans une ville transylvaine non nommée - mais qu'un lecteur roumain reconnaîtra aisément (3) -, Cristina réalise qu'elle est amoureuse de sa meilleure amie. Mais, après un bref épisode fusionnel où elles «se sont embrassées et touchées de partout», elles sont vite séparées. Nana s'enfuit sans crier gare pour suivre des cours de théâtre à Bucarest, tandis que Cristina, recalée au concours des universités, se retrouve à traduire des notices techniques dans un bureau avant de réussir à entrer à l'université provinciale de Cluj.

Cristina épousera sans enthousiasme Radu, le frère de son amie «dont le seul attrait est qu'il ressemble à sa soeur», puis se retrouvera avec un enfant, fruit d'un viol qu'elle tiendra secret, comme effacé de sa vie : «Il ne s'est rien passé, ce n'est qu'une journée vide dans sa mémoire». Après son divorce, renouant avec Nana, elle connaîtra une courte période de bonheur. Mais Popa Traian, son violeur, croisera de nouveau son chemin...

Et les deux passions de Cristina seront anéanties, l'héroïne ne pouvant survivre à leur destruction.

2) Elles appartiennent à des classes sociales différentes, et si Cristina est une fille de banlieue du quartier Katanga, son amie habite un quartier résidentiel. Nana devenue actrice porte toutes ses expériences, toutes ses blessures en elle, prêtes à être utilisées pour nourrir l'illusion sur scène. Cristina, au contraire les nie, les oublie en surface, réinvestissant cette vérité avec une violence, une fantaisie et une franchise désarmante dans les textes qu'elle imagine en secret, et qui ne seront jamais publiés.

3) Târgu-Mures, la ville natale de l'héroïne comme de l'auteure. Cf l'interview (en roumain) donnée par l'auteure à Andreï Vornicu en 2019 : ICI (et sa traduction approximative Google : ICI)




Târgu-Mures (1967)

Comme si de rien n'était est un livre dense, riche et profond dont la touchante héroïne, si sincère et vulnérable, marque durablement le lecteur. Ce roman d'amour doublé d'un roman politique et social décrit la privation de liberté et l'asphyxie progressive de toute une société. Il traite plus spécifiquement de la condition des femmes et des minorités sexuelles et ethniques - doublement opprimées (4) sous la dictature communiste -, brisant les tabous de l'homosexualité, notamment féminine, comme de l'instinct maternel. Et il éclaire les peurs et les préjugés, et surtout la profonde dégradation morale de cette société roumaine patriarcale sous l'emprise totalitaire.

L'auteure y décrit ainsi au quotidien, avec l'authenticité criante du vécu, les multiples mécanismes de contrôle et d'enfermement, ainsi que l'ampleur des pénuries et de la corruption. Et, sondant les rouages intimes des êtres humains confrontés à ces situations extrêmes, elle met en scène de nombreux protagonistes complexes, jamais manichéens : des personnage contaminés à des degrés divers qui s'éloignent insensiblement des schémas moraux, perdant peu à peu une conscience nette du bien et du mal.

Mettant en abyme sa propre écriture au travers de celle de Cristina, Alina Nelega nous interroge de plus sur le réel et l'imaginaire, la vérité et le mensonge. Mais aussi sur l'incommunicabilité entre les êtres, sur la difficulté à être soi et à être compris par l'autre, éclairant la profonde solitude de son héroïne animée par un désir de transparence : «Elle voudrait que les gens disent ce qu'ils pensent ou se taisent, un point c'est tout, comme ça on n'aurait pas besoin de faire semblant».
Une héroïne qui voudrait aussi «être regardée», et dont la vie se résumera dans la quête impossible de bonheur de cette «lourlougeana», un être étrange issu de son imagination, dont la peau transparente laisse voir tous les organes, toutes les pensées et les émotions : «C'était un peu comme regarder un aquarium où nagent, à la place des poissons, des sentiments, des idées, des souvenirs et des désirs».

4) L'oppression de la dictature contamine et renforce en effet les préjugés d'une société fondamentalement patriarcale, et majoritairement machiste qui devient de plus en plus nationaliste


Comme si de rien n'était ...

«On fait semblant de rien mais en réalité c'est au grand jour, sauf que tout le monde détourne le regard.»

À l'époque, la Roumanie avait un des systèmes de terreur les plus efficaces et lutter contre la dictature au sein du pays était impossible. Fermer les yeux et faire «comme si de rien n'était» était la seule façon de survivre, surtout pour les petites gens.
Cristina semble venir d'une autre planète. Certes ce n'est pas une sainte, elle aussi simule, mais elle résiste. Elle ouvre grand les yeux et regarde : «Elle avait cette mauvaise habitude de regarder pour voir», nous dit-on d'emblée. Et elle enregistre toutes ses expériences dans le moindre détail, comme «chacun des gestes de tous les gens qu'elle [a] connus, chaque son ou visage vu, entendu ou imaginé...», sans compter les odeurs, des effluves culinaires les plus réconfortantes aux relents de saleté et aux émanations polluantes.

C'est le refuge ludique de l'imaginaire, de l'écriture, qui lui permet de résister, de respirer dans ce pays étouffant en oubliant l'insupportable et en inventant, avec une fantaisie loufoque et débridée, une autre réalité lui permettant de survivre. Tout comme certains trouvent quelque respiration dans ces blagues qui circulent, cet humour affleurant aussi dans les improvisations théâtrales (5). Et elle écrit ainsi sur sa machine ou dans sa tête des histoires finissant toujours mal qui semblent «idiotes» et «tirées par les cheveux». Sa réalité imaginée traduit cependant toute la violence des situations vécues, de manière certes fantastique et surréaliste mais non sans vérité.
5) Ex : « – Je vais chercher du pain et je reviens ensuite.
- D'accord, je t'attends ici à la station, mais jusqu'à ce soir seulement, quand le bus arrive. S'il arrive. »
Une anti-héroïne victime sacrificielle de la dictature


L'héroïne collectionne les mésaventures, victime de multiples incidents qui, sous la dictature communiste, prennent des proportions démesurées confinant à l'absurde : «Pourquoi faut-il que tout ça lui arrive à elle, sa vie est un gâchis, elle est elle-même un gâchis».

Elle n'apparaît pas aux autres comme «normale», son mode de survie se faisant au prix d'une dissociation du corps et de l'esprit, un peu comme sur scène où «on dit un truc...en pense un autre et fait autre chose». Elle «vit dans sa tête» car «ils n'ont pas encore installé de micros dans son cerveau, c'est le seul endroit où ils ne peuvent pas pénétrer». Et de manière «déspatialisée» et quasi schizophrénique, elle semble là dans le monde réel alors que son ressenti et ses pensées la transportent ailleurs dans des sortes de délires hallucinatoires qui alimentent son écriture, comme les histoires fabuleuses qu'elle raconte à son fils.
Des histoires où elle s'identifie de manière à la fois cocasse et émouvante à «la crocodila» ou à l'oie blanche Ghighi tandis que, toujours attentive à la moindre bestiole, elle use souvent de comparaisons animales pour qualifier le comportement des humains ou son propre ressenti - ce qui renforce l'étrangeté, le décalage de son univers. Un univers renvoyant tant à la poésie, à la féérie et à l'exotisme des contes pour enfants qu'à l'univers orwellien de la ferme des animaux.
Et cette anti-héroïne au prénom christique vivant dans un autre univers apparaît comme la victime sacrificielle de cette dictature :
Crocodila se débat, elle n'a plus d'air, ne peut plus ouvrir la bouche, le marteau la frappe fort sur la tête, sa tête tourne, elle suffoque, l'eau lui pénètre dans les narines, la gorge, Crocodila se retourne sur le ventre, là, la peau est blanche et fine, sans écailles, la faucille s'y enfonce en profondeur, la déchire, elle se vide, impuissante, ne bouge plus. Disparue Crocodila, il ne reste plus que Cristina, toute molle, désarmée, flottant à la dérive.
(p.220)




Une tragédie en trois actes

Trois grandes parties chronologiques nous menant jusqu'à l'effondrement de la dictature en décembre 1989 épousent la progression dramatique du récit. Elles se divisent en vingt-et-une sections qui sont moins des chapitres que de petites histoires marquant des étapes dans la vie de Cristina (et suivant accessoirement le parcours de Nana). Des histoires avec chacune un titre, un incipit et un excipit (voire une chute) très soignés, se succédant avec des sauts temporels et des ellipses narratives (comblées dans les sections suivantes), un peu comme dans un montage filmique.
Et la première histoire de chaque partie annonce symboliquement la tonalité dominante, celle qui ouvre le livre indiquant en outre de manière prémonitoire tant la fin inéluctable de l'amour de Cristina et Nana et le rôle qu'y jouera le Parti que la chute de la dictature communiste (6).

Les premières années (1979/1983) sont celles de la jeunesse de Cristina qui au début du livre a à peine dix-huit ans, et on ressent toute sa fraîcheur et sa naïveté dans le récit de ces premières expériences douloureuses. Certes cette première partie se termine sur l'épisode de son viol par l'agent spécial du Parti Popa Traïan – un viol dont nous ne savons pas encore qu'il sera le pivot de son malheur, même si une première conséquence en est subtilement annoncée. Mais elle ne perd ni goût à la vie, ni espoir : «I am alive, dit-elle à haute voix. Je suis en vie, je suis jeune, j'ai vingt-deux ans, aujourd'hui j'ai mangé.»

Dans la seconde partie (1984/1987), Cristina débarque dans une petite ville de montagne glaciale de la Transylvanie profonde pour enseigner le roumain comme langue étrangère, étant séparée géographiquement de son mari comme de son fils Stefan qu'elle ne voit qu'occasionnellement. Elle rêve encore de pouvoir un jour se consacrer à l'écriture, même si elle ne peut plus écrire la nuit - sa machine faisant trop de bruit. Alors elle écrit surtout dans sa tête, mêlant souvent, aidée par l'alcool, le sordide de son environnement et ses hallucinations. Et l'on ne distingue pas toujours bien la part de la réalité et de l'imagination (7).
Divorçant assez rapidement, elle reprend sa relation amoureuse avec son amie dont «les bras l'arrachent aux griffes du néant». Mais ce bonheur sera éphémère. Car Popa Traian (devenu procureur) pénètre de nouveau son logement pendant son absence et viole cette fois sa «chambre secrète» en s'emparant de sa machine Erika et de ses nombreux écrits - qui atteignaient presque la taille d'un roman.

La dernière partie se déroulant de 1988 à 1989 est celle de l'anéantissement de Cristina. Car «le combat contre le popatraian dans la réalité pouvait être remporté par l'imagination, mais une fois qu'il a eu violé son imagination, il lui faut l'affronter dans cette réalité-ci. Dans laquelle elle doit dire la vérité.» Or la vérité tue l'amour et celui de son amie ne résistera pas, Nana l'abandonnant une deuxième fois en quittant la Roumanie.
Rejetée de tous et perdant totalement contact avec la réalité, elle ne s'aperçoit pas que tout bouge - et pas seulement chez les autres. La presse internationale a ainsi les yeux rivés sur la Roumanie car «on tire sur la foule à Timisoara» (8).
Une nuit où elle réussit à utiliser la machine à écrire électrique de la bibliothèque, elle va alors entamer son «chant du cygne» : «elle écrit aussi vite qu'elle pense, comme si elle chevauchait une énorme vague (…) les mots reviennent à elle comme un flux qui retrouverait une mer apparemment morte...».
Avant que, comme une «lourlougeana», elle ne disparaisse un jour dans l'air enivrant, «dans une sorte de respiration longue-longue qui n'en fin[it] plus».

6) La coupe remportée par le Lycée, lauréat du Concours des Jeunesses communistes l'année précédente, sera brisée malencontreusement par Nana, et Cristina en ramassant les morceaux pour éviter que son amie ne soit punie se blessera sur un éclat (sur lequel était dessiné l'emblème du Parti) ...
7) Notamment lors de ces retrouvailles avec cette Nana devenue actrice qui l'obsède ou de ses disputes avec son infidèle mari
8) le régime de Ceaușescu s'est effondré après l'ordre donné aux forces armées et à la Securitate d'ouvrir le feu sur les manifestants anti-communistes dans la ville de Timisoara


Timisoara, décembre 1989

Une écriture signifiante

Le choix habile d'une narration à la troisième personne mais avec un narrateur adoptant totalement le point de vue de Cristina (et dans une moindre mesure celui de Nana ou rarement de Radu) permet à l'auteure de renforcer l'impression de déphasage de son héroïne dans un jeu de proximité et de distanciation. Utilisant beaucoup le pronom "elle" sans référence à celle qu'il désigne, elle peut ainsi entretenir un temps l'ambiguïté (9) tandis que, comme dans un récit à la première personne, elle emploie les appellations familières et le langage adolescent de Cristina («Maman, Papa, Tonton Gilou... / l'aprèm, la grass'mat, fastoche...» ).
Servant le souci d'exhaustivité d'une héroïne qui veut tout emmagasiner pour en rendre compte plus tard en écrivant, l'écriture s'enrichit d'incises et de digressions et s'avère très précise, tout en étant souvent allusive (faisant, au détour de nombreuses phrases, de courtes allusions concrètes au fonctionnement du régime). le récit avance néanmoins avec rythme et fluidité, l'auteure n'ayant pas peur d'utiliser de longues phrases bien scandées intégrant la majeure partie des dialogues (dans un discours direct libre introduisant d'autres perspectives, d'autres locuteurs, et imitant l'oral avec vivacité).

Alina Nelega a de plus une écriture bariolée, comme il convient dans une région multi-ethnique. Outre de nombreuses phrases en anglais (non traduites comme dans le texte original), le texte est émaillé de termes magyars, notamment culinaires, et même de quelques expressions en romani (tous traduits en bas de page), les accents étant aussi notés (10).
Il ne faut pas oublier enfin l'aspect ironique et ludique de cette écriture qui aide à maintenir tout au long du roman cette tension constante entre tragique et comique comme entre réalité vécue et imaginée. L'auteure recourt ainsi beaucoup au fantastique et à l'absurde (pour désamorcer par exemple l'horreur de la scène de viol), et adopte des angles de vue cinématographiques surprenants (comme dans cette première scène hilarante où l'héroïne terrorisée se focalise sur les chaussures du camarade-inspecteur jusqu'à leur donner voix, ou dans cette comique vision en contre-plongée sur une plage nudiste...). Elle aime par ailleurs agglutiner les mots pour se moquer des formules toutes faites («leconducteurbienaimé, lapatrielaplusbelledumonde ...»), reprendre des refrains musicaux («girlsjustwanahavefun, thedaybeforeyoucame») ou traduire l'insistance («siteplaîtsiteplaît»...), tout en marquant les intonations («Alôôôô, Nooooon, si sucréééé, indiscipliiiiine»...).

9) Notamment entre le "elle/je" de Cristina et le "elle" de Nana, deux héroïnes qui, de plus, se dédoublent elles-mêmes (Cristina en Crocodila et Nana devenant Julie à Paris)
10) Bela, l'ancien camarade de lycée de la section magyare déforme ainsi les mots, il prononce «abzurde» et appelle l'héroïne «Krisztina»


Comme si de rien n'était est ainsi un livre rebelle, engagé et humaniste, à dimension universelle. Un livre tragique et drôle, bouleversant, comportant nombre de morceaux d'anthologie et dont la construction, les choix narratifs comme la langue épousent intimement le propos. Un très grand roman !











Comme si de rien n'était, Alina Nelega, traduit du roumain par Florica Couriol, Editions des femmes, 8 avril 2021, 288 p.

A propos de l'auteure :
https://www.desfemmes.fr/auteur/alina-nelega/


EXTRAITS :

On peut lire la note de la traductrice (p.5/8) et les premières pages du roman (p.13/18) : ICI



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« Comme si de rien n'était » est magistral. Superbement maîtrisé, doté d'une traduction perfectionniste par Florica Courriol. Ce chef-d'oeuvre est un pan de l'Histoire roumaine dans les années 1980, mais pas que. Alina Nelega délivre l'idiosyncrasie d'un pays en proie à la dictature lors du pouvoir de Ceausescu. On ressent les palpitations d'une autrice qui cherche et réussit à démonter un à un les diktats d'une société fragilisée, appauvrie, aux arborescences interethniques. Ce livre est une mise en lumière profondément vivante, une immersion au coeur même d'un pays manichéen. D'un côté la milice, le camaradebienaimé, le bienaiméconducator, les surveillances, les filatures, les ombres sournoises, les loups gris.
« Lorsque leconducatorbienaimé sera mort, sa vie sera une page blanche, immaculée, elle pourra enfin révéler tous ces mots dissimulés jusque-là dans les feuilles camouflées dans ses cours de linguistique, de poésie romantique et de littérature comparée. »
De l'autre côté les battants, les survivants entre les rationnements, les coupures d'électricité, la faim, la liberté d'expression anéantie. le côté face d'une Roumanie ravagée et décontenancée. Ce livre miroir laisse les reflets sur le bord des lignes d'Alina Nelega. On ressent son double en action, prête à tout dire, d'une voix neutre, exacte et affranchie. Prenez soin de ce versant d'une montagne à franchir. L'heure est grave et nécessaire. Ici, il y a la jeunesse : Cristina :
« Elle habite avec ses parents dans un deux-pièces dans la zone de Katanga. Nana vient la chercher après ses cours de théâtre à l'École populaire d'art. »
Nana :
« le père a réalisé les plans de systématisation de la ville et le Parti lui a offert en échange cette maison sur la colline résidentielle, où habitent médecins, directeurs d'usine… » « Nana a une chambre rien qu'à elle très haute. »
Cristina est tenace, volontaire comprend que seule la littérature la sauvera. Nana et Cristina sont soudées. Siamoises, lianes, fleuve et espoir. Femmes bouillonnantes d'une révolte sourde. Elles sont l'art en fusion. Artiste, Nana tourbillonne sur les planches. Cristina écrit et lit, l'évasion étendard, la liberté solitaire en ses mains. Les sens en éveil, l'osmose de deux filles qu'un pays sépare. Et pourtant elles sont les Louise Michel, les amantes, les interdits d'une sexualité muselée. L'homosexualité est bannie.Le livre prend vigueur, encercle tous les protagonistes. Les volets se ferment. La pénurie, les difficultés sont des fardeaux incommensurables. Comment se réaliser dans un tel totalitarisme ? La lecture n'est plus, tant sa force frappe et dévoile les torpeurs et les déchirures de Cristina, Nana, Radu et tous les bien-nommés de ce grand livre courageux, exutoire et sociétal.
« Elle n'a plus mangé quelque chose de comestible depuis trois jours ; sur les cinq oeufs achetés avec ses bons de rationnement trois étaient pourris. »
« Cristina l'avait trompée avec son propre frère, Radu, elle s'était même misérablement vengée, sans aucun scrupule, en l'épousant lui, le seul homme que Nana ne pouvait pas détester, ça l'avait paralysée, détruite. C'était pour ça qu'elle avait pleuré à la gare, mais Cristina n'avait pas compris, pour ça qu'elle était partie passer le concours d'art dramatique, pour la fuir, pour se construire une autre vie dans un autre monde. »
Ce livre mature, certifié est un film en noir et blanc. On cohabite avec ce peuple meurtri. Ces femmes vouées aux mensonges pour résister, faire « comme si de rien n'était ». Les mains dans les poches pour effacer le geste en devenir. Les lèvres closes et les larmes colombes.
« le nudisme, on le sait, se pratique à égalité. Dans l'absence d'intimité. Mais l'intimité n'est -elle donc pas une condition de la liberté ? Ou alors cette nudité n'est qu'un leurre. »
Ces hommes robots « ouvriers d'élite riant de toutes leurs dents grises et serrant la main du conducatorbienaimé gris qui les aime… le jaune est un gris pâle et le blanc est le gris le plus clair, le plus chargé d'amour. Alléluia ! »
N'ayez de crainte, il faut le savoir, que tout est vrai ; que ce livre est le flambeau, le passeur de ce qui fut pour que tout s'arrête enfin. La réalité n'est plus déformée par la glace des non-dits. Alina Nelega c'est elle : ces femmes. le devoir de dire, la sagesse d'écrire, le soin de confier son oeuvre à Florica Courriol sa soeur, sa passerelle. Ce livre est une urgence de lecture. Il ose la parole tel un voile qui se déchire. Mémoriel, engagé (l'homosexualité féminine), crucial, il est le porte-voix des femmes du monde. « Comme si de rien n'était » est un devoir de lecture. Un hymne à la liberté, la noria des possibles. « Prix Observator cultural 2020 : Grand prix de littérature en Roumanie. » Publié par les majeures Éditions Des Femmes Antoinette Fouque.


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Au début de l'été, les Éditions des Femmes – Antoinette Fouque ont publié la version poche de ce roman de l'autrice roumaine Alina Nelega. Il s'agit du premier roman traduit en français de l'autrice, elle est également à l'origine de nombreuses oeuvres dramatiques, elle est l'une des personnalités des plus importantes du théâtre roumain, et est d'ailleurs reconnue à l'étranger pour ses pièces. On se retrouve encore ici, dans la décennie précédant la chute de Ceaușescu, ces années 1980 qui furent les dernières années du communisme et de roumains qui avaient à peine la liberté de respirer. Ce qu'elle a porté à la scène, elle l'a mis en fiction dans ses romans : comme chez Simona Sora, comme chez Corinna Sabau, c'est le droit, ou plutôt le non-droit, des femmes au sein de cette Roumanie totalitaire : interdiction d'avorter, interdiction de vivre un amour gay ou lesbien. le roman s'épanche autour de ce dernier interdit.


Cristina Nemeș est une jeune femme de Transylvanie, diplômée des Lettres à Cluj : au lycée, elle avait pour amie Nana, une jeune fille issue d'une famille riche, un frère à ses côtés, des parents toujours occupés à d'autres choses que l'éducation de leurs enfants. Une amitié aussi ambiguë d'un côté comme de l'autre. La vie étant ce qu'elle est, jeunes femmes, elles se perdent de vue, Cristina devient professeur, et écrivain, Nana devient actrice, sur les scènes de Roumanie. Cristina épouse Radu, le frère de Nana, un jeune homme qu'elle connaît bien, pour lequel elle éprouve un attachement et une affection sincères. Mais le régime totalitaire rend les conditions de vie difficilement supportable, et en premier lieu les difficultés d'approvisionnement, qui régissent la vie de la population roumaine ; travailler pour pouvoir survivre, se démener pour pouvoir travailler, obtenir un poste de professeur, gagner quelques sous pour pouvoir manger.

C'est touffu, c'est dense, foisonnant car le récit, de façon discontinuée, s'étend depuis l'enfance des jeunes filles en 1979 jusqu'à l'âge adulte, la période postrévolutionnaire. Comme une observation de l'évolution du pays à partir du point de vue d'une jeune femme presque normale, si elle ne devait passer sa vie à la refouler, tout comme sa créativité littéraire, qui par miracle revient le jour ou le poids de la dictature, et ses interdits, sont derrière elle. Un récit très riche, qui fourmille de détails en tout genre, sur tout, sur chaque aspect de la vie de Cristina et du monde qui l'entoure, et surtout un récit qui ne manque pas d'ironie, à commencer par le surnom utilisé pour désigner le dictateur roumain le camaradebienaimé. On appréciera le néologisme à sa manière de montrer qu'il ne s'agit d'obéir et de recracher ce que le parti exige d'eux, le respect inconditionnel et l'admiration béate du dirigeant. La moindre critique étant prohibée, utilisons donc le sarcasme.

Récit et discours, libre, mélangés, la voix des personnages – celle du camarade inspecteur, celle de la professeure de chimie des débuts et de tant d'autres, est intégrée au récit de Cristina, qui semble s'acharner à porter le maximum de voix possibles pour donner un aperçu le plus proche possible de ce qu'est la réalité du monde de Cristina, comme celle de celle de ses concitoyens : double. Celle que l'on voit, qu'on entend, qui ressort des discours des uns et des autres, et celle que l'on tait, tue derrière les silences, les faux-semblants, les discours de propagande, le formatage des individus à devenir de futurs parfaits ouvriers ou ingénieurs communistes, activistes du parti, qu'est-ce que c'est cette idée de savoir-faire une urne grecque, ou de faire du théâtre, en lieu et place de préparer son bac ? À quoi bon ? Éduquer, redresser, formater, comme si de rien n'était, ce ne sont pas les camarades est-allemands militant pour une Allemagne communiste qui vont faire mentir les méthodes du Parti.

Faire semblant, c'est bien ce que dénonce ici Alina Nelega, nier sa sexualité, nier sa personnalité derrière un décorum, celui de la parfaite épouse et mère de famille, professeur d'anglais. Derrière la figure de Cristina, mais aussi de Nana, personnage qui apparaît plus ponctuellement, on observe la place faite à la femme, qui existe difficilement en dehors de la voie cloutée du Parti, et forcément une forme de féminisme, obligé si Cristina et Nana ne veulent pas sombrer en s'oubliant totalement. Un lieu et un temps où les violeurs ne se souciaient pas des conséquences de leur crime, naturellement la femme a le mauvais rôle, toujours. Et comme on n'avorte pas – du moins officiellement – en Roumanie sous Ceaușescu, dès lors que le viol est suivi d'une grossesse, c'est encore et toujours, la victime qu'on invective. J'avoue que l'agacement était très fort lors de certaines scènes ou Cristina est confrontée à ces relents de sexisme et conservatisme, dans lesquels elle essaie de se maintenir la tête hors de l'eau tant bien que mal. Une exaspération à la hauteur de l'injustice ambiante.

Ce roman rejoint celui de Simona Sora, Alina Nelega y parle de cette complaisance, qui précède la révolution de 1991 : fermer les yeux, accepter, détourner. Alina Nelega l'évoque dans un entretien au quotidien roumain Zi-de-zi.ro, les femmes, comme d'autres minorités, les homosexuels et les Hongrois, ont été victimes d'un double degré d'oppression. Celle du pouvoir, celle de la domination dite conservatrice, hétérosexuelle et patriarcale, et c'est bien ce que les vies de Cristina et de Nana mettent en exergue.
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critiques presse (1)
Telerama
19 juin 2023
Quelle inventivité littéraire, quelle précision documentaire, quel courage contestataire dans ce roman d’amour lesbien vécu sous l’ère du « conducatorbienaimé » et de « notremèreànoustous » Ceausescu…
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
[…] elle a horreur du sol couvert de crasse gluante puant l’urine du couloir bondé de gens sales et affamés sans horizon et qui ne lisent ni Henri James ni Aldous Huxley. Ceux-là, au moins, ils vous aident vachement à survivre, ils vous téléportent à l'époque victorienne ou dans les petites villes américaines des livres de Carson McCullers, partout ailleurs, surtout pas ici, dans Les Lusiades de Camões, sur la mer, là où l'air est salé et les poissons frais vous sautent directement dans la poêle, pas la peine de faire quatre heures de queue pour se les procurer.
(p. 94)
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[…] qu'est-ce qu'il y a ? Rien, un peu mal au ventre, tout le monde sait que l'amour passe par le ventre et que l'âme se loge aussi dans ces coins-là, on ne sait pas à quel endroit précis, mais c'est sûrement ça, puisque ça fait si mal.
(p. 34)
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Ah, qu'elle vieillisse enfin ! Alors personne ne cherchera plus à la toucher, ni à s'empresser de lui ouvrir les portes, à lui allumer sa cigarette, à lui baiser la main – et si elle refuse on ne dira plus qu'elle est agressive – on ne la taxera plus de féministe, mot injurieux, on sait bien que ces filles-là veulent être des hommes, pas des femmes. Alors elle cessera de se tenir coite et de ne rien oser faire, de se croire obligée de sourire poliment à toute allusion cochonne. Que vienne le temps des varices et des poils sur le visage pour que personne ne s'excite plus en voyant ses seins tombants – là elle sera enfin libre et moche.
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Il leur vint ensuite une petite frayeur en découvrant à quoi ressemblait l'intimité des filles, exposée tout ouverte, elles ne s'étaient jamais regardées, bah, dis donc, ça se présente comme ça, se demandait Nana à voix haute, c'est truqué ou quoi, c'est affreux, moi je me suicide si je ressemble à ça, je vais avoir des cauchemars, c'est pas chouette-chouette.
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Pour la énième fois elle se demande pourquoi ça retombe chaque fois sur elle, sur mille élèves en uniforme c’est toujours elle que l’on choisit d’éduquer, de redresser. À cause de son regard peut-être, il y a un truc qui cloche du côté de son regard, trop concret – elle avait cette mauvaise habitude de regarder pour voir – à moins que ce soit, allez savoir, cet air dont elle ne peut se défaire, de gamin de quartier qui sort prendre l’air et se met à taper la balle contre un mur, les genoux écorchés par les chutes à vélo, ce vélo dont la chaîne saute tout le temps. Encore heureux que le prof principal ait sorti le truc du directeur, c’est un leurre, il n’a jamais emmené un élève chez le directeur, de toute façon il était au courant, comme tout le monde, que le directeur n’était pas dans l’école l’après-midi, et les secrétaires ne restent pas une minute de plus après quinze heures. Nana la pousse du doigt à s’asseoir, à en finir une bonne fois pour toutes avec leur jeu, elle n’aime pas la chatouille, elle se défend et frappe involontairement le pupitre du genou, elle attrape de justesse, au vol, son cahier et le volume de poèmes, l’atlas par contre s’envole jusqu’au centre de la classe et la trahit en laissant glisser la revue de Bizonnou.
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