Récit de cauchemar, Smarra est un texte très onirique et par là même, un texte pour lequel il faut accepter de laisser un peu sa logique de lecteur aimant voir les choses s'enchaîner dans l'ordre de côté! le style, inspiré des auteurs antiques, est aussi une surprise au tout début et rebutera peut être certains.
Pas moi, finalement, qui après quelques pages d'adaptation où je me demandais ce qui m'avait pris de lire cela, aie finalement trouvé cela fort plaisant. Cela a pile la bonne longueur pour qu'on ne se lasse pas,juste assez de murmures de créatures étranges pour entraîner le lecteur dans un long rêve glaçant, et ce style qui me déboussolait aux premières pages contribue finalement parfaitement à l'ambiance.
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Et en s'exprimant ainsi avec une voix plus grêle et plus déchirante que celle d'une hyène égorgée qui menace encore les chasseurs, elle détachait de son doigt la turquoise chatoyante qui étincelait de flammes variées comme les couleurs de l'arc-en-ciel, ou comme la vague qui bondit à la marée montante, et réfléchit en se roulant sur elle-même les feux du soleil levant. Elle presse du doigt un ressort inconnu qui soulève la pierre merveilleuse sur sa charnière invisible, et découvre dans un écrin d'or je ne sais quel monstre sans couleur et sans forme, qui bondit, hurle, s'élance, et tombe accroupi sur le sein de la magicienne. «Te voilà, dit-elle, mon cher Smarra, le bien-aimé, l'unique favori de mes pensées amoureuses, toi que la haine du Ciel a choisi dans tous ses trésors pour le désespoir des enfants de l'homme. Va, je te l'ordonne, spectre flatteur, ou décevant ou terrible, va tourmenter la victime que je t'ai livrée; fais-lui des supplices aussi variés que les épouvantements de l'enfer qui t'a conçu, aussi cruels, aussi implacables que ma colère. Va te rassasier des angoisses de son coeur palpitant, compter les battements convulsifs de son pouls qui se précipite, qui s'arrête... contempler sa douloureuse agonie et la suspendre pour la recommencer... A ce prix, fidèle esclave de l'amour, tu pourras au départ des songes redescendre sur l'oreiller embaumé de ta maîtresse, et presser dans tes bras caressants la reine des terreurs nocturnes...» Elle dit, et le monstre jaillit de sa main brûlante comme le palet arrondi du discobole, il tourne dans l'air avec la rapidité de ces feux artificiels qu'on lance sur les navires, étend des ailes bizarrement festonnées, monte, descend, grandit, se rapetisse, et, nain difforme et joyeux dont les mains sont armées d'ongles d'un métal plus fin que l'acier, qui pénètrent la chair sans la déchirer, et boivent le sang à la manière de la pompe insidieuse des sangsues, il s'attache sur mon coeur, se développe, soulève sa tête énorme et rit. En vain mon oeil, fixe d'effroi, cherche dans l'espace qu'il peut embrasser un objet qui le rassure; les mille démons de la nuit escortent l'affreux démon de la turquoise: des femmes rabougries au regard ivre; des serpents rouges et violets dont la bouche jette du feu; des lézards qui élèvent au-dessus d'un lac de boue et de sang un visage pareil à celui de l'homme; des têtes nouvellement détachées du tronc par la hache du soldat, mais qui me regardent avec des yeux vivants, et s'enfuient en sautillant sur des pieds de reptiles...
Plus tranquille, je livrai ma tête au sabre si tranchant et si glacé de l'officier de la mort. Jamais un frisson plus pénétrant n'a couru entre les vertèbres de l'homme; il était saisissant comme le dernier baiser que la fièvre imprime au cou d'un moribond, aigu comme l'acier raffiné, dévorant comme le plomb fondu. Je ne fus tiré de cette angoisse que par une commotion terrible: ma tête était tombée... elle avait roulé, rebondi sur le hideux parvis de l'échafaud, et, prête à descendre toute meurtrie entre les mains des enfants, des jolis enfants de Larisse, qui se jouent avec des têtes de morts, elle s'était rattachée à une planche saillante en la mordant avec ces dents de fer que la rage prête à l'agonie.
Je m'élevais comme le papillon de nuit qui a nouvellement brisé ses langes mystérieux pour déployer le luxe inutile de sa parure de pourpre, d'azur et d'or.
Près de moi, d'horribles enfants aux cheveux blancs, au front ridé, à l'oeil éteint, s'amusaient à m'enchaîner sur mon lit de plus fragiles réseaux de l'araignée qui jette son filet perfide à l'angle de deux murailles contiguës pour y surprendre un pauvre papillon égaré. Quelques-uns recueillaient ces fils d'un blanc soyeux dont les flocons légers échappent au fuseau miraculeux des fées, et ils les laissaient tomber de tout le poids d'une chaîne de plomb sur mes membres excédés de douleur.
Et, pendant qu'elle me parlait, je mordais, obstiné, le bois humecté de mon sang fraîchement répandu, et je me félicitais de sentir croître les sombres ailes de la Mort qui se déployaient lentement au-dessous de mon cou mutilé.
«Je te jure qu'ils n'ont pas blanchi... mais une autre fois, plus attentive, je lierai une de mes mains à ta main, je glisserai l'autre dans les boucles de tes cheveux, je respirerai toute la nuit le souffle de tes lèvres, et je me défendrai d'un sommeil profond pour pouvoir te réveiller toujours avant que le mal qui te tourmente soit parvenu jusqu'à ton coeur... Dors-tu?»
D'abord érigé à des fins militaires, le bâtiment de la Bibliothèque de l'Arsenal a basculé dès la seconde moitié du XVIIIe siècle dans le champ de la sociabilité savante et mondaine, sous l'égide du marquis de Paulmy qui y constitua une remarquable collection encylopédique à partir de 1756.
À sa suite, d'autres hommes et femmes s'illustrèrent à l'Arsenal comme passeurs pédagogiques et culturels, à l'instar de Madame de Genlis, Charles Nodier ou José Maria de Heredia.
Anne-Bérangère Rothenburger, conservatrice à la Bibliothèque de l'Arsenal, vous invite sur les pas de ces illustres, à travers une promenade dans les représentations iconographiques variées (gravures, statues, peintures, photographies…) conservées dans les collections de la BnF.
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