"La promotion d'un inconscient familial trouve sa référence davantage dans les idées de Jung que dans celles de Freud. Car au-delà de la naïveté à croire redécouvrir la psychanalyse par l'importance des parents, le saut théorique consiste à donner du crédit, de la fonction et de la puissance aux ancêtres non connus. Les différentes identifications à l'oeuvre dans la formation de la personnalité deviennent, par une radicalisation magique, des déterminations de l'inconscient personnel : les psychogénéalogistes font en effet remonter la source d'un tel inconscient à plusieurs siècles et jusqu'aux dix générations précédentes ! Les transmissions culturelles que Jung alléguait à travers l'inconscient collectif trouvent alors une application réduite aux cellules familiales avec le terme fédérateur de 'transgénérationnel'. Par cette représentation d'un passage des vies, des traumas, des caractères au travers des générations familiales, une pensée du lien et de la continuité s'impose qui rassure les individus soudain rattachés, relayés, pris en charge dans une chaîne vivante qui dépasse la mort individuelle et atténue ses angoisses. Mais on pourrait tout autant observer combien une telle obsession du lien enferme les êtres dans une logique de dépendance, et combien elle étend le mal qu'elle prétend soigner. Si pour le psychogénéalogiste le descendant peut éviter de répéter la névrose transmise par sa famille, c'est toujours en relation avec la psyché des ancêtres qu'il doit trouver sa juste place. Sartre a décrit sans ambages ce type d'assignation psychologique : 'On prend un môme bien vivant, on le coud dans la peau d'un mort, il étouffera dans cette enfance sénile sans autre occupation que de reproduire exactement les gestes avunculaires, sans autre espoir que d'empoisonner après sa mort des enfances futures'."
François Noudelmann - Les enfants de Cadillac