Mon père m’avait donné une clé au cas où mon oncle refuserait de m’ouvrir, que cette fois-ci il ne voulait voir personne, contrairement aux autres fois. Je n’ai jamais su comment les autres arrivaient à le sortir de son mal, de ses dépressions, et moi j’avais l’impression cette fois-ci d’avoir affaire à une plus grosse. Pour éviter d’être humilié, qu’il me refuse d’ouvrir, dans ma dignité de crétin j’aurais fait demi-tour sur le coup, j’ai choisi alors d’ouvrir tout simplement la porte avec la clé, tout ce que j’espérais, ce que je souhaitais le plus au monde, à cet instant précis, une fois dedans et en face de lui, c’était de lui décrocher un sourire pour moi, aussi prétentieux que ça pouvait paraître je préférais rester sur ce ton que j’avais choisi, je tenais à ça, que ma présence soit une joie. Lui, quand il venait quand j’étais petit, sa présence était perpétuellement une fête, ça lui correspondait, je voulais lui voler ce titre, ce pouvoir qu’il avait sur toute la famille, comme si ça allait être facile pour moi d’avoir une qualité d’être égale à la sienne.
Ça me faisait plaisir de l’entendre me raconter des histoires qui parlaient de Rabat. Il avait l’air fou de joie de revenir pour la première fois depuis qu’il avait quitté le Maroc avec ses parents. « J’avais très envie de t’aborder, mais je n’ai aucune envie de faire l’amour avec toi », me dit-il. Je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez lui, ou plutôt quelque chose dont il avait envie de me parler. On s’était vraiment habitués à se voir et ça me faisait plaisir que pour lui j’étais l’événement le plus important depuis le début de son séjour.
C’est « la Vache qui rit » dont je me souviens le plus comme nourriture ce jour-là, on l’avait mangée avec du pain tout chaud dont une vieille dame, traversant avec son pain qu’elle avait été chercher dans un four en terre plus loin, nous avait offert un bon morceau. Mon oncle paraissait tout petit, tout jeune, comme un enfant, il avait été considéré ainsi par la vieille dame qui nous avait souhaité : « Bon voyage, mes enfants. » La plupart du temps on se regardait, on s’échangeait des sourires la bouche pleine, comme s’il y avait un autre élément qui rendait notre complicité si forte. Je n’arrivais pas à mesurer ma joie d’avoir retrouvé mon oncle adoré, comme avant, et comme il m’aimait.
Sa particularité, c’est que des fous rires le prenaient à tout moment. Il a fini en se jetant par terre. Je ne savais pas si c’était son éclat de rire ou sa démonstration qui le faisait tomber sur le sable, sa tête est arrivée sur un genou de Luc, de fatigue, en riant. Luc lui a caressé les cheveux comme un père qui couvrirait de tendresse son fils dont il est fier. Cette image m’avait bouleversé. La texture de sa peau paraissait extrêmement douce. De le voir à son aise avec nous était si naturel, on aurait dit que nous tous on le connaissait tellement sa façon d’être était agréable.
« J’aime les très jeunes garçons », me dit-il, mais que ce n’était pas vrai ce qu’il m’avait dit au départ, qu’il ne cherchait pas à faire l’amour avec moi, qu’au contraire il avait envie mais qu’il préférait juste être avec moi, que c’était plus beau. Il me dit : « Ça fait au moins dix ans que je n’ai pas touché un garçon de l’âge que j’aime. La dernière fois que j’ai été avec un garçon, j’ai été surpris par ma famille. Ça m’a valu une grosse dispute et j’ai été presque exclu de la famille. »