Dans la tête d'une narratrice aussi peu fiable qu'une soeur cadette jalouse de sa soeur aînée,
Joyce Carol Oates a concocté une enquête de disparition aussi peu conventionnelle que possible.
48 chapitres, plus ou moins courts, pour 48 indices rédigés comme des pièces à conviction ( en italique) pour dérouter encore plus les lecteurs. Car tous ces indices ne sont pas des choses physiques, comme la nuisette abandonnée ou les empreintes de pas. La plupart d'entre
eux sont bien plus ambigus pour autoriser un large éventail de conjectures.
Certains d'entre
eux sont des sentiments, d'autres sont des comportements de l'entourage. le mystère est de savoir comment tout cela s'additionne.
Car
Joyce Carol Oates s'amuse des fausses pistes et laisse percevoir sa jubilation lorsque ces indices ne s'emboîtent pas parfaitement.
A son habitude, JCO s'inspire d'un banal fait divers ( la disparition irrésolue d'une belle jeune fille) pour explorer des personnages et les liens tortu
eux qui les unissent.
Marguerite Fulmer, une sculptrice séduisante et talentueuse, quitte un matin la maison familiale où elle vit avec son père et sa jeune soeur pour ne plus jamais revenir. Nul ne sait si cette disparition est volontaire ou si la jeune femme a été kidnappée et/ou assassinée.
Georgene, la soeur disgracieuse, va instruire le dossier et révéler, en fines couches qui se superposent brillamment, autant d'informations sur la vie de sa soeur que sur ses sentiments à son égard.
"Je n'étais pas jalouse des hommes que M avait dans sa vie parce que je n'étais pas jalouse de M. Il n'est pas plausible qu'une soeur cadette puisse être jalouse d'une soeur aînée belle et accomplie, elle ne peut qu'être en admiration devant une soeur pareille, reconnaissante de l'attention que lui prodigue la Princesse, de ses sourires fugitifs, des paroles approbatrices qu'elle lui jette par intermittence, telles des pièces de monnaie. "
Pour approcher la personnalité de Georgene, l'autrice recourt fréquemment à l'antiphrase qui permet au personnage d'échapper au jugement et à l'écrivain de manier le sarcasme.
La narratrice ne peut d'emblée avouer la rivalité haineuse qu'elle éprouve pour sa soeur et cherche ainsi à minimiser l'expression de ses sentiments.
Quand à l'autrice, elle se délecte de troubler le lecteur, de choquer ses attentes et de le laisser s'empêtrer dans de multiples interprétations possibles.
De la même manière lorsqu'elle use et abuse ( pour certains) de la parenthèse, elle choisit de jouer avec la nature contradictoire de cette ponctuation qui prétend insérer une information dérisoire tout en occupant un espace considérable sur la page.
Ainsi certaines parenthèses très bavardes viennent rompre la linéarité du récit et perturber les habitudes de lecture, mais elles permettent également de pimenter l'écriture d'une touche d'ironie et de superposer de fines couches de sens.
Au début du roman, Georgene raconte avoir aperçu pour la dernière fois le reflet de sa soeur dans un miroir, reflété dans un autre miroir, sous un angle particulier. C'est ainsi, dans un jeu de miroirs, que l'autrice veut plonger ses lecteurs. Elle projette de nombreuses images que chacun pourra assembler à sa convenance .
Dans le chapitre halluciné de la cave, elle propose même la résolution de l'énigme. En proie au délire, G aurait rencontré une chose hideuse, une créature griffue et moqueuse qu'elle aurait écrasé à coups de pelle "parce que la beauté mérite d'être punie".
Et puis, d'autres coupables sont possibles : l'amour
eux éconduit, le peintre Elke, le tueur en série.
Qu'importe la résolution du mystère puisque ce roman n'est pas un roman policier.
Et
Joyce Carol Oates, en signant ce roman ambiti
eux et original, nous apprend une fois encore, l'inanité des certitudes et la valeur du doute.